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La Conspiration Révolutionnaire de 1789

Gustave Bord

Gustave Bord

PRÉFACE

Le Roi et les réformes. — Les obstacles. — Les Parlements. — La Franc-maçonnerie et ses procédés.

Lorsque, le 3 septembre 1783, Louis XVI imposa à l’Angleterre le traité de Versailles, la France était sans conteste la plus puissante nation du monde ; à ne considérer que sa grandeur extérieure, elle pouvait donc entrer avec sécurité dans une période historique de transformation sociale. Le chêne aux robustes racines, aux riches frondaisons, n’était pas sans branches mortes qu’il fallait élaguer. Si le plus grand nombre, à la fin du XVIIIe siècle, songeait à procéder posément et en temps opportun à l’opération nécessaire, quelques-uns seulement rêvaient de couper brutalement et sans délai l’arbre par le pied.

L’immense majorité de la nation entendait que les réformes fussent faites avec le concours de la Royauté qu’elle considérait comme un patrimoine national.

À cette époque, en effet, le peuple aime ses Rois, n’imaginant pas qu’on puisse discuter l’autorité dont ils sont les dépositaires. Le Roi est bien alors l’âme et le symbole de la nation dont la prépondérance incontes-table sur les peuples civilisés n’est due qu’au passé glorieux de la tradition monarchique.

Aussi bien, les qualités morales de celui qui occupe le trône n’inspirent-elles au peuple que la plus grande sympathie. Sa bonne volonté à supprimer les abus et à chercher le bonheur de ses sujets donne à tous les plus favorables assurances. Au début de son règne, on ne lui ménage ni les témoignages d’affection ni les marques de confiance ; on attend de lui l’Age d’Or souhaité.

Tout en faisant profession apparente de ces sentiments loyalistes, seule, une faction peu nombreuse nourrissait déjà dans l’ombre d’autres espérances.

Pourtant, c’est ce groupe — si restreint au début qu’on pourrait le dénombrer — qui arrive par d’adroites et d’audacieuses menées à substituer une tyrannie sanglante aux pouvoirs existants. Les hommes qui le composent, sous prétexte de travailler à faire aboutir plus rapidement les vœux de la nation entière, — mais en réalité dans le but de donner satisfaction à leur propre rêve qui est de renverser la monarchie, — n’hésitent pas à livrer la France aux plus sinistres déchirements et à la précipiter dans les pires aventures.

On prétendrait en vain que, par la force des choses, une révolution ne pouvait utilement se faire qu’à l’aide des moyens violents qui ont été employés.

Une telle opinion est en contradiction avec l’histoire entière de notre pays. La monarchie française, qui s’était transformée si souvent depuis son origine, avait-elle donc moins de souplesse que d’autres monarchies qu’on vit se prêter pacifiquement à des changements féconds ? Des nations voisines qui n’ont pas subi de pareilles secousses, ne jouissent-elles pas d’une liberté plus complète et d’une prospérité plus stable que celle qu’il nous a été donné de connaître ?

A la vérité, l’œuvre édifiée par tant de générations était si susceptible d’être améliorée, et son renversement total si déraisonnable, que la majeure partie des institutions de l’ancien régime, en matière administrative, judiciaire ou fiscale, ont été rétablies sous d’autres noms, par les mêmes hommes qui les avaient jetées bas ; bien plus, ne marchons-nous pas, chaque jour, vers le rétablissement de quelques-unes de celles qu’ils avaient laissées ensevelies sous les ruines accumulées par leur égoïste et criminelle imprévoyance [^1] ?

Souvent déjà, la Royauté s’était trouvée aux prises avec des dangers sérieux, sinon aussi graves que ceux qui la menacèrent à la fin du XVIIIe siècle. Elle en était toujours sortie victorieuse, sans que pourtant la marche constante vers le progrès et vers l’amélioration des conditions sociales de la nation en eût été retardée.

Pourquoi cette fois n’en fut-il pas de même? Pourquoi une conjuration parvint-elle à se former contre l’autorité royale ? Comment put-elle s’entretenir, s’étendre et aboutir à une telle explosion destructive ?

La cause première et évidente fut le manque de clairvoyance, la fausse sensibilité, l’apathie du Monarque qui le rendirent incapable, malgré son courage passif, de faire preuve de la moindre initiative personnelle, de vouloir et de prendre aucune mesure virile ou opportune pour défendre le trône et les intérêts publics dont il avait la garde.

Cette excessive faiblesse qui se manifestait chaque jour davantage, à mesure que le péril grandissait, n’aurait pas toutefois suffi à assurer le triomphe de la conspiration, si celle-ci n’avait eu le formidable appoint de l’organisation maçonnique dans laquelle elle avait pris naissance et où elle puisait ses moyens d’action et sa force.

Mis en doute et contesté autrefois, le rôle de la Franc-Maçonnerie dans les événements de la Révolution est aujourd’hui indéniable ; les maçons eux-mêmes le revendiquent avec orgueil [^2].

C’est le dogme de la secte qui groupa et endoctrina les ambitieux, les mécontents, les naïfs et les désœuvrés. Son action mystérieuse, rendue plus efficace par l’obligation du serment qui enchaîne, s’étendit, sous les apparences inoffensives de la philanthropie, jusque sur les marches du trône. Il prépara une force d’opposition disciplinée autant qu’aveugle, rendue incapable de deviner le but vers lequel on la poussait et prête à subir l’impulsion qu’elle recevait mécaniquement, sans même se préoccuper de savoir si les canaux invisibles qui la lui transmettaient, n’avaient pas parfois leurs sources au delà des frontières.

Les affiliés devinrent facilement des conspirateurs.

Essentiellement aristocratique et bourgeoise, quand sonna l’heure d’agir, la secte chercha l’appui du peuple ; elle le fanatisa, en le dupant par des formules et des mots sonores, puis se précipita derrière lui contre tout ce qui représentait une autorité. Ce fut la maçonnerie qui donna en temps opportun la pesée sur le levier et renversa l’édifice social, au risque de faire périr la France en même temps.

La main de fer de Bonaparte put seule la retirer du gouffre où les bourgeois maçons l’avaient inconsidérément précipitée et d’où ils se sentaient incapables de la sortir sans son aide.

Il était naturel que ce fût dans les milieux où l’esprit frondeur se donnait depuis longtemps le plus libre cours, que les conspirateurs contre le pouvoir royal recrutassent leurs adhérents.

Nous n’insisterons pas sur le rôle de propagateurs que jouèrent dans le domaine des idées les encyclopédistes et les philosophes, drainés facilement par la secte. Ce rôle, tous les historiens l’ont avec raison signalé.

On peut affirmer que les plus gros effectifs militants du complot se rencontrèrent d’abord parmi les membres du Parlement et parmi la foule des légistes, avocats, procureurs, clercs, huissiers, commissaires, praticiens qui gravitaient autour du Palais.

Conscients ou inconscients, ce furent là les premiers et les principaux artisans de la Révolution.

Les Parlements à leur origine n’avaient d’autre attribution que de donner au Roi, dans leurs arrêts, des conseils que le Prince acceptait ou réformait à son gré.

Lorsque la royauté féodale fut remplacée, peu à peu, par la royauté absolue, nécessaire à la réalisation de l’unité nationale, les Parlements voulurent jouer le rôle de pondérateurs en conservant une indépendance régionale, avec des privilèges tellement nombreux, que la France, s’ils eussent réussi, eût été une république fédérative ; ils en auraient été les corps délibérants et les Rois auraient régné sans gouverner.

L’esprit d’opposition des Parlements se manifesta dès le début du XVIe siècle. C’est à la dernière extrémité que celui de Paris enregistre, en 1516, le Concordat conclu entre François Ier et Léon X. Dès 1558, il se considère comme un quatrième ordre conduisant les trois autres, et, en 1676, le Roi est obligé d’avoir recours contre lui aux désapprobations solennelles et aux Lits de justice. Ces espèces de coups d’État, souvent renouvelés par la suite, sont légitimés par l’opposition mesquine et tracassière des Parlements qui entravent le cours de la justice, la perception des impôts et la vie nationale, pour obtenir de nouveaux privilèges. Louis XIV sut les empêcher de sortir de leurs attributions ; aussi, en 1715, le Parlement de Paris, de son autorité privée, brisa le testament du grand Roi, suppléa les États Généraux et proclama la Régence du duc d’Orléans.

En réalité, le rôle du Parlement était-il toujours justifié et le droit de contrôle dont il était investi présentait-il des garanties pour les sujets contre les injustices et les abus du souverain ? A l’examen, on reconnaît qu’il en était autrement. Ce corps judiciaire privilégié était « trop intéressé, comme on l’a dit, au maintien des inégalités factices dont le développement historique de la nation française exigeait la suppression » [^3], pour ne pas apporter à chaque tentative faite par un Monarque désireux d’entrer dans cette voie de progrès, des obstacles de toutes sortes.

Avec la mentalité des protestants, sous prétexte de rigorisme, les Parlementaires se montrèrent en outre les persécuteurs les plus cruels et les plus exclusifs ; certains historiens persistent, en enregistrant leurs méfaits, à les attribuer au pouvoir royal, mais c’est à tort.

Pendant le XVIIIe siècle, on voit les Parlements se livrer à des luttes incessantes contre les Jésuites et intervenir dans les affaires de conscience à propos de la bulle Unigenitus. Ce sont eux qui dirigent les poursuites pour blasphème, sorcellerie et hérésie ; c’est à eux qu’il faut laisser la responsabilité des procès de La Barre et Calas ; ce sont eux qui frappent des peines les plus rigoureuses telles publications clandestines, telles attaques contre les œuvres académiques, après s’être opposés à la création des Académies. Certains Parlements vont même jusqu’à s’opposer aux découvertes de la médecine et de la science : émétique, gruau, taille, vaccine…

Ils arrachent à la Royauté de nouveaux privilèges en échange de leurs arrêts approbatifs et arrivent de la sorte à envahir successivement les pouvoirs urbains les plus divers : approvisionnement et taxe des grains, travaux publics, police et hôpitaux ; ils entassent règlements sur règlements.

Mais, comme ils s’occupent de trop de choses, ils le font avec ignorance, enfantillage, présomption et impéritie. Ils ne sont pas un frein à l’arbitraire royal, comme ils se plaisent à le dire, mais souvent un obstacle à l’administration normale du royaume.

Au milieu du XVIIIe siècle, la portée de leurs actes devient subitement plus grave : à la résistance soumise succède l’esprit de révolte qui tient tête. En 1753 et 1754, le Parlement de Paris refuse formellement de signer une formule d’obéissance.

Dès la fin de 1767, une députation du même Parlement s’adresse à Louis XV, avec une affectation voulue, pour le prier de jeter sur son peuple un regard miséricordieux : « J’aime tendrement mon peuple, répond le Roi, et vos démarches inconsidérées n’ont pas d’autre but que de provoquer ses plaintes. » — Au printemps de 1768, le Parlement de Paris renouvelle une démarche analogue, et, pour conclure, demande la suppression des exportations de grains, pendant que les Parlements de Grenoble, de Toulouse et de Rennes réclament le contraire. Les dissentiments entre le Roi et le Parlement sont ininterrompus de 1768 à 1770.

En 1768, un conflit prend naissance contre le clergé ; les Jansénistes en fournissent le prétexte ; la lutte dure trois ans. Le Parlement de Paris est exilé à Pontoise, puis suppléé deux fois par une Chambre royale ; Louis XV le remplace enfin par le Parlement Maupeou dont on a tant médit [^4]. Cette mesure, qui fut un des plus grands actes de la Royauté, était aussi une des plus justifiées ; la seule erreur de Louis XV fut de faire crédit au Chancelier d’une énergie et d’un mérite qu’il n’avait pas.

Malheureusement, Louis XVI inaugura son règne par une capitulation qui devait en précéder beaucoup d’autres. Intimidé par ses Parlements de provinces coalisés, il remet en fonction l’ancien Parlement de Paris. L’attitude que prend celui-ci, en 1775, au moment de la « Guerre des Farines », révèle au Roi l’imprudence qu’il a commise.

Lors de l’Affaire du Collier, lorsqu’il entrevoit de nouveau le danger, il veut y porter remède, mais il le fait avec la mollesse et l’incertitude qui le caractérisent. Sur un refus d’enregistrement d’Edits bursaux, il exile le Parlement à Troyes, le 15 août 1787, et le rappelle, le 19 septembre suivant ; deux mois plus tard, il exile Fréteau et le duc d’Orléans, et le 6 mai 1788, il fait arrêter Duval d’Epremesnil et Goislard de Montsabert.

Pendant ce temps, le Parlement de Bretagne, en révolte ouverte, organise sans scrupule l’émeute et la sédition dans les rues de Rennes. Pour rétablir l’ordre, des troupes sont mises en mouvement. Mais ces actes d’énergie, tardifs et maladroitement exécutés, font plus de mal que de bien, prolongent la popularité des Parlements et la portent à son apogée. Ce ne fut que plus tard (en février 1789), lorsqu’ils eurent rempli dans les préparatifs du complot le rôle que les conspirateurs avaient entendu leur donner, que se produisit à leur égard un revirement subit mais auquel ils auraient dû s’attendre.

En voyant leurs ambitieuses prétentions tout à coup déçues, les membres du Parlement — la plupart du moins — eurent enfin conscience de leur faute et de leur aveuglement. Ils comprirent que dans l’œuvre de destruction de la Monarchie qui se tramait, leur part de responsabilité était grande. Leurs regrets et leurs remords, aussi bien que leurs protestations, furent vains : le 3 novembre 1789, la Constituante prolongea leurs vacances, et les 6 et 7 septembre 1790, supprima définitivement les Parlements, en attendant que, sous la Terreur, on supprimât les Parlementaires. —

A côté des Parlements, ne partageant leurs opinions que lorsqu’il s’agit de tenir tête au pouvoir, la foule turbulente des procureurs et des légistes ne cherche, elle aussi, qu’à montrer ses sentiments frondeurs. On voit la résistance des Parlementaires trouver toujours là des approbateurs bruyants et remuants qui, à l’aide de la jeunesse basochienne qu’ils inspirent, savent au besoin manifester dans la rue, agiter la foule, résister au Guet et provoquer des échauffourées propices à entretenir l’état de surexcitation populaire dont, à l’occasion, on pourra tirer profit.

La bohème littéraire qui, à la fin du XVIIIe siècle, forme une légion nombreuse, incessamment grossie par de nouvelles recrues, travaille avec ardeur dans le sens des perturbateurs [^5]. À la solde des ambitions qui cherchent à dominer, elle prépare le terrain, et son rôle consiste principalement à discréditer le pouvoir par tous les moyens, même les plus suspects, et à exalter ceux qui le combattent.

En résumé, que veut-on, que cherche-t-on ? Peu le savent clairement. Les uns désirent comme d’Epremesnil, et suivant l’expression qui lui prête Brissot [^6], débourbonnailler la France pour y faire régner le Parlement ; les autres souhaitent un Roi avec deux Chambres ; quelques-uns parlent déjà de République et prônent la Constitution américaine ; d’autres encore, ce sont les plus nombreux, sans aspirations précises, espèrent d’un désordre quelconque une situation meilleure. En tous cas, tous s’entendent à fronder le pouvoir et sont prêts à marcher derrière quiconque lui tiendra tête. C’est une véritable conspiration qui s’organise : ceux qui en tiennent les fils secrets se réservent de faire naître les occasions favorables et de choisir les moyens à employer pour exploiter et utiliser ces bonnes volontés latentes.

En attendant, la propagande s’étend de plus en plus : afin de pouvoir entretenir sans danger une agitation indispensable, on ne manque pas de séduire les naïfs qu’on endoctrine en les réunissant mystérieusement sous les prétextes les plus inattendus : le magnétisme en est un. Dans la conspiration, Mesmer et Cagliostro ont leur emploi [^7].

Mais, si cet état d’esprit parvient à se généraliser avec autant de rapidité et aussi impunément, l’influence maçonnique en est la cause. C’est bien elle qui l’inspire, le développe et le protège.

La Franc-Maçonnerie s’était introduite en France à la fin du XVIIe siècle avec les régiments écossais et irlandais. D’origine anglaise, la Franc-Maçonnerie française, d’abord exclusivement jacobite, fit ses premiers adhérents à Paris, vers 1725 ; la plupart étaient des officiers. À partir de cette époque, nous la voyons envahir successivement les diverses classes sociales : noblesse, parlements, clergé, hommes de lettres, bourgeoisie et basoche [^8].

En 1780, il y a 72 loges de régiments, sans compter les officiers qui fréquentent les loges civiles. En 1770, les Parlements ont leurs loges spéciales à Toulouse, Aix, Grenoble, Besançon, Nancy, Rouen, Rennes, Poitiers, Tours, Orléans… À défaut de loges particulières, leurs membres sont inscrits dans les loges locales. Le clergé janséniste et gallican les imite. Les intellectuels du XVIIIe siècle ont leurs loges ainsi que les bourgeois. Au début, les maîtres de loges sont le plus souvent des tenanciers de cabarets : par la suite, les Francs-Maçons, en les remplaçant par des Vénérables, firent des choix plus relevés.

La Franc-Maçonnerie, en envahissant le Parlement, exploite utilement ses tendances à l’opposition : c’est à dater de ce jour que cette dernière se transforme et se déclare en rébellion ouverte.

À partir de 1771, des éléments nouveaux s’infiltrent dans les loges. Ce sont : le barreau et la basoche, les procureurs fiscaux et seigneuriaux, les pires engeances de l’ancien régime.

En 1742, une partie de la Franc-Maçonnerie était devenue momentanément nationale avec la Grande Loge de France. Lorsque le Grand-Orient s’installe en 1771, la Grande Loge n’abdique pas encore, et au moment de la Révolution il y avait deux grands courants maçonniques très distincts. Si, en 1784, environ 800 loges reconnaissent l’autorité du Grand-Orient, 170 se réclamaient de la Grande Loge. En 1788, il n’y aura plus que 300 loges environ en vigueur, et parmi les ateliers et chapitres survivants, un grand nombre d’adhérents s’abstiendront de toute fréquentation.

Mais la Franc-Maçonnerie gagnera en intensité ce qu’elle aura perdu en nombre. Dès lors, deux tendances se manifestent : un groupe, poursuivant des réformes, lutte contre un groupe nettement révolutionnaire. Le premier a son centre à la loge du Contrat Social, il a adopté le rite d’Hérodom de Kilwinning ou celui de la Stricte Observance ; le second triomphe au Grand-Orient, où dominent les Philaléthes avec la loge des Amis réunis. Les deux groupes, sous l’influence des financiers genevois protestants, furent entraînés dans les doctrines des Illuminés de Bavière.

Les uns veulent faire l’assaut du pouvoir, sans précipitation, par l’emploi de mesures modérées, les autres entendent s’emparer de l’autorité, sans délais, par n’importe quels moyens, même les plus violents.

Avec les seuls Parlementaires, la Révolution eût peut-être triomphé par des procédés d’apparence régulière et en usant de quelques ménagements ; avec les rongeurs des tribunaux, les procédés furent plus brutaux, le but plus destructeur. Pour le maçon parlementaire, un changement de dynastie est suffisant ; pour le maçon basochien, il faut une réforme radicale, le but est déjà la République. L’un et l’autre tombèrent cependant d’accord sur un point : provoquer un mouvement qui placerait à la tête du pouvoir exécutif le duc d’Orléans, Grand-Maître de la Franc-Maçonnerie, en qualité de Lieutenant général du royaume. Aux yeux des Parlementaires, ce résultat aurait amené le changement de dynastie désiré par le plus grand nombre d’entre eux ; aux yeux des autres, c’était un pont jeté sur le fossé ; on le franchirait et on aviserait ensuite.

En dehors des loges, l’esprit égalitaire maçonnique a aussi envahi l’esprit et la conscience des personnes non initiées. Les Musées, les Lycés, les Athénées, les Sociétés littéraires, sont des centres maçonniques, dirigés par des initiés, où fréquentent des gens qui ne le sont pas. C’est là où se pétrit la mentalité nouvelle, où l’on fabrique l’opinion.

C’est pour ces causes que l’action maçonnique est si difficile à percevoir, à comprendre, à exposer et à prouver. Ceux qui la contestent dans les événements de la Révolution, objectent que « la secte était monarchique, franchement monarchique » [^9], et ils invoquent comme argument que tout le personnel de la Cour et une partie du Clergé étaient affiliés aux loges. Mais ils n’ont pas voulu avouer que ce fut là que la Franc-Maçonnerie puisa sa force et le moyen d’atteindre son but.

Ces éléments, quelles que fussent leurs attaches sociales, subissaient l’influence des procédés et de la discipline maçonniques : le plus grand nombre s’aperçut où on le menait et se retira ; d’autres restèrent, soit par sottise, soit par intérêt, soit par peur. Imprudents ou aveugles, dupes ou non, les monarchistes maçons avaient en tout cas contribué à l’affermissement de cette association, et les conspirateurs qui en faisaient tous partie, trouvèrent en eux un appui peut-être involontaire, mais néanmoins suffisamment efficace pour leur permettre de passer par la brèche que les premiers avaient ouverte.

Le rôle de la Franc-Maçonnerie dans les événements de 1789 se manifeste par la présence des membres de la secte dans les rangs révolutionnaires à la place qui convient et à l’heure opportune ; nous apporterons la preuve en signalant les membres des loges chaque fois que nous les rencontrerons au cours des événements.

L’esprit maçonnique ne se manifeste pas, du reste, chez tous les initiés, de façon identique.

Le Maçon est un metteur en œuvre, il n’est pas un outil ; tête, il ne veut pas être le bras. Dans une opération bien menée, le responsable devant les lois n’est jamais un Franc-Maçon.

Les outils ? Où sont-ils ? Que sont-ils ?

C’est l’homme à talent, l’inconscient auquel on a soufflé des idées et qui les proclame ; il n’est peut-être pas maçon, mais comme il est encouragé par la secte qui lui fait une destinée, voilà celui qui aura mission de dénoncer ce qu’on appellera les abus et d’évangéliser la foi nouvelle.

C’est l’initié dans le bas grade, riche ou influent, qu’on a recueilli pour qu’il ne soit pas un obstacle. On compte bien le paralyser ou l’étouffer avec son serment ; orateur il se taira, soldat il arrivera trop tard, témoin il n’aura pas vu, juge il n’aura pas entendu ; on n’a pas enchaîné son corps mais asservi sa volonté.

C’est le cerveau exalté, l’esprit déséquilibré ; nature souvent courageuse, loyale même, mais esprit faussé, enfant perdu de la Maçonnerie. Illuminé ou Philalèthe, la secte le renie, mais elle le recueille ; elle ne le connaît pas, mais elle le pousse.

C’est aussi la brute ivre et féroce, sortie du pacte social ; le fou qui tue par plaisir, qui triture sa victime par jouissance. Qu’on mette sa criminalité en rut, et on est certain que toute victime désignée sera étranglée.

C’est encore le maçon kabbaliste ou métaphysicien. Véritable fakir en contemplation devant un sac rempli de cailloux qu’il secoue perpétuellement, annonçant qu’il fabrique un trésor qui ne verra jamais le jour. Ce genre de maçon, qui fait ce qu’on appelle du travail de loge, est le plus souvent un ignorant et un esprit médiocre dont la cervelle roule à vide, qui remue des idées comme le fakir ses cailloux ; idées cosmogoniques, philosophiques, scientifiques qui ne peuvent être étudiées que par un Pascal, un Descartes ou un Newton ; il triture en vain ses nombres kabbalistiques et se lance dans des hypothèses et des conclusions hors de sa portée ; il s’imagine qu’il arrive à comprendre l’Infini et se substitue à la Divinité. Il ne faut pas croire que ce doux maniaque soit inoffensif ; si on le dérange dans son travail ou si l’on discute ses idées abstraites, il deviendra féroce, et féroce convaincu. Il compose des rituels, combine des nombres et des figures géométriques, invoque le dieu Pan, Pythagore, Averrhoès, Moïse de Léon, Pic de la Mirandole, Reuchlin, Guillaume Postel, Bacon, Ashmole, Swedenborg, Martines de Pasqually ou Saint-Martin, et fort de ces références, il exhibera les théories les plus dangereuses qu’il poussera jusqu’au bout, dût la société en mourir.

C’est enfin l’historien qui viendra après coup dénaturer les faits, répandre la calomnie et au besoin souffleter les cadavres ; cœur factice, intelligence travaillée, conscience frelatée, pour peu qu’il ait de talent, la secte s’en emparera. Au nom de l’amour, de la vertu, de l’humanité, elle le chargera de glorifier des actes qui, jusque-là, passaient pour des crimes, et les mêmes procédés hypocrites qui, dans les jours de troubles, ont fait couler le sang à flots, serviront en temps de paix à maquiller la vérité et à voiler la réalité.


PREMIERE PARTIE

LES PRÉPARATIFS

CHAPITRE PREMIER

LES PREMIERES TENTATIVES

I. La Guerre des Farines ; conspiration organisée. — Rétablissement de l’ordre. — Nouvelle tactique. — II. L’affaire de la place Dauphine, nouvel échec. — Le Code national ; plan maçonnique : le meilleur des rois et la pire des reines ; corruption des troupes.

Au commencement de l’année 1775 eut lieu la première répétition du drame qui devait se jouer en 1789 [^10]. L’insurrection, connue sous le nom de Guerre des Farines, éclata avec les mêmes symptômes et sous les mêmes prétextes que la conspiration révolutionnaire.

En 1775, après un premier soulèvement réprimé en Champagne et en Bourgogne, on voit des bandes d’individus se rassembler à Versailles, à Saint-Germain et dans les environs. À Vernon ils enlèvent les blés d’un nommé Planter et essayent de le pendre [^11]. D’autres émeutiers surgissent à Paris et pillent les boulangeries : ils crient à la disette et à la cherté du pain. On découvre dans ceux qu’on arrête des aigrefins déguisés en paysans et des portefaix les poches pleines d’argent.

Les procédés qu’on verra employer en 1789 sont déjà en usage ; de faux arrêts du Roi sont répandus dans les campagnes ; des placards contenant des accusations mensongères et réclamant des têtes sont affichés à Paris et à Versailles. Dans cette ville, la sédition prenait un caractère alarmant pour la famille royale. Mais des mesures sévères avaient été prises : Turgot, qui était alors Ministre, montra de la tête, fit preuve d’énergie et sut en inspirer au Roi. On fit des rassemblements de troupes importants, dont ceux de 1789 ne furent que la reproduction.

A Versailles, le Roi avait ordonné à tous les boulangers de donner tout leur pain à 2 sols la livre en leur promettant de les dédommager. Mais les troubles ayant recommencé le lendemain, les Gardes de la Maison du Roi répandus dans tous les quartiers de la ville, dispersèrent les mutins sans tuer personne, en montrant une attitude ferme et décidée et en déclarant qu’ils avaient ordre de tirer au premier mouvement [^12]. Les Gardes-françaises, sous les ordres du Maréchal de Biron, étaient appuyés par 3.000 hommes de cavalerie et les Gardes-suisses.

La tentative de 1775 eut encore avec l’insurrection de 1789 un autre point de ressemblance qui, pour être peu connu, n’en est pas moins caractéristique. Le bruit courut que les émeutiers allaient faire le siège de la Bastille. Avisé de ce projet, le Maréchal de Biron donna l’alerte à M. de Jumilhac, le Gouverneur, dans la nuit du 8 au 9 mai, et tint sur pied jusqu’au matin le régiment des Mousquetaires [^13].

Toutes les troupes étaient prêtes à faire leur devoir. La tentative avorta et tout rentra dans l’ordre.

Comme toujours, des comparses secondaires payèrent pour les meneurs. Un nommé Carré, chef de gobelet du comte d’Artois, pris au moment où il encourageait les séditieux de Versailles, fut condamné, mais obtint grâce de la vie ; deux autres émeutiers furent pendus à Paris [^14]. C’est à quoi se borna la répression. Le Roi accorda peu après une amnistie et les poursuites cessèrent. Mais on s’était bien trouvé en présence d’une véritable conspiration, et Bachaumont enregistre qu’« on entend des gens qui semblent désirer une révolution, qui parlent de guerre civile et n’attendent par là qu’un changement de sort [^15] ».

Le Parlement avait dans cette circonstance pris l’attitude qui lui était devenue habituelle. Aussitôt les troubles, il avait voulu intervenir et s’était assemblé. Louis XVI le fit remercier de son zèle par Turgot dans une lettre où il déclarait qu’il entendait se charger seul de cette affaire. Lorsque, le 4 mai, il réunit en Lit de Justice tous les Princes et le Parlement, il déclara que le prix du pain ne serait diminué qu’en proportion de la cherté des grains et que, d’autre part, les mutins de la sédition seraient jugés prévôtalement. Les Parlementaires, alléguant leurs prérogatives de Haute Police, réclamèrent la révocation de ce dernier ordre ; mais ce fut en vain.

Le calme se rétablit et le Roi proclama l’amnistie des autres coupables. Ceux-ci et le but qu’ils poursuivaient lui furent-ils connus ? On ne saurait l’affirmer ; toujours est-il que dans l’adresse qu’il fit lire dans chaque paroisse par l’intermédiaire des curés, on remarquait cette phrase : « Lorsque mon peuple connaîtra les auteurs des troubles, il les verra avec horreur ; loin d’avoir en eux aucune confiance, quand il saura les suites de cette affaire, il les craindra plus que la disette même. »

D’autre part, Turgot, frappé de la mollesse du Lieutenant de police Le Noir, dans la répression de l’émeute, n’hésita pas à demander sa destitution. Il fut remplacé par Albert, ancien intendant de commerce.

L’échec de l’insurrection dont nous venons de parler servit de leçon aux conspirateurs. Ils comprirent que leur plan n’était pas assez mûr et les circonstances insuffisamment favorables pour tenter un mouvement utile. Ils se rendirent compte que la Maison militaire du Roi et l’armée d’une part, de l’autre le Ministre et son principal auxiliaire l’Intendant de Paris, avaient été les obstacles à la réussite de leur projet. Ils s’aperçurent aussi que la fermeté que Louis XVI avait montrée dans ces circonstances n’était qu’apparente et qu’elle dépendait plus de son entourage que de son propre caractère : ils observèrent facilement qu’au lieu de le combattre de front et personnellement, il y aurait avantage, en exploitant ses vertus et sa bonté, à obtenir de lui des actes de faiblesse qui entraînaient d’eux-mêmes la Royauté à sa déchéance.

Dès lors la tactique consiste à circonvenir le souverain et à éloigner du trône sa force et ses appuis.

On multiplie les occasions de proclamer Louis XVI le « meilleur des Rois », mais on attaque avec rage tout ce qui l’entoure. On parvient à faire réformer et diminuer sa Maison militaire et on travaille sans relâche à gagner l’armée. La Franc-Maçonnerie, qui est au zénith de sa puissance, s’emploie à grouper et à endoctriner [^16]. Elle a à sa tête un prince de la Maison de France, qui l’encourage et lui donne l’appui de son nom autour duquel se rallient tous les intrigants : c’est le duc d’Orléans, ambitieux sans énergie et jouet, parfois conscient, de conseillers pervers.

Telle était la situation, lorsque, au milieu des complications de toute nature qui surgissaient, fut décidée la convocation des États-Généraux, qui depuis 1614 n’avaient pas été réunis.

Le champ allait s’ouvrir plus largement aux intrigues et aux manœuvres des conspirateurs. Il importait avant tout que les plus influents et les plus audacieux d’entre eux fussent envoyés aux États par leurs provinces. Pour arriver à ce but, les procédés les moins honorables sont employés par quelques-uns. Mirabeau, qui n’a plus d’argent, use cyniquement de chantage et sous menace d’attaquer le ministère, il sollicite de celui-ci, par l’intermédiaire du duc de Lauzun, des fonds qui doivent l’aider à être élu en Provence [^17]. Le duc d’Orléans, par un subterfuge, parvient à se faire reconnaître député de la noblesse du Valois [^18].

Le terrain était bien préparé, mais qu’allait-il sortir de la lutte décisive qui allait s’engager ? Serait-ce pour la conspiration le triomphe ou la défaite ?

Dès 1788, les conjurés avaient eu le moyen de mettre à l’épreuve leurs chances de succès : ce fut à l’occasion de l’émeute dite de la place Dauphine. Ils purent conjecturer de la tournure que prit cet événement que l’appui du Parlement et de la Basoche leur était acquis ; en outre, si l’attitude des Gardes-françaises, qui assurèrent brutalement la défaite de la sédition, les surprit et les déconcerta, elle leur démontra que sans cette troupe les forces de police eussent succombé. Ce fut encore pour eux une leçon utile : ils surent en profiter et ne négligèrent rien pour gagner à tout prix l’armée ; nous verrons qu’ils y réussirent au delà de leurs espérances.

Il pourrait paraître téméraire en tirant argument d’une simple énumération de faits, d’affirmer que les événements de 1789 ont été le résultat d’un plan concerté par des conspirateurs et que ces conspirateurs étaient francs-maçons, si ce plan n’avait été exposé tout au long, dès 1788, par un membre du Grand-Orient ; l’on peut à bon droit s’étonner que ce document n’ait pas encore été signalé [^19].

Il Au mois d’octobre 1788 parut à Genève (Paris), sans nom d’auteur, un ouvrage intitulé : Code National, dédié aux États-Généraux [^20]. On sait que c’était l’œuvre d’un avocat au Parlement de Paris, nommé Charles Pierre Bosquillon [^21]. Dès les premières lignes de l’avant-propos, l’auteur révèle sans ambages le but de sa publication : « C’est de faire connaître, tant aux citoyens ordinaires qu’aux gens en place, quelles sont les véritables bornes de l’autorité royale. »

Le Code National fut écrit peu après l’affaire de la place Dauphine. C’est un ouvrage essentiellement maçonnique dans ses doctrines et dans ses procédés. Pour les Francs-Maçons, le Roi n’est pas à craindre : l’ennemi, c’est la Reine : aussi, après avoir étudié l’étendue et l’intensité du pouvoir royal, il pose, en l’appliquant au Roi, ce problème que le maçon en travail de loge pose aux nouveaux initiés : « Dieu peut-il se suicider ? » Il conclut à la négative et en profite pour attaquer la Reine.

Puis il dévoile très clairement le plan de campagne à suivre, la manière de préparer la nation dans le cas où l’armée interviendrait, comme il est présumable, pour défendre le trône. D’ores et déjà il est entendu que ce ne sera pas le Roi mais son entourage que l’on devra rendre responsable de l’appel des troupes.

« Apparemment qu’avec des troupes, les Ministres se flattent de renfermer dans les cœurs ce levain d’indignation que fait à bon droit fermenter leur conduite violente. Mettant des armées de citoyens entre eux et les peuples, ils espèrent peut-être pouvoir se dérober à l’explosion de la vengeance publique qui menace leur tête coupable. Vain espoir, il les endort à côté du précipice prêt à s’entr’ouvrir sous leurs pas. Ils trompent le Roi, s’ils sont parvenus à lui persuader que les militaires oseront tous percer de la baïonnette leurs femmes, leurs enfants, leurs concitoyens, pour les faire courber, ainsi qu’eux, sous le même joug. » (p. 149.)

Et il ajoute en note :

« On n’a trouvé cette disposition affreuse que dans le Guet de Paris et le régiment des Gardes-françaises. Aussi le gouvernement a-t-il cru devoir donner à ces deux corps, qui vont actuellement de pair, des preuves d’une satisfaction authentique : le chef du premier, le sieur Dubois, a reçu pour récompense des massacres de la place Dauphine, de la Grève, de la rue Meslay, le grade si bien mérité de Maréchal de camp. À l’égard du second, la place de Major étant devenue vacante, on en a gratifié le sieur d’Agoult, en mémoire de l’enlèvement de MM. d’Epremesnil et Goeslard et des meurtres commis par sa troupe et sous ses ordres dans les rues Saint-Dominique, du Harlay, des Mathurins et autres lieux [^22] » (p. 149 note).

Puis il reprend l’exposé de son plan :

« Ils trompent le Roi, si, taxant de rumeur particulière un soulèvement général, ils ont osé lui donner le conseil atroce de faire marcher 200.000 hommes qu’ils disent être à ses ordres, contre 24 millions de sujets [^23]. Ils trompent, en un mot, le Roi par le soin qu’ils prennent de lui cacher les droits imprescriptibles de la nation, et n’exposent que trop leur maître à recueillir les fruits bien amers d’un soulèvement total dont ils sont plus encore les auteurs que les complices. » (p. 146.)

Enfin, dans un chapitre spécial (XX, p. 176) intitulé Des Bornes de l’obéissance due par les militaires au Roi, il observe que ceux-ci sont citoyens avant d’être soldats et, dans un dithyrambe qui n’a pas moins de 25 pages, il prétend dissiper les scrupules qu’ils pourraient avoir à parjurer le serment de fidélité qu’ils ont fait au souverain. Il les exhorte à ne pas se servir de leurs armes contre le peuple, en leur faisant entrevoir « pour eux les effets de la reconnaissance nationale et pour leur famille la gloire dont ils hériteront dans le cas où ils succomberaient ». (p. 178-179.)

Ce programme parut, nous l’avons dit, en 1788. Ne le croirait-on pas écrit en mars 1789 ? N’est-ce pas lui qui fut exécuté en juin et juillet ? Mêmes griefs : calomnies contre la Reine, complot hypothétique de la Cour contre la Nation. Même tactique : troubles locaux répétés, corruption des troupes, récompenses publiques aux déserteurs.

CHAPITRE II

LES CONSPIRATEURS

I. Associations révolutionnaires : composition, propagande, procédés, divergences. — Le désordre organisé. — Les frères Lameth. — II. Le Club Breton et les francs-maçons. — III. L’Assemblée nationale. — Les Électeurs représentent une infime minorité ; ils prorogent leurs pouvoirs. — Indifférence de l’autorité. — IV. Le comité insurrectionnel maçonnique. — Le patronage des Loges étrangères. — V. Le duc d’Orléans ; son rôle maçonnique ; son état-major. — Le Palais-Royal. — Les responsables.

I

Les associations révolutionnaires qui se sont formées et les groupements qui se sont précisés vers la fin de 1788, ou même avant, ont été connus par les récits des acteurs qui ont joué les principaux rôles dans l’insurrection de 1789. Des membres de la Noblesse et de la Bourgeoisie furent à la tête du mouvement.

Les Mémoires ou la Correspondance de beaucoup d’entre eux, tels que Mirabeau, Lafayette, Biron, Lameth, Sieyès, nous les ont fait connaître. Le dernier, en persiflant plus tard certaines de ces sociétés, disait : « C’était l’ouvrage de gentilshommes et de cette portion d’hommes de Cour qui, négligés par la Reine, se fatiguaient de jalousies et d’intrigues contre les possesseurs heureux des crédits et des grâces [^24]. »

Lafayette, qui fréquentait les sociétés visées par Sieyès, a riposté à cette attaque en reprochant au célèbre abbé son ingratitude à leur égard, « car, observe-t-il, c’était aux frais de plusieurs de leurs membres qu’on avait répandu des pamphlets populaires et nommément celui de Sieyès (Qu’est-ce que le Tiers État ?) avec beaucoup d’autres qui, sans être aussi bons, ont eu de l’influence dans les provinces [^25]. » Pour ceux qui doutaient encore de la provenance de l’argent qui servait à payer les pamphlets, l’aveu est bon à retenir. Lafayette conteste en outre qu’il n’y ait eu que des mécontents dans la société qui se réunissait chez Adrien du Port et était à la fois « la plus distinguée et la moins nombreuse ». D’après lui, le terme de mécontents ne pouvait s’appliquer à La Rochefoucauld, Lacretelle, La Tour-Maubourg, Target, du Port, Le Noir, Tracy, etc. Il revendique aussi pour cette association le mérite d’avoir, « bien avant l’Assemblée des Notables, avant 1788, convenu de réclamer la double représentation du Tiers et concouru par ses opinions et par ses écrits à ce mouvement d’opinion publique qui, d’après l’aveu de Necker lui-même, le détermina à proposer au Roi, le 2 novembre 1788, d’accorder cette double représentation. »

Une autre société, dont faisait aussi partie le futur commandant de la Garde nationale, était celle qui s’assemblait chez Bergasse dans la maison de Kornmann. Ce dernier, au dire de Brissot, consacra presque toute sa fortune à publier une foule d’écrits qui, en 1787 et 1788, parurent contre le ministère et dont un grand nombre était dû à Gorsas, Carra et Brissot [^26]. D’Epremesnil [^27] et l’abbé Sabathier comptaient parmi les habitués de la Société Bergasse. Organisée sous couleur de recherches relatives au magnétisme, elle s’est occupée de tout autre chose et a, dit Brissot, « accéléré la Révolution. »

Alexandre Lameth, dans son Histoire de la Constituante, parle aussi d’une autre association qu’il appelle « Société de Viroflay », qu’il donne comme peu connue, « et qui, cependant, dit-il, devra trouver un jour sa place dans l’histoire de la Révolution à laquelle elle a, dans l’origine, assez puissamment contribué [^28]. »

On ne saurait la confondre avec la Société de du Port, car Lameth précise que, ni du Port, ni Target, n’en faisaient partie. Il estime qu’elle avait pris naissance vers 1787 ou 1788 au moment de l’opposition la plus violente des Parlements contre la Cour.

Ce que dit Lameth de cette association semble indiquer qu’elle était bien essentiellement maçonnique. « Elle avait un plan de politique intérieure et extérieure, fondé sur le progrès des lumières. Elle s’était occupée de donner aux élections une direction favorable aux intérêts populaires, et plusieurs de ses membres avaient été élus dans l’ordre de la Noblesse… Cette association peu nombreuse avait des statuts ; on y prêtait un serment qui, pour assurer l’inviolabilité du secret, donnait à la société tous pouvoirs, même les plus illégaux, sur chacun de ses membres… Clermont-Tonnerre en faisait partie… Il vivait dans l’intimité de M. Necker, partageait plusieurs des idées de ce Ministre, mais surtout ses hésitations », observe Lameth, et il ajoute, comme preuve de la dépendance dans laquelle la Société de Viroflay tenait ses adeptes, que Clermont-Tonnerre se serait finalement séparé de la minorité de la noblesse au moment où elle se réunit aux communes, « si plusieurs des membres de la Société de Viroflay n’avaient été chez lui le matin lui rappeler la nature de leurs engagements antérieurs [^29]. » D’après le même auteur, cette association ne se fit plus remarquer lorsque l’Assemblée revint à Paris. Il émet l’hypothèse qu’elle avait cessé d’exister « après la défection d’un de ses membres qui dévoila à la Reine les secrets de la société dont l’opposition à l’alliance avec l’Autriche était une des doctrines fondamentales. »

Jusqu’au 15 juillet, tous les membres de ces diverses associations restent d’accord. Ils ont adopté la marche qui convient pour envoyer les uns ou les autres aux États-Généraux et faire la propagande nécessaire [^30]. Mais là ne s’est pas borné leur rôle : ils ont organisé aussi l’insurrection.

Tout gentilshommes ou bourgeois qu’ils sont, ils ont la responsabilité d’avoir, en inaugurant la méthode de l’émeute et du désordre, donné l’exemple que d’autres suivront bientôt malgré eux et contre eux. Qu’ils le veuillent ou non, ces hommes, les premiers, ont laissé prendre à la Révolution une tournure sanglante : ce sont eux qui ont ouvert toute grande la porte à l’anarchie.

Après la prise de la Bastille, quelques-uns essayent d’enrayer ou de diriger l’impulsion qu’ils ont donnée, mais ils n’en sont plus maîtres [^31]. D’autres ne prennent que plus tard la même attitude.

Lafayette, qui se vante d’avoir contribué à l’insurrection de Juillet, « la première et la dernière qu’il ait voulue [^32] », déclare qu’à partir du 15 il s’est séparé de du Port et des Lameth : « Son opinion était qu’il fallait désormais rétablir l’ordre, et tout lui démontrait que ces messieurs persistaient à vouloir le désordre afin de sillonner profond, comme disait du Port [^33]. »

L’organisation du désordre fut le moyen et la force des conspirateurs de 1789 [^34].

Parlant du désarroi qui régnait dans les finances, Bailly avoue que l’assemblée des Électeurs de Paris, en enjoignant expressément à ses députés de ne voter aucune mesure fiscale avant le vote de la constitution, avait entendu prendre une précaution de sûreté pour la nation. « Celle-ci, dit-il, n’avait de moyen de force et de résistance que dans ce désordre même : il ne fallait donc le faire cesser qu’au moment que ses droits seraient reconnus et sa constitution assurée [^35]. »

S’interdire par calcul de faire cesser le désordre, c’est se montrer disposé à l’entretenir et à le provoquer. C’est bien ce principe général qui fixe la ligne de conduite des factions de toutes nuances qui forment à cette époque, la phalange des adversaires du pouvoir. Quelques modifications qu’aient subies plus tard les opinions de beaucoup d’entre eux, chacun des conjurés de 1789 a obéi à ce mot d’ordre selon son tempérament et ses moyens.

Mirabeau, qui est passé expert dans l’art de remuer la populace et de la faire évoluer à son gré, n’est pas seul à faire cette besogne.

Deux des frères Lameth, qui seront bientôt les fondateurs du Club des Jacobins, s’entendent à merveille à l’organisation des émeutes violentes. Ils ont à leur solde une bande qu’ils ont formée et qu’ils appellent eux-mêmes le Sabbat, à la tête de laquelle se trouvent des hommes à tout faire, tels que Gilles, Cavallanti et Rotondo [^36].

L’existence de cette association et une partie de son organisation et de ses méfaits nous sont révélés par Lafayette.

II

Parmi beaucoup d’autres Sociétés, Clubs, sous-Clubs qui existent déjà en 1789, ou se forment suivant les circonstances (Club des Arts, Club Social, Club du Jeu de Paume, Société du Palais-Royal, etc., etc.) [^37], il faut citer comme le plus important, parce qu’il englobe tous les autres et les dirige, le Club Breton dont Sieyès dira, bien avant la prise de la Bastille, « qu’on y pratiquait une politique de caverne, qu’on y proposait des attentats comme des expédients [^38]. »

Un de ses membres, Coroller, député du Tiers pour la Sénéchaussée d’Hennebont, en présence de nombreux témoins dignes de foi, a fait, dès le 17 juillet 1789, des aveux significatifs sur le rôle que remplissait le Club Breton dans l’organisation de l’émeute à Paris et en province et les moyens mis en œuvre pour provoquer la défection des troupes [^39]. C’était bien de là que partait le mot d’ordre.

Les fondateurs avaient d’ailleurs fait leurs preuves en Bretagne. C’étaient eux qui, de l’aveu de Coroller, avaient mis cette province en feu depuis deux ans.

Qu’était-ce donc que ce Club Breton ? Où se réunissait-il ? Quelle était sa composition ?

Le Club Breton, fondé à Rennes en 1788, se transporta à Paris dès les premiers jours de 1789. Il tint sa première séance, Hôtel d’Autriche, 23, rue Traversière (rue Molière actuelle), le 16 janvier.

Parmi ses membres figuraient alors : Le Croisier, recteur de Saint-Paterne de Vannes, Tronjolly, Kervélégan, Delaville-Leroux, Palasne de Champeaux, Varsavaux, Chaillon, Blin, Baco, Corbin de Pontbriant, de Miniac, Jollivet, Boullé, le Déan, Jarry, Giraud-Duplessis, etc. (en tout près de cent). Tous les membres ci-dessus, ainsi que la plupart des autres, étaient francs-maçons.

En mars 1789, les réunions eurent lieu Hôtel Pondichery, 20, rue Traversière, et Hôtel de la Croix-Blanche, rue Saint-Denis.

Il siégea ensuite à Versailles, 36, avenue de Saint-Cloud, au coin de la rue de la Pompe, sur laquelle il portait le n° 44.

On entrait par l’avenue dans un café tenu par le limonadier Nicolas Amaury [^40]. Le local était suffisamment vaste. L’on pouvait tenir des réunions nombreuses dans la salle du pan coupé, au rez-de-chaussée, entre la rue et l’avenue, et les salons de l’entresol se prêtaient aux réunions particulières [^41].

C’est là, à portée de la salle des Menus, lieu de réunion des États, que, dans les premiers jours d’avril, les députés de Bretagne se donnèrent rendez-vous, sous prétexte de se concerter pour la défense des intérêts de leur province, et établir un bureau de correspondance, qui tiendrait au jour le jour leurs commettants au courant des événements des États. Le Club reconstitué par Le Chapelier fut d’abord présidé par Gleizen. Mirabeau, qui en était le porte-parole, y avait la même influence qu’à l’Assemblée [^42].

L’influence maçonnique était considérable, prédominante même au Club Breton, et encore faut-il remarquer que les listes des Francs-Maçons qu’on peut former sont forcément incomplètes et qu’on n’a qu’un minimum lorsqu’on s’abstient de qualifier comme tels ceux simplement désignés par la rumeur historique [^43].

III

La composition de la majeure partie de l’Assemblée avait été décidée et préparée par des groupements semblables à ceux que nous venons d’étudier, et sous l’inspiration du même pouvoir maçonnique. Aussi ne doit-on pas s’étonner que les députés envoyés à l’Assemblée « n’aient pas été choisis parmi les hommes d’expérience capables de comprendre la difficulté aussi bien que la nécessité d’une grande réforme »… « Pas un ancien ministre, dit encore Taine, pas un intendant sauf Malouët, — et par la supériorité de celui-ci, l’homme le plus judicieux de l’Assemblée, — on peut juger des services qu’auraient rendus ses collègues. » Les députés des trois ordres seront pour la majeure partie choisis seulement dans les rangs des opposants au pouvoir ; c’est cette qualité qui leur donne une certaine popularité et leur vaudra leur mandat. [^44]

Gentilshommes envieux de la noblesse de cour d’un côté, d’autre part avocats inconnus, gens de loi subalternes, médecins, bourgeois philosophes, curés de condition et d’instruction médiocres, tels sont les principaux éléments qui, avec un certain nombre d’ambitieux dont l’imagination, le talent et l’audace ne peuvent suppléer au défaut d’expérience, de bon sens et de réflexion, sont chargés de faire le Grand Œuvre souhaité.

« Autant vaudrait prendre onze cents notables, observe encore Taine, dans une province de terre ferme pour leur confier la réparation d’une vieille frégate ; ils la démoliront en conscience, et celle qu’ils construiront à sa place sombrera avant de sortir du port [^45]. »

Démolir la « vieille frégate », c’est en effet à quoi se bornera le rôle des Constituants, dans l’accomplissement du vaste programme qu’ils ont annoncé.

Mais peut-être le mal eût-il été limité et réparable si, à côté de l’Assemblée nationale et au début avec sa complicité, ne s’était élevé un autre pouvoir qui accentua et hâta la marche des événements en s’érigeant en véritable comité insurrectionnel.

Les Électeurs qui avaient été chargés de nommer les députés de Paris n’étaient que les représentants d’un groupe infime de Parisiens. Les citoyens du Tiers, des 60 districts de la capitale, qui avaient les qualités requises pour voter au premier degré et choisir ces électeurs, ne dépassaient pas 45.000 sur une population de 626.376 habitants. Or, c’est à peine si un quart prit part au vote [^46]. Par contre, au lieu de nommer 300 électeurs, de leur propre autorité ils en désignèrent 407 [^47].

Quoi qu’il en soit, une fois les députés aux États-Généraux nommés, le rôle et les pouvoirs des Électeurs étaient terminés, et leur assemblée devait se dissoudre. Il n’en fut rien, et le but de cette illégalité a été avoué. « Avant de passer aux grands jours de notre insurrection, déclare l’un des électeurs, Dusaulx, dans l’Œuvre des sept jours, il convient de jeter un coup d’œil sur ceux qui les ont préparés.

« Les Électeurs de Paris rassemblés à l’Archevêché, dès le 26 avril 1789, eurent la prudence, le 10 mai de la même année, d’arrêter avant de se séparer que leurs séances continueraient à volonté pendant la tenue de ce qu’on appelait alors les États-Généraux… » [^48] et en effet, les représentants des districts continuèrent à siéger dans le local de leurs réunions, à l’Archevêché.

Dès les premiers jours de mai, le Roi aurait dû dissoudre ces assemblées dont l’illégalité fut après les événements de juillet dénoncée par l’Assemblée Nationale elle-même, qui n’avait plus besoin de ces auxiliaires. Louis XVI eut quelque velléité de prendre cette mesure à la suite de la séance royale du 23 juin, mais il temporisa, comme d’habitude, et finit par y renoncer. Les Électeurs, de leur côté, se rassemblèrent dans la salle du Musée de la rue Dauphine, le 25 juin, et c’est dans cette séance que Bonneville [^49] renouvela la proposition, faite par Carra depuis plus de six semaines, de former une milice bourgeoise, et qu’avec un élan d’enthousiasme anticipé, que ses collègues durent calmer, il cria : « Aux armes ! »

Bien loin de mettre fin aux agissements de ces assemblées sans mandat, qui manifestaient une hostilité ouverte contre les pouvoirs légaux, le Roi eut la faiblesse de les couvrir en quelque sorte de sa sanction en leur accordant, sur la sollicitation de M. de Flesselles, Prévôt des marchands, une salle de réunion à l’Hôtel de Ville.

C’est là qu’à partir du 28 juin ils siégèrent à côté des autorités régulières de la ville, représentées par le Prévôt des marchands, le Procureur du Roi Ethis de Corny, le Lieutenant Général de Police Thiroux de Crosne [^50], quatre Échevins sans autorité et sans énergie, Buffault, Sageret, Vergne, Rouen et le greffier en chef Veytard [^51].

Les Électeurs formèrent donc un véritable Comité insurrectionnel dans lequel ils englobèrent bientôt tous ces représentants officiels de l’autorité que nous verrons, à l’exception de Sageret, jouer un rôle dans les événements, soit comme dupes ou victimes, soit comme complices des conspirateurs et des émeutiers.

« Une fois installés à l’Hôtel de Ville où nous fûmes assez tranquilles pendant quinze jours, dit encore l’Électeur Dusaulx, nous eûmes d’intimes rapports avec tous nos concitoyens, avec toutes les provinces du royaume, et déjà se formait cette coalition en présence des troupes ministérielles. »

IV

C’est dans les loges que les membres du Comité insurrectionnel s’étaient, en majeure partie, recrutés. C’est encore là, nous le verrons, qu’on ira chercher les chefs de la milice bourgeoise.

L’élément militaire comme l’élément civil sortira donc en entier de la Franc-Maçonnerie : on ne rencontre presque aucun dirigeant important de l’émeute qui n’en fasse pas partie [^52].

Je reste convaincu que ceux qui étudieront la question après moi découvriront l’initiation officielle, que je n’ai pu constater, pour quelques-uns.

Quoi qu’il en soit et telles qu’elles sont, les listes que j’ai pu dresser prouvent que plus des trois quarts des acteurs de l’insurrection de Juillet appartenaient aux Loges. En constatant cette proportion, si l’on réfléchit que, contrairement à l’opinion courante, tout le monde n’était pas franc-maçon à cette époque, — car il n’y en avait pas plus de deux mille à Paris — on ne peut nier que c’est la Maçonnerie à elle seule qui s’est emparée du mouvement et l’a dirigé.

Dans la coulisse, les Loges d’Allemagne observent et conseillent. Les deux Brunswick [^53] et Charles de Hesse s’accordent avec de Moltke et Sellonf, qui représentent les Loges de Danemark et de Suisse. Au-dessus de ces chefs d’armée, la grande Loge d’Angleterre intervient avec le calme nécessaire, calme que n’ont pas les Allemands, trop engagés dans la mêlée.

Et lorsque les Loges françaises auront accompli leurs premiers hauts faits, c’est un des membres les plus importants de la Maçonnerie anglaise, Lord Stanhope [^54], qui, au nom de la Société des Amis de la Révolution de Londres, dont il est président, adressera (octobre 1789) à l’Assemblée Nationale des félicitations « sur l’exemple glorieux que donne la France » [^55], tandis que, pour rendre hommage aux émeutiers de Juillet, on fournit comme sujet de dissertation, aux élèves de Cambridge : la Prise de la Bastille [^56].

V

Le duc d’Orléans est le chef apparent de la Maçonnerie française. Sa situation, son rang, son caractère en font une couverture utile à ceux qui dirigent réellement la secte. Comme tant d’autres, il croira se servir de la Maçonnerie pour arriver à son but, alors que c’est la secte qui l’emploiera pour accomplir ses desseins [^57].

Lorsque le 24 janvier 1772 la fraction bannie de la Grande Loge l’avait appelé à succéder au Comte de Clermont, elle l’avait installé dans ses fonctions, le 28 octobre 1775, à la Folie Titon de la rue de Montreuil [^58]. Au titre de Grand Maître de l’Ordre Maçonnique en France, il joignit celui de Souverain Grand Maître de tous les Conseils, Chapitres et Loges écossaises de France, etc…

Le duc d’Orléans assista très rarement aux séances du Grand-Orient ; mais toutes les Loges qui en dépendent, lorsque le duc fera des voyages, le recevront avec grande pompe. Dans toutes ces fêtes, il ne semble avoir rempli que des fonctions honorifiques, et nous ne le voyons pas participer au travail de Loge.

Par contre, il préside souvent des réunions maçonniques privées pour lesquelles il a fait installer, dans la cour des Fontaines, une petite loge richement décorée [^59] et quelquefois assiste à ces tenues, dans sa Loge de Monceau, sous le titre de Saint-Jean de Chartres. Enfin, à la veille des événements, le 20 avril 1789, c’est lui qui présidera les travaux de la Mère-Loge du rite écossais du Contrat social.

Cette Loge fut une de celles qui montrèrent la plus grande activité avec le Grand-Orient, les Amis réunis, la Réunion des Étrangers, Saint-Louis de la Martinique, les Frères réunis, le Choix et le Centre des Amis. Cette dernière, constituée à la veille de la réunion des États-Généraux (25 avril 1789), fonctionnera pendant toute la Révolution, même pendant la Terreur.

Homme de plaisir avant tout, sans énergie, ne payant jamais de sa personne, le duc d’Orléans se laissera circonvenir par les conspirateurs qui s’en serviront à leur gré, tout en le méprisant, et, en flattant à la fois ses haines et ses vagues ambitions, ils s’assureront de son appui et de sa complicité dans l’œuvre de destruction qu’ils ont entreprise. C’est lui qui est à la fois la raison sociale et le bailleur de fonds de la troupe qui opère. Dans la coulisse, le metteur en scène, le sombre Laclos [^60], pousse sans relâche au drame la pièce qui se joue. Mirabeau, le puissant athlète, dont on se dispute l’appui et qui ira à l’un ou l’autre parti suivant son intérêt, remplit le premier rôle. Après lui figurent des comparses de moindre envergure, tels que La Touche, le comte de Shée, Sillery [^61], le vicomte de Noë, le marquis de Vichy, le marquis de Lasalle, du Port, Osselin, Vauvillers, Roëttiers de Montaleau, Savalète de Lange, Palloy, Rossignol, Joachim Ceyrat, Mathieu de Lepidor, et tous ces gens-là agissent au nom du duc d’Orléans, le font parler ou se taire, suivant les besoins.

Il est naturel que ce soit aux portes de la demeure de ce Prince et sous son œil bienveillant et protecteur, dans les jardins du Palais-Royal qu’il a ouvert au public depuis quelques années, que se donnent rendez-vous ceux qui ne sont encore que dans les bas grades de la bande révolutionnaire, mais que leurs dispositions naturelles, leur audace, leur situation de besogneux, bien plus que leurs convictions, ont fait désigner pour prendre un contact plus direct avec le peuple, le quatrième état, qu’il s’agit d’émouvoir, car sans son intervention, on ne pourra rien faire.

C’est par ces adjudants que l’État-Major de l’Émeute lui transmet ses dernières résolutions : ce sont eux qui sont chargés de l’exciter, de diriger ses mouvements, de lui faire connaître les noms de ses soi-disant ennemis que l’on charge de tous les crimes, et de ses prétendus amis à qui l’on attribue toutes les vertus. C’est au Palais-Royal que des orateurs improvisés, sans scrupules sinon sans talent, enflammeront les badauds, leur suggéreront l’opinion qu’il convient d’avoir et les détermineront parfois, quelque braves gens qu’ils puissent être, à se joindre aux repris de justice et à tous les chercheurs de basses aventures qui, avec les filles, fréquentent ces parages, et qu’à l’aide de quelque argent, des sergents recruteurs ont facilement embrigadés en groupes prêts à toutes les besognes [^62].

C’est aussi là qu’on peut se procurer les pamphlets les plus immondes et les plus incendiaires, tous anonymes, distribués, la plupart du temps, gratuitement et imprimés aux frais de ceux qui dirigent l’insurrection.

Bailly estime que « le Palais-Royal était le théâtre des premières agitations utiles » ; mais un jour viendra où, devenu Maire de Paris, il jugera à son tour que « c’est un objet d’inquiétude pour une administration qui désirait sincèrement ramener la paix dont tout le monde avait besoin [^63]. » Alors, sur son ordre, des patrouilles parcourront le jardin et arrêteront sans hésitation les perturbateurs, ce qui lui vaudra le reproche « de chasser le patriotisme par le patrouillotisme [^64]. »

Bailly était bien de la catégorie de ces hommes qu’on rencontre à toutes les époques de l’histoire, essayant, mais en vain, d’éteindre le feu que, par naïveté, conviction ou fantaisie, ils ont volontairement allumé. Nombreuse fut, en 1789, la foule de ces honnêtes incendiaires.

La liste en est facile à établir. Necker, par ordre de date, peut y figurer en tête. Puis, avant beaucoup d’autres, y brillent les représentants des plus grands noms de France : Montmorency, La Rochefoucauld, Noailles, Broglie, Clermont-Tonnerre, etc., etc.

En les entraînant derrière elle, la faction dite d’Orléans les a rendus complices de ses funestes et ténébreuses menées, dont les misères, les ruines et les hécatombes sanglantes de la Révolution ont été la conséquence.

Ils ont contribué à diminuer et à paralyser irrémédiablement l’autorité royale, alors que leur devoir eût été de la soutenir et de la défendre, dès qu’ils l’avaient vu attaquer.

Leur participation à l’insurrection de Juillet, l’appui moral ou effectif qu’ils ont apporté à l’émeute a rendu son triomphe décisif [^65]. L’histoire peut dire aujourd’hui s’ils ne sont pas de ce fait responsables d’avoir créé les circonstances qui ont permis aux Camille Desmoulins, aux Danton, aux Marat, aux Robespierre et à tant d’autres dont l’humanité aurait pu se passer, d’entrer en scène et de jouer leur sinistre rôle.

CHAPITRE III

LES DÉFENSEURS NATURELS DE LA ROYAUTÉ

I. Le premier Ministre Necker. — Ses accointances avec les conspirateurs. — II. L’armée ; l’esprit nouveau des chefs. — Le groupe des Américains. — III. L’Administration : les Intendants, leur origine, leurs fonctions. — IV. Le service des subsistances. — La légende du Pacte de famine. — La désorganisation. — V. Le mécanisme du service des approvisionnements. — VI. La législation des grains. — Difficultés matérielles.

Dans d’aussi graves moments, de quel côté le Roi peut-il tourner ses regards pour trouver des conseillers et des défenseurs ?

Tous ceux qui sont susceptibles de le faire sortir de son apathie et de provoquer des mesures énergiques, les conjurés les lui dénoncent comme suspects et portent contre eux les pires accusations. Les conjurés aussi l’ont conduit à rappeler près de lui, par une pression sur l’opinion publique et des exclusions successives, un Ministre dont le caractère répond à leurs projets. Necker, par son gendre [^66] et par son frère [^67], qui sont des leurs, s’inspirera de leur volonté.

Il est bien l’homme à talents dont nous avons parlé, auquel la secte fait un sort. Ajoutant ses éloges à ceux qu’il se décerne si volontiers lui-même, elle entretient sa popularité par une réclame sans trêve ni mesure, et c’est comme le seul sauveur possible de la Monarchie française qu’elle désigne le Genevois protestant, bien que par les aveux mêmes de certains affiliés nous connaissions la véritable opinion qu’ils avaient de sa personnalité [^68].

Une fois Ministre, il ne trompe pas l’espoir des révolutionnaires ; c’est lui qui, après Brienne, obtient définitivement du Roi la convocation des États-Généraux en exagérant la gravité de la situation financière, et rend inévitable un conflit dont les conséquences furent graves, en faisant décider le doublement du Tiers sans préciser le mode de votation qui devait en résulter. Il désorganise le service des approvisionnements, et, pour ménager sa popularité, ne se résout que contraint et forcé aux envois de troupes nécessaires au maintien de l’ordre. C’est le crédit dont il jouit dans l’opinion publique qui donne à ses conseils une influence prépondérante sur l’esprit indécis et débonnaire du Roi. Quand, devant le péril imminent et palpable, celui-ci se résoudra à le renvoyer, il sera trop tard et la mesure deviendra dès lors inopportune et dangereuse [^69].

À côté de ses conseillers, le Roi avait deux appuis naturels : l’armée et l’administration.

II

Dans les rangs de l’armée on comptait d’abord les troupes qui devaient assurer la sécurité de la personne du Roi. Depuis la suppression de la Maison Rouge (Gendarmes, Chevau-légers, Mousquetaires), elles étaient réduites aux Gardes du corps et aux Cent-Suisses.

Les Gardes-françaises, casernés à Paris, étaient chargés par quartier du service extérieur du château de Versailles.

À Paris, en temps ordinaire, la sécurité publique est assurée par la Prévôté et les Commissaires aux ordres du Lieutenant de Police. La grande Police se trouve nominalement entre les mains du Parlement, et tous les détails qui la concernent entre celles du Ministre de la Maison du Roi.

Dans la banlieue, la Maréchaussée est aux ordres de l’Administration. Les effectifs de ces diverses troupes sont très minimes ; aussi, lorsque des troubles graves se produisent, on a recours à l’armée. C’est à ce titre que les Gardes-françaises et les Suisses sont parfois appelés à intervenir. Ils avaient fait leur devoir en 1775 et en août 1788. Ils le firent encore lors de l’affaire Réveillon. Nous verrons plus loin comment, par la suite, on corrompit les premiers.

Depuis 1782, le commandement des provinces de l’Île-de-France (la ville de Paris exceptée), du Soissonnais, du Berry, du Bourbonnais, de l’Orléanais et du Maine, était entre les mains du baron de Besenval [^70]. Il avait le grade de Lieutenant général et était en même temps Lieutenant-colonel des Gardes-suisses. Ce dernier régiment avait comme colonel le comte d’Affry [^71]. Le colonel des Gardes-françaises, choisi d’ordinaire parmi les Maréchaux de France, n’était, depuis la mort du Maréchal de Biron, qu’un Lieutenant général, le duc du Châtelet.

On sait que le recrutement de l’armée, sous l’ancien régime, ne ressemblait en rien à celui qu’on connut après la Révolution. Si les enrôlements, par racolage ou par contrainte, fournissaient aux troupes du Roi « le rebut des grandes villes et les gens sans aveu », il est juste de dire que sous la discipline rigoureuse qui les maintenait, et encadrés par un corps d’officiers formé de l’élite de la société française, rompu au métier des armes par des traditions séculaires, les malandrins se moralisaient, apprenaient peu à peu ce qu’étaient le devoir et l’honneur et devenaient les premiers soldats du monde. Mais, vers la moitié du XVIIIe siècle, la discipline se relâche. Sous l’influence des idées philosophiques ambiantes qui leur sont inculquées dans les loges, les chefs se montrent insensiblement d’une indulgence touchant à la faiblesse.

C’est encore à partir de l’année 1775 qu’on songe à apporter des adoucissements au Code militaire. La peine de mort pour désertion est remplacée par le bagne (Ordonnance royale du 10 décembre 1775) et en 1785, le bagne par une punition corporelle. Aussitôt, les désertions augmentent. En 1788, « la désertion est si effrayante que pour la réprimer il faut établir à la frontière un cordon de troupes : la France regorge de soldats en rupture de ban, tout prêts à se jeter dans les pires excès [^72] ».

La Généralité de Paris, à partir de l’hiver de 1788, et surtout à partir du mois de mars, fut protégée par des régiments qu’on fit venir, suivant les besoins, des garnisons du Nord et de l’Est. La plupart d’entre eux avaient des Loges maçonniques, et cela peut expliquer l’attitude singulière de certains régiments et l’augmentation de la désertion qui se manifesta dès les premiers jours de juillet 1789.

Enfin, il est indispensable de rappeler l’influence qu’exerça dans l’armée le groupe des gentilshommes qui avaient pris part à la guerre de l’Indépendance de l’Amérique. Le rôle de la plupart de ceux qui furent envoyés aux États-Généraux, les opinions qu’ils y ont émises, les discours qu’ils ont prononcés, permettent de juger combien, dans la propagande des idées nouvelles et dans l’œuvre d’opposition au Gouvernement, dut être efficace auprès du corps d’officiers et de la troupe, le prestige de leur nom et de leur situation aussi bien que l’ascendant de leur grade.

Inféodés en majeure partie à la faction du duc d’Orléans, sans nul doute, et, par leur jeunesse, d’ardeur et d’enthousiasme, l’attitude qu’ils prirent encouragea l’indiscipline et fut un des appoints les plus décisifs de la cause insurrectionnelle [^73].

Besenval et du Châtelet eurent, au moment des événements de juillet 1789, une attitude des plus suspectes. Le premier, compatriote de Necker, et le second, lié avec Lafayette, ont invoqué l’absence d’ordres pour expliquer leur conduite ; mais sans aller, faute de preuves, jusqu’à les accuser de trahison, comme semble le faire Maleyssie dans ses Mémoires, on peut croire que les influences qu’ils subirent paralysèrent leur énergie et leur firent accepter la situation avec une certaine philosophie.

III

L’Administration représentée par les Intendants avait en temps normal, en raison de la nature et de la multiplicité des attributions qui lui étaient dévolues, un rôle considérable à remplir [^74].

Pour en mieux comprendre l’importance, il n’est pas sans intérêt de rappeler quelle était l’origine des fonctions des Intendants.

Leur établissement à poste fixe dans les provinces date, comme on sait, du ministère de Richelieu. Avant cette époque, un rôle analogue, dans une certaine mesure, à celui qu’ils remplissaient, avait été dévolu sous Charlemagne aux missi dominici, puis sous le règne de saint Louis aux enquêteurs ou commissaires du Roi, et enfin au XVe siècle aux maîtres des requêtes chargés de faire dans les provinces des inspections nommées chevauchées, pour contrôler la conduite des baillis et autres officiers, et tenir le monarque au courant de l’état des choses et des esprits.

Depuis Richelieu leurs attributions avaient été singulièrement augmentées.

L’Intendant était devenu l’agent direct du pouvoir. C’était lui qui faisait exécuter, dans la Province à la tête de laquelle il était placé, la volonté du souverain, qui lui exposait les besoins de ses sujets et lui signalait telle réforme à faire ou tel abus à réprimer [^75].

Leur contrôle sur les Parlements et les Gouverneurs de Province qui entendaient administrer la justice à leur guise, les avaient mis en guerre avec les uns et les autres, et le Parlement, en 1648, avait demandé leur suppression.

En résumé, on peut assimiler — sous certains rapports — les fonctions actuelles des Préfets à celles des anciens Intendants, en observant toutefois que les pouvoirs de ces derniers étaient plus importants et que leur juridiction était plus considérable, puisqu’elle s’étendait sur des Provinces entières.

Pendant les quatre dernières années de la Monarchie, la France, au point de vue administratif, se divisait en Généralités, comme aujourd’hui en Départements.

Les Généralités étaient au nombre de 33. À la tête de chacune d’elles était un Intendant [^76].

La Généralité de Paris représentait environ, comme territoire, l’étendue de six Départements actuels. Elle était divisée en 22 élections [^77]. Dans chacun des chefs-lieux d’élection et aussi dans les villes principales, l’Intendant avait un subdélégué avec lequel il correspondait sur toutes les affaires de la région.

Les droits et les charges des Intendants n’étaient pas régis par des règlements généraux uniformes. On en était arrivé à leur accorder, dans chaque Généralité, suivant que la nécessité s’en faisait sentir, des droits spéciaux par arrêts du Conseil.

La doctrine en faveur près de l’Administration, tendait à soustraire les communautés à la tutelle de l’autorité judiciaire seigneuriale, pour les placer sous l’autorité administrative dont le Conseil d’État était la tête : les Intendants en étaient les représentants avec leurs subdélégués. La lutte, qui avait pris naissance en 1665, ne prit fin, tout au moins en apparence, que par l’arrêt du Conseil du 31 juillet 1776. Mais cette victoire des Intendants ne fut qu’illusoire par suite de l’opposition des Parlements, auxquels on doit laisser la responsabilité de la guerre qui se faisait à coups d’arrêts, d’ordonnances, de sentences et de procès-verbaux.

Si, à certains points de vue, les attributions de l’Intendant de la Généralité de Paris étaient moins étendues que celles de certains de ses collègues de Province, les empiétements du Parlement en étaient encore souvent la cause [^78]. Il convient d’ajouter, d’autre part, que le voisinage du pouvoir royal enlevait à l’Intendant une partie de son autorité, et augmentait, par contre, certaines de ses attributions [^79].

Les sources de conflits avec les administrateurs parisiens étaient multiples : depuis 1667, la Ville s’occupait, en effet, de la police, du commerce général et des finances, et le Lieutenant Général de Police était Commissaire du Roi pour la ville de Paris et ses dépendances.

Ce sont ces juridictions incertaines, mal définies et contradictoires, qui furent la source des difficultés qui surgissaient parfois entre l’Intendance et la Prévôté.

Dans la Généralité de Paris, l’Intendant n’avait pas la Police à ses ordres ; pour la Police de la banlieue, en dehors de la Maréchaussée, il disposait d’une compagnie de 176 hommes, dits grenadiers de Saint-Denis, qui, dans de nombreuses circonstances, pour les besoins pressants du service, empiétaient sur les droits du Lieutenant Général de Police ; mais tous ces conflits semblent avoir été réglés à l’amiable.

Dans la Généralité de Paris, le Parlement attaque d’autant plus l’Intendant que celui-ci est sorti de son sein [^80] ; pendant que l’administrateur se place sous l’autorité du Roi, le Parlement le fronde sans répit.

Mais à ces multiples complications s’en ajoutait une autre encore plus grave. Le service de l’approvisionnement des grains, tant pour la population que pour les troupes, incombait à l’Intendant de Paris et prenait, aux époques de trouble et de disette, une importance capitale [^81].

IV

Officiellement, les magistrats chargés de s’occuper de l’administration des subsistances pour tout le royaume étaient les membres du Conseil royal du commerce, à la tête duquel furent successivement, de mai 1751 jusqu’en novembre 1769, les Intendants de finances Orry de Fulvie, Barbarin de Courteille et Trudaine de Montigny. Les Intendants de finances furent remplacés par des Intendants de commerce, et nous voyons se succéder Albert, Brochet de Saint-Prest, de nouveau Albert, puis Fargès et Montaran [^82]. Ce dernier, entré en fonctions en juin 1776, donna sa démission en septembre 1791 [^83].

A côté du Conseil royal, le bureau du Commerce s’occupait plus spécialement de l’approvisionnement de Paris et de l’Île-de-France [^84]. Suspendu au mois d’août 1788 par Necker, lorsqu’il revint au pouvoir avec l’idée de tout changer, ce Ministre fut obligé de le rétablir, sous la présidence de Boutin, dès le 17 novembre suivant. Il se réunit jusqu’en avril 1789 ; son rôle semble avoir été assez effacé [^85].

En réalité, le service était dans les mains de l’Intendant de Paris ; c’est lui tout au moins qui assumait les responsabilités.

C’est au milieu de ces sources de conflits constants qu’avait eu lieu, en 1775, la guerre des Farines, et si elle s’était heureusement terminée, on le devait en partie au zèle intelligent et aux dispositions prises par l’Intendant de Paris qui avait été, comme nous l’avons dit, le principal auxiliaire de Turgot dans ces circonstances. C’était à cette époque L.-J. Bertier de Sauvigny l’Intendant titulaire, mais en réalité, depuis 1771, son fils, qui lui était adjoint, en remplissait les fonctions. C’est ce dernier qu’on trouve encore Intendant en 1789, et nous verrons que les révolutionnaires n’eurent garde d’oublier l’obstacle qu’ils avaient rencontré dans ce personnage lors de leur première tentative de soulèvement [^86].

J’ai démontré dans le Pacte de famine, et M. Léon Biollay dans un ouvrage analogue a démontré comme moi ce qu’étaient les greniers du Roi ; nous avons prouvé l’un et l’autre qu’il n’y eut de la part du gouvernement royal aucune pratique coupable, et j’estime que cette démonstration n’est plus à faire [^87].

Sous Louis XVI, le problème devint chaque jour plus difficile à résoudre. Le Roi, irrésolu, suivant l’impulsion de ses Ministres ou des Parlements, se livrait à des expériences déplorables, désorganisait les services existants avant d’avoir pourvu à leur remplacement.

Le 2 juillet 1777, Necker avait remis en vigueur le système de liens et placé à la tête de l’administration des subsistances Montaran fils [^88]. Des Intendants de commerce, propriétaires de leurs offices, il fait des Intendants à commission, mais il garde le même personnel. Nous le voyons contraindre les producteurs d’Auvergne à porter leurs blés sur les marchés. Pour se débarrasser du « Turgotin » Trudaine, il supprime la direction du commerce et rétablit les négociants accrédités. Cependant il se déclare partisan de la liberté du commerce des grains, mais à la condition de s’inspirer des circonstances ! En d’autres termes, il appelle sagesse de l’administration son arbitraire et ses expédients [^89].

V

Pour parer, dans la mesure du possible, aux difficultés des approvisionnements de la capitale, l’Intendant Bertier père avait organisé le mécanisme de ce service ainsi qu’il suit.

C’est par tassements et concentrations successives que les grains devaient affluer jusqu’à Paris. Sauf des cas exceptionnels, la même charrette ne venait pas des provinces éloignées jusqu’à la capitale. Il eût fallu pour cela un matériel considérable qui n’existait pas dans la même main.

Le centre des approvisionnements était Corbeil, soit avec Malisset [^90], soit avec Doumerc et Sorin [^91], soit avec Rousseau [^92] comme agents. Mais, indépendamment de ces approvisionnements, il y avait une triple rangée de magasins.

Si nous prenons la région Sud-Est pour exemple, nous trouvons que dans Paris, ou proche Paris, on avait loué aux religieux de Saint-Lazare le dépôt de Saint-Charles (faubourg de la Gloire) et des dépôts à Choisy et à Charenton.

En seconde ligne, il y avait ceux de Bray, de la Ferté-sous-Jouarre, de la Motte-Tilly (près Provins) et de Nogent.

En plus, suivant les besoins, l’Intendant de Paris s’entendait avec les Généralités voisines pour avoir des approvisionnements supplémentaires : à la Ferté-Milon pour la Généralité de Soissons ; à Sésanne pour celle de Châlons ; à Cussy pour celle de Dijon, et à Montargis pour celle d’Orléans.

En cas de besoin, les Généralités voisines refluaient vers la troisième zone qui fournissait à la deuxième, qui elle-même approvisionnait Paris.

Une organisation semblable existait, pour la région Nord-Ouest, avec les Généralités d’Amiens et de Rouen.

En cas de disette ou de besoins pressants, on s’entendait, soit avec de gros marchands, soit directement avec des producteurs qui conservaient dans leurs greniers des blés à la disposition de l’Intendant. On n’intervenait avec les blés du Roi sur les marchés, que lorsqu’on ne pouvait faire autrement, c’est-à-dire lorsqu’il y avait pénurie, ou pour faire baisser les prix tenus trop hauts par les spéculateurs. À la veille des récoltes, on vidait autant que possible les grains emmagasinés et, malgré les efforts de l’Administration, les prix étaient souvent avilis, au grand préjudice du Trésor. En fin de compte, le budget des blés du Roi se soldait toujours par une perte [^93].

Lorsqu’il y avait disette vraie ou fausse, les populations effrayées arrêtaient les grains lorsqu’ils passaient sur leur territoire et les pillaient. Pour assurer les transports, il fallait faire escorter les charrettes par des détachements de maréchaussée, et quand l’effervescence était trop considérable, il fallait avoir recours aux troupes. Nous voyons ce procédé employé chaque fois que cela est nécessaire ; les mouvements de troupes n’étaient donc pas une innovation en 1789.

Si, par ce moyen, on assurait la circulation des blés, on alarmait par contre les populations : les fermiers cachaient leurs récoltes, les marchands, attendant une hausse, n’apportaient plus aux marchés. Cet état de choses explique pourquoi, chaque fois qu’on le pouvait, on dissimulait les transports de grains.

Quand on songe à toutes ces difficultés que nous ne pouvons que faire entrevoir, on se demande comment on pouvait obtenir un résultat, et cependant, à force de soins, de ruses, de persévérance, il est certain que, même pendant les années de disette, on ne mourut pas de faim à Paris pour cause de manque de pain.

Les conspirateurs s’aperçurent facilement combien tous ces rouages compliqués étaient faciles à détraquer ; il suffisait d’une rumeur, d’une mauvaise volonté pour jeter l’alarme, et ils ne manquèrent pas d’user de ce moyen. Nous les verrons à l’œuvre.

VI

Calonne avait fait consacrer, avec l’approbation presque unanime des Notables, la liberté indéfinie du commerce des grains, et cela avait semblé produire de bons effets. Necker, lorsqu’il revient au Contrôle des finances, le 20 août 1788, suspend l’exportation dès le 7 septembre, sans consulter ni les Assemblées Provinciales, ni les États ; le 23 novembre, il dénonce l’avidité des accapareurs, accorde une prime à l’importation et annonce officiellement que la récolte est mauvaise.

Le 11 janvier 1789, il accorde de nouvelles primes à l’importation et, du même coup, ruine tous les commerçants dont il avait encouragé les approvisionnements, car, le même jour, il fait faire à Londres des achats considérables. Nous verrons plus loin les sages protestations de l’Intendant de Paris et la singulière conclusion de Necker. Le Ministre, tout en couvrant l’Intendant d’éloges, uniquement pour lui laisser toute la responsabilité, prend les mesures les plus contradictoires sans le consulter : il oblige les propriétaires à apporter leurs blés aux marchés, et, le 23 avril, c’est lui qui charge l’Intendant et les officiers de police de l’exécution de cette mesure. Les alarmes provoquées sont entretenues : il fait acheter à l’étranger à tort et à travers, plus qu’on n’avait jamais fait. Naturellement, le commerce prend peur et les négociants refusent d’intervenir ; les agents qui s’en occupent, par ordre, sont en danger. À Paris, où il faut 1500 sacs par jour, c’est à peine si le commerce en apporte le tiers. Les municipalités, affolées, arrêtent les grains. Les provinces, comme le Poitou, la Bretagne et la Bourgogne, qui ont un excédent, refusent de le laisser sortir. Tout le monde s’occupe de la question : public, municipalités, parlements, intendances.

Le 19 juin, les États-Généraux s’en mêlent : ils ont tout critiqué ; feront-ils mieux ? Un comité de subsistances est formé pour rechercher les causes de la disette et indiquer les moyens d’y remédier. En posant en principe que la France a des grains pour plus de six mois, on provoqua la méfiance du public qui était à même de constater les difficultés de l’approvisionnement. Barère approuve les perquisitions des Intendants, demande la punition rigoureuse des accapareurs et leur mise hors la loi. Necker adresse au Comité un mémoire pour expliquer et justifier sa conduite, insinue que la responsabilité incombe aux Parlements et aux administrations locales excitées par la clameur publique.

C’est Dupont de Nemours, un ami de Turgot, qui est nommé rapporteur. Au commencement de juillet, sur le conseil prudent et fourbe de Mirabeau, le comité, acculé, se dégage et déclare laisser au Roi et à Necker le soin de remédier à la disette.

Pendant qu’on prenait la Bastille, Dupont de Nemours déposait son rapport à l’Assemblée.

Il constate que, d’après le mémoire de Necker, tant dans les secours arrivés qu’attendus, il y avait 1.421.400 quintaux de blé qui avaient coûté au Roi plus de 25 millions, parce qu’il avait fallu entretenir la capitale et donner des primes et des indemnités aux boulangers ; que s’il était nécessaire, à un moment donné, de manger du pain de seigle, que tout le monde en mangerait, et qu’il en serait servi à la table du Roi.

Il réfute ensuite l’opinion populaire qui attribue la disette à l’avidité des accapareurs et dit qu’il est peu croyable qu’il y ait des accapareurs parce que, dans un temps si voisin de la récolte qui doit nécessairement faire baisser le prix des blés, il est de l’intérêt de ceux qui en ont d’ouvrir promptement leurs magasins pour s’en défaire.

Il est intéressant de constater, à notre tour, que Dupont de Nemours, au lieu de reconnaître qu’on ne pouvait mieux faire que de continuer ce qui était fait, se livre à une longue énumération de conseils qui ne sont que l’approbation déguisée de l’administration existante. Il prescrit cependant un nouveau remède : la charité obligatoire. On percevra une imposition de dix à vingt sous par tête, et les huit ou dix citoyens les plus riches de chaque commune devront faire l’avance de la contribution de leurs concitoyens moins fortunés.

Après avoir énuméré les difficultés d’ordre administratif et législatif qui entravent le service des approvisionnements, voyons les difficultés matérielles encore plus grandes.

À une époque où les lettres transportées par la malle-poste pouvaient seules transmettre les ordres, où les charrettes ou les coches d’eau étaient les seuls moyens de transport en usage pour les grains, il fallait prévoir à l’avance, non seulement les quantités nécessaires, mais encore prévoir les imprévus résultant des retards en quelque sorte normaux et des retards provoqués tantôt par les marchands ou les producteurs, qui trouvaient toujours qu’on vendait à trop bas prix, tantôt par les consommateurs, qui trouvaient les prix excessifs. La plupart du temps, il fallait effectuer les transports clandestinement, et lorsque des grains étaient découverts, que ne disait-on pas ? Combien était vraie cette remarque, faite par un agent de Bourgogne dans une lettre à l’Intendant Bertier : « Dans ces temps, c’est un grand malheur pour un homme de toucher à un sac de blé, c’est déjà dangereux de passer à côté ! »

Les croyances populaires, en fait de commerce des grains, étaient erronées : on croyait à la surproduction et l’on ne pouvait imaginer qu’un simple retard dans la circulation, qui devait établir l’équilibre, avait les plus graves conséquences.

Pendant tout le XVIIIe siècle, comme on le voit, la législation des grains est hésitante, capricieuse, contradictoire, inégale. Les grands marchands de grains sont traités d’accapareurs, et si, sous la poussée de l’opinion publique, on les supprime, ou si on les entrave, il faut des magasins d’approvisionnements en cas de disette. Si cette disette ne se produit pas, la nécessité d’écouler les blés approvisionnés en avilit le prix. C’est alors que la clameur publique crie de nouveau à l’accaparement, à la spéculation, au monopole ; mais, cette fois, c’est le gouvernement qu’on accuse, et non plus les fournisseurs, car ceux-ci font chorus avec le public pour accabler tous les agents du pouvoir et notamment les Intendants.

CHAPITRE IV

LE DÉSORDRE ORGANISÉ

I. La disette factice. — II. Les devoirs de l’administration. Ses efforts et les résultats. — III. Versatilité de Necker. Les émeutes dans la Généralité de Paris. Le zèle de l’Intendant. Le rôle de l’armée. — IV. L’ingratitude de Necker. Bailly et Roland ; persistance de la disette. — V. L’affaire Réveillon. — Les troubles et leurs répressions.

« De tous les moyens de remuer le peuple, a écrit Alexandre Lameth qui avait quelque expérience de la chose, il n’en est pas de plus puissant que de lui présenter l’image de la famine [^94]. » Jeter l’alarme en parlant de disette et de complot contre la vie des citoyens est en effet le procédé classique.

Au cours de toute la Révolution, c’est à lui que les factions ont recours pour s’attaquer et essayer de se supplanter.

En 1789 cette tactique fit ses preuves.

La grêle du 13 juillet 1788 avait détruit une partie des récoltes de la Généralité de Paris, et le désastre, un des plus violents que la météorologie ait eus jusque-là à enregistrer, avait provoqué une hausse du prix des grains. L’intensité du froid, dont les historiens ont signalé la durée, fut, de son côté, une cause de souffrance. Néanmoins la disette qui fut la conséquence de ces deux calamités fut, de l’aveu de tous les contemporains, bien plus une disette d’opinion qu’une disette réelle, car l’administration avait pris des mesures pour suppléer par des achats de grains à ceux qui manqueraient et, si les marchés ne furent pas toujours et régulièrement approvisionnés, la faute ne lui est pas imputable, mais bien aux factieux qui trouvèrent dans ces circonstances difficiles le moyen infaillible d’entretenir la panique et le désordre favorables à l’exécution de leurs plans.

Dès les premiers mois de l’année 1789, des émeutes et des troubles de toute nature sont fomentés journellement dans les alentours de Paris : les convois de grains sont attaqués, les marchés pillés, les propriétés et la vie des citoyens menacées [^95].

II

Nous allons examiner ce que l’administration eut à faire pour arracher Paris à la famine et résister à l’émeute surgissant de toutes parts.

Necker achète, comme nous l’avons dit, des blés à l’étranger ; des sacrifices considérables sont faits dans ce but aux dépens du trésor. Doumerc est le principal agent du ministre pour ces opérations [^96]. Mais il ne suffit pas d’avoir des grains, il faut les faire parvenir à destination. C’est à l’intendance que revient ce rôle.

III

De la nécessité de protéger la circulation des approvisionnements résulte que, depuis le mois de juillet 1788, les troupes sont surmenées. L’Intendant Bertier de Sauvigny est obligé de réclamer des gratifications exceptionnelles pour les escortes qui assurent la sécurité des transports, et cela bien avant la réunion des États-Généraux. Dans les bureaux, les commis sont sur les dents. On doit dresser au jour le jour l’état des approvisionnements dans les greniers du Roi, dans les dépôts provisoires, dans les communautés, prendre note des quantités attendues, des poids achetés au dehors et en circulation. L’Intendant doit savoir par le menu ce que renferment les greniers des marchands et ceux des cultivateurs ; il faut aussi qu’il ait continuellement à jour le cours du prix des grains de chacune des régions de sa Généralité, pour se rendre compte par ce moyen de la réalité de la disette et des manutentions à faire pour y remédier ; il doit avoir encore une liste des marchés de toutes les villes, faire la balance de ce qu’il y a, en plus ou en moins ; faire expédier par les uns, recevoir par les autres de quoi assurer les besoins de tous, et il lui faut enfin tenir compte des ordres inexécutés par incurie, crainte, mauvaise volonté ou complicité avec les fauteurs de désordre.

Que l’on parcoure aux Archives Nationales le registre de la correspondance de la Maison du Roi [^97], et l’on sera effrayé de l’énormité du travail.

En janvier, Bertier envoie tous les renseignements à Necker : le 3, il expédie l’état des approvisionnements de farines dont le sieur Leleu [^98], directeur des greniers du Roi, peut disposer pendant le courant du mois pour la consommation de Paris ; par suite de la gelée, la plupart des moulins à eau chôment, et Leleu est félicité des moyens qu’il a employés pour obvier à cet inconvénient, tant pour ses moulins que pour ceux de l’Hôpital. Le 9 janvier, Bertier envoie le prix des grains des principaux marchés : Saint-Germain-en-Laye, Dreux, Montlhéry, Arpajon, Brie-Comte-Robert, Fontainebleau, Meaux et Crécy : le 15, il avise le ministre qu’il a chargé ses subdélégués de s’informer de l’état des approvisionnements de blé des communautés, afin de connaître les ressources qu’on pourrait en tirer ; il se flatte d’ailleurs que « la contrariété du temps va bientôt cesser et que, les communications par terre et par eau étant rétablies, l’approvisionnement de la capitale deviendra plus abondant et plus facile. » Pour obvier à cet inconvénient, il avait pris les précautions nécessaires en faisant venir des chevaux d’artillerie des places de Flandre et du Hainaut. Avant de les renvoyer dans leurs régiments respectifs, il demande, le 31 janvier, l’avis de Leleu.

Le 14 février, Necker approuve les précautions prises pour prévenir toute fermentation et maintenir le bon ordre, entre autres, au marché de Gonesse où des incidents se sont produits. Aux vingt-quatre grenadiers de Saint-Denis que Bertier avait ordonné à M. de Bar d’envoyer, le Ministre fait joindre trente cavaliers de la Maréchaussée ; le 17, Puységur est obligé d’envoyer des détachements à Pontoise et à Pont-Sainte-Maxence ; Doumerc, chargé de la régie des blés, réclame, en plus, des détachements de chasseurs et de hussards qui devront se porter aussi dans les marchés voisins, aux bacs des rivières et sur les grandes routes ; à la dernière heure, Puységur demande le désarmement des habitants de Cergy.

La Commission Intermédiaire de l’Île-de-France est quelquefois saisie directement des difficultés qui surgissent ; elle n’a aucun moyen de répression directe, et, en fin de compte, c’est l’Intendant qui doit intervenir : c’est ainsi que cette commission envoie, le 21 février, une lettre qu’elle a reçue du maire de Houdan au sujet du prix des grains dans cette ville et des achats considérables faits par le sieur Benoît, meunier à Montainville, qu’on dénonce comme « accapareur ».

Le 11 mars, il y a une émeute à Sens ; une voiture de grains est arrêtée par le peuple. Les meneurs ayant promis de rester tranquilles si on leur distribuait du blé, le Maire y a consenti et en a même payé une partie de sa poche ; le Ministre trouve le précédent dangereux et charge Bertier de faire une enquête et de réprimander le Maire, s’il y a lieu.

Le 13 mars, Bertier avait assuré l’arrivée de deux bateaux de grains pour Pontoise, Beaumont et Pont-Sainte-Maxence ; le 18, des attroupements se sont opposés à la marche des convois de grains venant de Rouen pour la Généralité de Paris : Bertier est obligé de renforcer le détachement des grenadiers de Saint-Denis à Mantes. Les deux bateaux avaient été attaqués par les habitants de Monceau et de Méricourt : l’Intendant dut écrire également à son collègue de Rouen, M. de Maussion, pour qu’il fit garder le cours de la Seine dans la Généralité par des détachements de cavalerie.

Les troubles ne sont pas provoqués seulement par la cherté ou le manque de grains dans les marchés : pour une raison ou pour une autre, les propriétés sont pillées ; dans les premiers jours de mars, Conflans-Sainte-Honorine est révolté : d’après le comte de Mercy, on donne pour prétexte à cette émeute la trop grande quantité de gibier. Au commencement d’avril, des excès sont encore commis dans les paroisses d’Ecagny, Houville, Chennevières et Conflans-Sainte-Honorine, sans qu’on puisse en préciser les causes.

C’est aussi le règne des fraudeurs ; contre eux les troupes ne peuvent rien, car il faut connaître les gens et les lieux. Bertier avait employé son personnel à cette besogne ; mais depuis le mois de mars 1788, il avait dû y renoncer, pour cause de conflits d’attribution [^99].

Le 3 avril, les ouvriers de la manufacture de cabriolets de carton de Gennevilliers se livrent, en bande armée, au braconnage, et Bertier reçoit l’ordre de sévir ; mais auparavant il prévient le directeur de surveiller ses ouvriers : le 4, Necker lui ordonne la plus grande sévérité envers neuf individus de Bonnières qui, condamnés à une amende, s’étaient joints à une autre bande pour faire des déprédations dans les campagnes et se faire livrer des subsistances.

Le 11 avril, sur la demande du maire d’Étampes, on doit prendre des mesures d’urgence pour assurer la sécurité du marché de cette ville. Le 2 mai, la supérieure de la maison de Saint-Cyr, Mme d’Ormesson, demande des troupes, car elle craint que les mouvements du marché de Chevreuse n’aient des suites fâcheuses. Le même jour, Sainte-Suzanne, Prévôt de la Maréchaussée de Paris, avise qu’il y a une bande de brigands dans les environs d’Étampes et qu’il y a une émeute au marché de Rambouillet.

Le 5 mai, on doit prendre des mesures pour réprimer une émeute considérable qui vient de se produire au marché de Bray-sur-Seine ; le duc de Mortemart demande des secours. Le 7, il y a un soulèvement au marché de Lagny-sur-Marne et, comme on craint pour le marché suivant, on demande deux brigades de Maréchaussée au lieu d’une. Le 15, le marché de Tournan n’a pas été approvisionné parce qu’au marché du 4, la populace a fixé arbitrairement le prix des grains à un taux inférieur au taux général. Malgré la Maréchaussée et la cavalerie tirées de Brie-Comte-Robert, on a encore fixé le prix des grains dans les mêmes conditions ; ordre est donné à Besenval d’envoyer des renforts considérables.

Les autorités locales sont parfois malveillantes. Au commencement de mai, deux officiers municipaux de Nemours s’opposent au logement de 200 hommes de Royal-Piémont ; on dit à Bertier d’intervenir, car depuis longtemps on se plaint de ces fonctionnaires que le duc d’Orléans devait changer ; Bertier doit se borner à répondre que ce changement ne dépend pas de lui et qu’on lui a promis qu’il se ferait sous peu de temps. À la fin de mai, des dégâts considérables sont commis dans les bois aux environs de Corbeil : en plein jour, on coupe taillis et baliveaux qu’on enlève avec des chariots [^100].

Le 16, on est obligé d’envoyer des troupes à Crécy-en-Brie ; des femmes inconnues viennent avec des sacs enlever les grains au début du marché et provoquent des troubles ; le secrétaire des commandements du duc de Penthièvre demande des secours en grains et des renforts de troupes.

L’Intendant est parfois en lutte avec les autorités municipales qui s’occupent exclusivement de leur propre marché : le 20, Bertier se plaint du Maire de Mantes qui empêche les opérations de son subdélégué.

Le 21, le prince de Talmont informe qu’il y a eu un attroupement considérable dans sa terre de Fleury et que Morlet, fermier du comte de Cély, est à la tête des émeutiers dont le prétexte est la destruction du gibier, quoiqu’il y en ait très peu ; en réalité, c’est encore une affaire de grains.

Le 24 mai, le comte d’Allemand déclare que la crainte du pillage empêche les fermiers de porter leur blé au marché de Milly ; on doit y envoyer des troupes de Melun et de Fontainebleau. Le 29, on ordonne à Bertier d’envoyer d’urgence des grains à Brie-Comte-Robert où on va en manquer complètement, et de prendre des précautions préventives contre les attroupements. Le même jour, les officiers municipaux de Tournan n’ont plus de grains et demandent que l’Intendant continue à leur en envoyer ; ceux de La Ferté-sous-Jouarre déclarent qu’ils vont manquer totalement de pain, et il faut envoyer farines et cavaliers ; le marché de Lormes est vide et il faut en faire venir d’Avallon ; malgré l’ordre de M. de Gouvernet, le lieutenant civil s’est mis à la tête d’un attroupement à Avallon pour empêcher la sortie des grains. [^101]

IV

Dans ces circonstances difficiles, Assemblées provinciales, Commissions intermédiaires, Ministres, n’eurent qu’un souci : dégager leur responsabilité et la laisser tout entière à la charge de l’Intendant, décidés, suivant les éventualités, à recueillir le bénéfice de la réussite, ou à le désavouer en cas d’insuccès.

Necker répugne à donner des instructions précises, il est versatile dans ses plans ; aux ordres succèdent les contre-ordres. Le 16 mai, il demande à Bertier de lui faire un rapport sur la situation.

Dès le surlendemain 18 mai, l’Intendant de Paris lui adresse une lettre pleine de franchise, de perspicacité et d’énergie. Necker, après avoir prescrit l’immobilisation des grains, puis réclamé leur circulation forcée, s’était enfin arrêté à un système mixte. Bertier lui fait remarquer qu’on ne peut adopter, dans certains lieux, le régime prohibitif et, dans d’autres, celui de la liberté.

« Avec de semblables procédés, » dit-il, « les marchés des environs se trouveront vides ; le peuple de la campagne, au désespoir, pillera les fermiers, les meuniers, les châteaux. On arrivera en foule à Paris pour y demander du pain ; les moulins destinés à l’approvisionnement de Paris, pillés ou près de l’être, s’arrêteront ; les arrivages de Paris cessant, et le peuple de la campagne y affluant de tous les côtés, l’effroi montera au comble et je doute qu’aucune force quelconque puisse arrêter le désordre [^102]. » Déjà les blés manquent dans les marchés : à Choisy, à Montlhéry, à Arpajon, à Palaiseau, à Lagny, à Gonesse. Partout des troubles : et pour maintenir l’ordre il faut des troupes, et celles-ci commencent à mollir. Et il conclut : « Je viens de vous exposer, Monsieur, avec toute vérité, la triste position où nous sommes. Le zèle ne manque pas : je suis prêt à tout de ma personne ; mais je n’ai plus de moyens. C’est à vous de m’en fournir ; commandez, éclairez-moi, et j’exécuterai avec l’ardeur que doit m’inspirer l’importance de l’objet et le désir de seconder vos bonnes intentions [^103]. »

Necker, comme d’habitude, évite de se compromettre et se contente le lendemain de répondre à l’Intendant qu’il « s’en rapporte absolument à son jugement… car il faut, avant tout, que ses soins ne soient pas contrariés et qu’il puisse aller à son but selon ses lumières [^104]. »

Cependant, la situation politique s’aggrave ; l’alarme gagne de région en région, et la circulation des grains s’en trouve de plus en plus compromise ; de toutes parts on signale le manque des arrivages attendus, ou la mauvaise qualité des fournitures livrées.

Le 3 juin, le lieutenant général du bailliage de Crécy-en-Brie expose sa disette presque totale de grains ; il lui en faut absolument avant le 5. Le 9, le Roi, sur la demande du prince de Condé, a autorisé les boulangers de Chantilly à acheter jusqu’à concurrence de 300 setiers de blé dans les environs de Pont-Sainte-Maxence, sans passer par les marchés. Un mois après, les boulangers prétendent n’avoir encore rien pu trouver et, le 3 juillet, ordre est donné à Bertier d’envoyer des blés, car on a empêché d’enlever les quelques sacs trouvés à Crépy [^105].

Le 10 juin, le duc de Luxembourg déclare qu’il y a une disette absolue de grains à Chatillon-sur-Loing ; l’Intendant doit envoyer des approvisionnements et prendre des mesures militaires.

Les arrivages de grains des Généralités voisines présentent des difficultés considérables ; les Ordonnances royales, aussi bien que les Arrêts des Parlements, ne sont pas les mêmes d’une Province à l’autre ; les populations, d’ailleurs, s’opposent aux transports dans la crainte d’être dépouillées.

Le 19 juin, Amelot de Chaillou expose à Bertier la nécessité de faire escorter les convois de grains qui iront de Châlons à Auxerre pour l’approvisionnement de Paris, ce qui met M. de Gouvernet dans l’obligation de placer à Lucy-les-Bois 50 Chasseurs de Franche-Comté, le 27 et le 28. Comme c’est dans la Généralité de Paris, il demande à Bertier son agrément.

Le 22 juin, le bailli de Brie-Comte-Robert informe que, tant dans sa ville que dans les paroisses voisines, il n’y a pas de grains pour huit jours. Il faut envoyer des approvisionnements importants, car il va arriver plus de 2.000 moissonneurs étrangers.

Le 23, les officiers municipaux de Milly annoncent une disette absolue de grains et réclament d’urgence trente sacs de blé. Le même jour, à Beauvais, deux mille séditieux, armés de bâtons, se transportent chez le subdélégué de l’Intendant et, ne l’ayant pas trouvé, ils se rendent chez le Procureur fiscal qui, par crainte, se voit obligé de mettre en liberté une femme arrêtée au marché précédent. La ville est dégarnie de troupes par le départ du régiment de Reinach et des Gardes du corps. Bertier est invité à faire tous ses efforts pour envoyer de petits détachements.

Le 26, on est avisé que, le 22, les officiers municipaux de Nogent-sur-Seine se sont opposés aux transports des blés et farines du sieur Duval, destinés à l’approvisionnement de Paris et au chargement du coche ; le même jour, le Gouverneur général communique à Bertier une lettre du Procureur du Roi du bailliage de Chartres, annonçant qu’on a coupé huit à dix setiers de blé en vert à Mézières, près de Dreux. Comme il ne sait pas à quelle Généralité appartient Mézières, il avise également l’Intendant d’Orléans. Il ordonne de faire des recherches et de punir sévèrement les coupables [^106].

Le 4 juillet, Bertier est obligé de prendre des mesures d’urgence, car la fermentation et les désordres s’étendent et entravent plus que jamais la circulation des grains. La disette menace du côté de Senlis, de Pont-Sainte-Maxence et de Clermont-en-Beauvoisis. Pontoise se dit en danger ainsi que Compiègne.

Les entraves apportées aux approvisionnements sont souvent aussi le fait d’intermédiaires qui trahissent volontairement l’Intendant, soit en ne transmettant pas, soit en n’exécutant pas ses ordres. Les corps de ville en ont le pressentiment et envoient souvent des émissaires directs à l’Intendant, qui leur donne satisfaction [^107].

Si l’alarme jetée intentionnellement de toutes parts n’est pas toujours justifiée, il est vrai de dire qu’il y a aussi des causes réelles à l’inquiétude qui s’empare progressivement des esprits. Les fables les plus invraisemblables mises en circulation, les excitations contre les seigneurs et les fonctionnaires, les grands mots de liberté et d’indépendance, de tyrannie et de despotisme, ont bouleversé les têtes plus encore dans les campagnes que dans les villes. Le chômage volontaire des ouvriers agricoles s’accentue de jour en jour. On redoute de ne plus trouver de bras pour faire la récolte prochaine. De tous côtés, les fermiers réclament protection contre les bandes de pillards qui menacent. Les petites localités demandent qu’on leur envoie des troupes. Quelques villes, telle Compiègne, croyant leur police suffisante, supplient au contraire qu’on ne leur en donne pas, pour n’avoir pas à les nourrir. D’autres font la même requête qui, deux jours après, en adressent une contraire.

En résumé, le désordre règne partout ; le devoir de l’autorité est de le réprimer et de ramener le calme. Pour y parvenir, la Maréchaussée est notoirement insuffisante. Qui oserait soutenir que la présence des régiments qu’on a fait venir à ce moment était injustifiée [^108] ?

Les quelques exemples que nous venons de citer, pris parmi beaucoup d’autres, viennent à l’appui de ce que nous avons dit dans le chapitre précédent sur les obstacles que rencontrait, dans les moments de fermentation populaire, l’administration chargée du service des subsistances.

Mais jamais elle ne s’était trouvée en face d’une situation aussi grave, car celle-ci était rendue telle par des éléments dont la condition sociale en faisait d’ordinaire les appuis de l’autorité, alors que, cette fois, magistrats municipaux, bourgeois, procureurs, tous affiliés à des groupes auxquels des émissaires apportent de Paris le mot d’ordre, entretiennent l’agitation par tous les moyens dont ils peuvent disposer.

Les instructions, d’une modération excessive, données aux chefs militaires, font un contraste singulier avec les appels à la violence et à l’insurrection lancés du Palais-Royal, centre de la conspiration. Nulle part la troupe n’emploie ses armes et ne frappe. Elle est souvent assaillie de pierres et de projectiles, mais on la maintient et, malgré l’envie qu’elle en a, on l’empêche de riposter. L’esprit de dévouement et d’abnégation dont elle fait preuve évite des conflits sanglants [^109]. Mais cette patience à laquelle on la condamne l’énerve et la dispose à prêter l’oreille aux suggestions et aux promesses du parti de l’émeute.

V

Il est facile de constater que c’est grâce au zèle et à l’activité que déploya l’Intendant de la Généralité de Paris dans ces circonstances particulièrement critiques, que les approvisionnements parvinrent malgré tout à se faire.

Necker, ministre responsable, saura un jour en tirer vanité pour sa propre gloire, sans penser à rendre le moindre hommage au dévouement des auxiliaires auxquels on devait surtout ce résultat. Le principal d’entre eux, l’Intendant Bertier, accusé par les émeutiers d’avoir essayé de provoquer la disette, parce que sans doute il avait montré le plus d’énergie à la combattre, tombait victime de sa fidélité à son devoir pendant que le « Vertueux Ministre », « le Père de la Nation » recevait les plus touchants témoignages de la reconnaissance publique [^110].

Une fois l’Intendant Bertier mort et Necker encore Ministre, Bailly, le Maire de Paris, se débattra avec les mêmes difficultés. Pour approvisionner la capitale, il aura recours aux mêmes moyens que son prédécesseur, sans autant de succès et, en fin de compte, subira les attaques les plus violentes, sera accusé de fournir des farines avariées, d’accaparer les blés, de spéculer comme aussi d’affamer intentionnellement la population [^111]. Et, juste retour des choses d’ici-bas, c’est ainsi que, pendant toute la période révolutionnaire, on verra les conspirateurs de 1789 attaqués successivement au moyen des mêmes procédés qu’il leur avait paru bon d’employer contre l’autorité pour produire l’insurrection de Juillet.

Le révolutionnaire Roland, une fois Ministre de l’Intérieur et détenteur du pouvoir, voyant se dresser devant lui les mêmes obstacles, éprouvera le besoin, le 1er septembre 1792, de lancer une circulaire pour éclairer ses concitoyens. Si, comme ancien conspirateur de 1789, il n’ose pas, dans les prémisses de sa déclaration, renoncer à l’invraisemblable thèse révolutionnaire qui consiste à accuser le gouvernement d’alors d’avoir conspiré contre la chose publique et voulu affamer la nation, il décrira néanmoins avec vérité le mécanisme de la disette factice [^112] et, mieux que personne, saura tirer la morale des événements qui en sont la conséquence.

« Une ligue semblable à celle qui se forma contre vous en 1789, se manifeste aujourd’hui par des complots pareils. — De quoi donc le peuple s’inquiète-t-il d’abord ?… Des subsistances. Voilà pourquoi, dans tous les moments de crise, les ennemis de la chose publique répandent des craintes pour arrêter la circulation des grains… La Providence, qui n’a cessé de nous favoriser, nous donne en vain de superbes récoltes ; de fausses terreurs semées à dessein s’emparent des esprits, et sous le prétexte de s’opposer à des accaparements, on intimide, on poursuit l’acquéreur, on ferme les denrées et l’on produit réellement la disette au milieu de l’abondance. C’est ainsi que des municipalités trompées s’opposent au libre cours des grains ; elles retiennent sur leur territoire ceux qui doivent approvisionner les villes et fournir les marchés ; c’est ainsi que le peuple égaré s’est laissé entraîner à des fureurs et a immolé des hommes qui s’occupaient à le nourrir [^113]. »

V

Pendant que la province est alarmée et que la fermentation la plus grande sévit dans les environs immédiats de la capitale, celle-ci est elle-même en proie à une grave agitation.

Une foule de gens sans aveu, provenant de tous les pays, ayant un aspect terrifiant et des attitudes menaçantes, circulent dans les faubourgs.

Le 27 avril, la fabrique de papiers peints de Réveillon, au faubourg Saint-Antoine, et la maison de Henriot, salpêtrier, sont pillées sous les yeux d’un poste de trente hommes de Gardes-françaises qui n’intervient pas [^114].

Les émeutiers sont enfin dispersés le 28 par un renfort de grenadiers de Gardes-françaises et un bataillon de Gardes-suisses qui, après une décharge meurtrière de mousqueterie, font mine de mettre en batterie deux pièces de canon.

Cette sédition fut attribuée, à tort ou à raison, au parti d’Orléans [^115] ; mais, comme on pouvait s’y attendre, ses partisans accusèrent la Cour de l’avoir suscitée pour avoir le prétexte de faire venir les troupes et pour terroriser le peuple ; c’est ainsi qu’on prétendra plus tard que l’assassinat du boulanger François est dû à Bailly et à Lafayette, qui ont voulu se donner un motif de réclamer la loi martiale [^116].

Cependant, les interminables conflits qui se sont élevés à Versailles entre les différents ordres, la réunion de 47 membres de la Noblesse au Tiers, la réponse insolente de Mirabeau à une injonction légitime du Roi, la proclamation des États en Assemblée Nationale, le serment du Jeu de Paume et enfin l’attitude indécise et lassée du monarque, ont encouragé la propagande révolutionnaire à Paris. Elle s’exerce avec une audace incroyable, atteignant les fonctionnaires de tout ordre qui ne savent, dans ce chaos où la voix de l’autorité se fait si rarement entendre, quel est leur devoir.

Le 22 juin 1789, veille du jour fixé pour la fameuse séance où devait être lue la déclaration du Roi, « les membres du Club Breton, d’après Condorcet, s’assemblèrent au nombre de 150. On y discuta ce qu’il conviendrait de faire dans tous les cas. Il fut convenu, à l’unanimité, que les Communes se tiendraient dans le plus profond silence avant, pendant et après la cérémonie. Les membres du Club convinrent aussi de se disperser dans les différentes parties de l’Assemblée et que chacun d’eux contiendrait ou fortifierait ceux qui seraient tentés de se détacher ».

Ce plan est exécuté le lendemain pendant que, trahissant son devoir, Necker s’abstient de paraître à l’Assemblée et que deux compagnies de Gardes-françaises également gagnées refusent le service.

Le 24, l’Archevêque de Paris, Mgr de Juigné, manque d’être lapidé par la populace.

Le 27, les Gardes-françaises révoltés sortent de leurs casernes et vont se faire acclamer au Palais-Royal. Le 30, onze d’entre eux, considérés comme les meneurs, envoyés à la prison de l’Abbaye, sont délivrés par une bande d’émeutiers qui les déclarent sous la sauvegarde du peuple : ils sont ramenés au Palais-Royal, où un banquet leur est offert devant la foule, qui peut jouir une partie de la nuit de ce spectacle, les portes du jardin ayant été, par ordre du duc d’Orléans, maintenues intentionnellement ouvertes [^117].

Le 1er juillet, l’Assemblée nationale constate dans un arrêté les troubles de la capitale et « en gémit ». Néanmoins, elle envoie une députation au Roi pour le supplier de n’employer que les moyens infaillibles de la clémence pour le rétablissement de l’ordre [^118].

Le Roi répond avec bonté mais avec plus de fermeté que d’habitude : il a, depuis la veille, pris la résolution d’appeler de nouvelles troupes autour de Paris, les événements ayant démontré que l’envoi par Besenval, à Paris, du Royal-Dragons avec le duc de Choiseul [^119], des 100 soldats du Royal-Cravate [^120] commandés par Desaunoi et de 700 hussards, n’a eu aucune efficacité. L’Archevêque de Paris qu’on a fait intervenir auprès de Louis XVI, reçoit aussi de lui une lettre qui est immédiatement publiée. Le Roi déclare de nouveau qu’il usera de clémence à l’égard des coupables si le calme se rétablit : il ajoute qu’il a confiance dans l’Assemblée et qu’il ne doute pas « qu’elle n’attache une égale importance au succès de toutes les mesures qu’il prend pour ramener l’ordre dans la capitale ».

Le 4 juillet, l’Assemblée des Électeurs de Paris décide que dès que les mutins seront rentrés à l’Abbaye, 24 Électeurs iront à l’Assemblée Nationale « solliciter avec la plus grande activité l’exécution de la parole du Roi et s’engageront à ne pas rentrer dans Paris sans apporter la grâce des prisonniers ».

Ainsi donc, l’Assemblée Nationale et l’Assemblée des Électeurs, en s’associant aux motions du Palais-Royal, ne cachaient plus leur complicité avec les perturbateurs qui y régnaient.

Ils prennent ouvertement parti pour le désordre et interviennent en faveur de ceux qui l’organisent, en réclamant du Roi des actes de clémence, qu’ils prétendent hypocritement être les seuls infaillibles, alors qu’ils savent pertinemment que d’autres troubles se préparent et que seule la force armée peut en imposer à des émeutiers que dirigent et excitent ouvertement des meneurs gagés.

Ils contestent au Monarque, représentant légitime de l’autorité, le droit d’employer des moyens de répression dont eux-mêmes, une fois les maîtres, useront sans scrupules.

Ce sont les mêmes hommes qu’on verra, en effet, dès le 15 juillet, essayer de protéger les convois de grains et les marchés par des détachements ayant des consignes autrement sévères que celles qu’avaient prescrites les chefs précédents. Ce sont les mêmes qui, au mois d’août suivant, braqueront un canon en permanence à la barrière Montmartre, pour intimider les ouvriers qu’on dit prêts à se soulever ; ce sont eux aussi qui feront décréter, le 21 octobre, par l’Assemblée Nationale, la Loi Martiale [^121], et en feront l’application brutale, au Champ-de-Mars, deux ans plus tard. ; enfin, ce sont eux encore qui, moins de six mois après l’insurrection, réclameront les lois restrictives à la liberté de la Presse [^122], et, ces mêmes hommes qui ont couvert d’injures et de menaces le Roi et la famille royale feront condamner aux peines les plus rigoureuses quiconque médira de l’Assemblée Nationale [^123].

Mais actuellement, ils aspirent à être les maîtres : ils cherchent à désarmer le pouvoir et ils y parviennent en intéressant et en ralliant à leur cause des personnages qui deviendront un jour plus clairvoyants, mais se laissent encore sottement émouvoir ou endormir.

Tout est donc prêt. Pour attaquer à main armée l’autorité légale frappée d’inertie, il ne reste plus qu’à trouver un prétexte qui permette aux conspirateurs de prétendre qu’ils n’ont pas attaqué, mais qu’ils se sont défendus. Le prétexte, ils le saisissent à la première mesure qu’ils arrivent à faire passer comme un commencement d’exécution du projet qu’ils prêtent aux défenseurs de la Royauté et qui sera plus tard désigné sous le nom de complot de la Cour.

CHAPITRE V

« LE COMPLOT DE LA COUR »

I. Droits et devoirs d’un gouvernement. — Comment ils sont remplis par le Roi. — II. L’audace des conspirateurs. — Le renvoi de Necker sert de prétexte. — III. Les faux bruits. Le rôle attribué aux troupes. Calomnies avouées. — IV. La légende du « Complot de la Cour » ; elle est abandonnée puis reprise.

Ce n’est, au dire de Dumont [^122], qu’après coup, c’est-à-dire après le triomphe de la conspiration, que le mot fut trouvé, mais il fit fortune. La légende du Complot de la Cour permit aux émeutiers de 1789 de laisser croire qu’ils avaient arraché la Nation aux plus effroyables dangers et de se présenter aux yeux de la postérité en héroïques sauveurs.

Y eut-il une part de vérité dans cette thèse que les apologistes de l’aurore révolutionnaire s’efforcent encore de soutenir ? Les intentions du parti de la Cour avaient-elles dépassé les limites du droit que possède tout gouvernement de combattre l’anarchie naissante et de rétablir l’ordre, au point de mériter d’être qualifiées du nom de Complot contre la Nation ? C’est ce qu’il convient d’examiner.

Tout d’abord il est nécessaire de rappeler, en renvoyant à certains passages du Code National publié en 1788 et que nous avons cités [^123], qu’il entrait déjà depuis longtemps dans le plan de ceux qui conspiraient contre l’autorité royale de faire passer toute disposition militaire qui serait prise, comme une menace contre la représentation nationale, d’affirmer qu’elle cachait les plus noirs desseins contre la vie et la liberté des citoyens et d’en attribuer, de propos délibéré et quoi qu’il arrivât, la responsabilité non pas au Roi, mais à son entourage. Nous savons donc que chacun des conjurés était préparé à désigner comme Complot de la Cour tout acte d’autorité, et c’est sous la préoccupation évidente d’exécuter cette consigne que, le 13 juillet, Lafayette, Sieyès, Mounier et Le Chapelier rédigent le décret rendant personnellement responsables tous les conseillers du Roi [^124].

Des troubles entravaient de toutes parts la circulation des approvisionnements ; chaque jour les fermiers, apeurés, adressaient des demandes de détachements de protection ; des bandes de factieux agitaient la capitale ; des appels à l’insurrection partaient journellement du Palais-Royal ; une émeute avait éclaté le 24 juin à Versailles et on annonçait une nouvelle marche de séditieux sur cette ville ; enfin une partie du régiment des Gardes-françaises avait fait défection.

Une pareille situation créait un devoir impérieux à l’autorité royale de se pourvoir de forces suffisantes pour parer à toutes les éventualités.

Après la délivrance par l’émeute des Gardes-françaises emprisonnés à l’Abbaye, le Roi s’y décida enfin et comprit qu’il fallait placer à la tête des troupes qu’il allait appeler, un homme dont le nom, l’âge et les services passés en imposassent à l’armée et pussent aider à la maintenir dans son devoir. Le maréchal de Broglie fut choisi pour remplir cette mission [^125].

Les dispositions qu’il prit eurent pour but de protéger la famille royale contre des attentats que les troubles du 24 juin et les motions peu équivoques du Palais-Royal rendaient probables et, en même temps, d’empêcher tout désordre autour de l’Assemblée et dans la capitale. Il fit venir des régiments de l’Est et envoya camper à Paris au Champ-de-Mars trois régiments suisses avec 800 hommes à cheval, tant hussards que dragons [^126].

L’aspect des militaires en tenue de campagne, bivouaquant et évoluant comme en temps de guerre, des expressions énergiques prêtées avec plus ou moins de vérité au Maréchal, mais en tout cas répétées et colportées de-ci de-là avec malveillance, furent autant de prétextes saisis par les meneurs de l’Assemblée pour faire partager à leurs collègues l’inquiétude vraie ou simulée dont ils faisaient montre [^127].

Le 8 juillet, Mirabeau prend la parole et demande l’éloignement des régiments dont la présence, affirme-t-il, « peut provoquer les plus grands malheurs ».

Le 9, le Roi répond que les États-Généraux n’ont rien à craindre ; les troupes sont là pour maintenir l’ordre et elles ne s’éloigneront que lorsque tout sera apaisé.

Le 10, une députation de l’Assemblée accompagne M. de Clermont-Tonnerre, qui vient encore essayer d’attendrir le Roi. Les déclarations que fait de nouveau le monarque sont identiques aux précédentes : « Vous pouvez assurer l’Assemblée des États-Généraux que ces troupes ne sont destinées qu’à réprimer ou plutôt à prévenir de nouveaux désordres… » [^128].

Louis XVI n’a-t-il pas tenu, au delà de toute attente, l’engagement que contenait cette phrase avec son imprudent correctif ?… N’ayant pu les prévenir, il s’est interdit de réprimer les désordres et a capitulé devant eux. Dans ses mains, la Monarchie s’est effondrée.

Poussant dans ses dernières limites l’esprit de conciliation, le monarque avait ajouté dans sa réponse aux Députés de l’Assemblée : « Si pourtant la présence des troupes causait encore de l’ombrage, je me porterais, sur la demande des États-Généraux, à les transférer à Noyon ou à Soissons, et alors je me rendrais à Compiègne pour maintenir la communication qui doit avoir lieu entre l’Assemblée et moi ».

Le moyen proposé était sage et pouvait tout concilier. En éloignant la Cour et l’Assemblée du foyer de l’émeute, on avait de grandes chances de calmer l’effervescence.

Cette raison fut suffisante pour que les conjurés repoussassent la proposition royale. Apaiser le désordre, c’était les priver de leurs moyens d’action.

Aussi Mirabeau, après la lecture de la réponse du Roi, déclara-t-il à la tribune de l’Assemblée : « Nous n’avons pas demandé à fuir les troupes, mais la retraite des troupes : il faut être conséquents avec nous-mêmes, et pour cela nous n’avons qu’une conduite à tenir, c’est d’insister sans relâche sur le renvoi des troupes, seul moyen de l’obtenir [^129]. »

Sans tenir plus de compte que Mirabeau de la parole du Roi, le même jour, c’est-à-dire le 10 juillet, à la séance des Électeurs de Paris, Bancal des Issarts, fidèle à la tactique convenue, présentait la situation sous l’aspect le plus terrifiant.

« Les baïonnettes, l’étendard du despotisme et de la mort, s’écriait-il, sont tournés contre les représentants des provinces assemblés dans un même lieu, un camp de troupes étrangères est établi au sein de la ville, jamais on ne vit préparatifs plus formidables ! » Et après avoir conclu : « il ne nous reste plus que les horreurs de la guerre civile ou le joug de l’esclavage », il réclamait de nouveau la création de la Garde-bourgeoise déjà proposée le 25 juin par Bonneville. Ce dernier, qui se montrait toujours le promoteur des mesures insurrectionnelles, déterminait encore, dans la même séance, l’Assemblée des Électeurs « à se constituer en corps de commune, à confirmer les officiers municipaux, à les inviter à prendre séance pour délibérer avec les Électeurs et à convoquer les Districts ».

II

La révolte organisée contre l’autorité royale est bien flagrante. Devant les excitations indéniables au désordre qui dure depuis si longtemps, toute parole de conciliation prononcée par le monarque ne sert plus qu’à révéler sa faiblesse et à donner aux conjurés l’espoir d’une nouvelle reculade de sa part, et pourtant le Roi parlemente encore.

De son côté, le Maréchal de Broglie se borne à sommer à plusieurs reprises le duc d’Orléans de rétablir l’ordre au Palais-Royal [^130]. « L’idole du peuple » n’en tient aucun compte, car il se croit à la veille de son triomphe et n’a garde de calmer sa bande qui s’agite de plus en plus sous l’œil intimidé de l’autorité. Le samedi 11, les Électeurs adressent à l’Assemblée nationale une requête pour former les Gardes-bourgeoises et protestent encore contre la présence des régiments. Sur une proposition faite par le Président de fixer la prochaine séance au 16, le franc-maçon Deleutre se lève tragique et réclame la permanence parce qu’il faut prendre les mesures les plus urgentes, « l’Assemblée Nationale et la Ville de Paris sont menacées des plus grands malheurs… Le lundi 13 juillet de cette année sera plus désastreux pour la France que le 13 juillet de l’année dernière [^131] ! »

Bailly taxe, dans son Journal, ces paroles de prophétiques. Il a donné le même qualificatif à celles que Mirabeau a prononcées le 8 juillet, en convenant toutefois « que pour diriger cet esprit de prophétie, Mirabeau pouvait avoir des connaissances particulières, étant donné son art pour remuer le peuple » ; et « peut-être, avoue-t-il encore, n’y était-il pas plus étranger ici qu’en Provence ».

L’admiration du Président de l’Assemblée Nationale pour l’esprit prophétique de Deleutre aurait pu s’accompagner aussi de certaines réserves, car cet Électeur avait plus d’un titre pour être aussi dans le secret des projets des conspirateurs [^132].

N’était-ce pas encore une intuition d’origine suspecte qui faisait annoncer au futur Maire de Paris, dès le 12 juillet, par la bouche de Thierry, procureur au Parlement, « que le bruit courrait au Palais-Royal que lui, Bailly, serait Prévôt des Marchands », alors que personne n’avait encore entendu dire qu’on voulût se débarrasser de Flesselles [^133] ?…

Tout le programme qui fut mis à exécution à partir du 14, semble avoir été prévu et, comme on le voit, arrêté même jusque dans ses détails. Aussi peut-on affirmer que le renvoi de Necker, que l’on apprit seulement le 12, ne fut pas la cause déterminante des événements ; tout au plus peut-on admettre que cette maladroite mesure — maladroite surtout parce qu’elle ne fut accompagnée d’aucune autre précaution — favorisa la cause de l’insurrection [^134]. Les paroles de Deleutre qui, au moment où il les prononçait, ignorait le départ du Ministre, sont l’aveu qu’on avait déjà organisé une émeute. D’autre part, dans la conversation du 17 juillet à Montreuil, chez Malouët, lorsque ce dernier dit à Coroller : « Vous n’aviez pas prévu le renvoi de M. Necker, et sans cette faute vous auriez échoué, » le député breton répond : « Tout était prévu ; si M. Necker n’avait pas été renvoyé, la Révolution se serait toujours faite : on aurait mis le feu au Palais-Bourbon [^135]. »

Dusaulx raconte de son côté : « Lorsque, le 25 juin, Bonneville s’enflammant tout à coup dans l’Assemblée des électeurs, s’écria : Aux armes ! Aux armes ! » — les uns en frémirent d’horreur, et les autres lui sourirent, et l’un de nous lui répondit : — Jeune homme, il n’est pas encore temps. Remettons cette motion à la quinzaine [^136]. »

De tous ces aveux, la conclusion est facile à tirer. Il y avait un complot, mais ce n’était pas du côté du parti de la cour.

Necker le savait bien, et il quitta Paris, heureux de se soustraire aux embarras d’une situation équivoque pour lui et, par sa faute, menaçante pour le souverain qui lui avait trop longtemps accordé sa confiance.

Qui détermina le Roi à éloigner ce Ministre ? Peut-être le comte d’Artois ou la Reine [^137]. En tous cas, ses collègues, y compris Barentin qui lui était le plus opposé, y compris également le Maréchal de Broglie, s’en sont tous défendus et ont déclaré n’avoir connu la chose qu’une fois faite. Tous ont déploré cette mesure, sentant avec raison que devant les événements qui s’annonçaient, il eût été juste et utile de laisser au Ministre populaire sa part de responsabilité, et que l’en dégager c’était exposer ses collègues à la méfiance publique.

Tous donnèrent leur démission et furent remplacés par d’autres qui, à leur tour, devaient démissionner le 16 au soir [^138].

Le départ de Necker, connu dans la matinée du dimanche 12 juillet, donna le signal de l’explosion.

À quatre heures, au Palais-Royal, Camille Desmoulins appelle les citoyens aux armes.

Les bustes de Necker et du duc d’Orléans sont promenés en triomphe.

On répand partout l’alarme en affirmant que, si le Ministre a été renvoyé, c’est bien parce qu’il a refusé de s’associer aux mesures de répression exceptionnelle qui, prétend-on, se préparent.

Les affiliés que la conspiration compte au Parlement, à la Bourse, au Palais et dans l’Armée, répandent partout l’effroi par l’annonce d’un bombardement imminent de la ville : le siège sera terrible, on a vu passer des grils pour chauffer les boulets au rouge, etc., etc… Les fables les plus ridicules circulent et émeuvent des gens n’aspirant qu’à la tranquillité, qui finissent par s’imaginer naïvement que c’est la Cour de Versailles qui va troubler leur quiétude par la disette, la faillite, le pillage et la fusillade.

Quels ordres sévères va donner l’autorité, quelles dispositions rigoureuses vont prendre ceux qui ont charge de la faire respecter ?

Dans le procès Besenval, devant le Châtelet, on lut à l’audience les instructions qu’il avait reçues. Elles étaient ainsi libellées : « Donner les ordres les plus précis et les plus modérés aux officiers qui commanderaient le détachement que vous seriez dans le cas d’employer, pour qu’ils ne soient que protecteurs, et éviter avec le plus grand soin de se compromettre et d’engager aucun combat avec le peuple, à moins qu’on ne se portât à mettre le feu ou à commettre des excès ou pillages qui menaçassent la sûreté des citoyens. »

Comment ces ordres furent-ils interprétés ? Un officier aux Gardes-françaises, le marquis de Maleyssie, nous l’apprend avec plus de détails que n’en a donné tout autre de ses contemporains. Le 12, des bandits s’étaient portés à la Barrière Blanche pour l’incendier ; « un piquet de cinquante maîtres du Royal-Allemand y accourut pour disperser la populace, mais avec ordre de faire feu de leurs mousquetons et de ne le faire qu’en l’air seulement pour l’effrayer », et l’officier constate « que c’est une cruelle et dangereuse faiblesse que de ménager toujours la populace quand celle-ci ne ménage plus rien ».

Dans la soirée du même jour, le 12, le prince de Lambesc déblaye avec le Royal-Allemand, par une marche au trot, la place Louis XV et le jardin des Tuileries, et après avoir eu deux hussards tués et plusieurs hommes blessés par les Gardes-françaises mutinés qui tirent sur sa troupe, il se retire sans riposter. À cela se borneront, pour toute la durée des troubles, les mesures de répression ! Cette évolution militaire, la première et la dernière qui sera faite pendant ces journées d’émeute, suffira pourtant à faire proclamer qu’on a commencé l’égorgement du peuple de Paris ! [^139]

Lorsqu’on lit dans les journaux de l’époque et dans quelques histoires modernes les pages dramatiques et indignées qu’a inspirées l’anodin piaffage de Lambesc qui ne tua personne et qu’on qualifia avec audace de charge meurtrière, au point d’en inspirer la conviction à la France entière, on se rend compte de l’emploi qu’ont su faire de la presse les hommes de 1789, pour remuer et tromper cyniquement l’opinion publique.

C’est avec vérité que le rédacteur du Père Duchêne pouvait écrire plus tard : « Avec des plumes on a fait foutre à bas les plumets des preux ! Avec des plumes on a balayé des boulets, encloué des canons ; avec des plumes on a fait danser une gavotte à Dame Bastille [^140] ! »

III

Le 13, des bandes de gens sans aveu incendient les barrières ; on pille Saint-Lazare et le Garde-Meuble ; on ouvre les portes aux détenus de la Force ; l’armée n’intervient pas et se retire ; le 14, la Bastille est assiégée, l’armée laisse faire et bat en retraite. Est-ce faiblesse insigne du pouvoir royal ou trahison de ses défenseurs ? Quoi qu’il en soit, après avoir constaté que les bandes d’émeutiers, lancées en avant pour tenter ces besognes, n’ont rencontré aucun obstacle, la vague inquiétude des révolutionnaires plus haut gradés se dissipe pour faire place à une audace et à une jactance sans égales.

C’est alors qu’on parle avec emphase du « Complot de la Cour ». On avait vaincu sans péril, mais on n’entendait pas triompher sans quelque apparence de gloire. Il fallait bien pour cela se persuader et persuader aux autres qu’on avait couru des dangers, et chacun, selon son imagination, s’évertue à les énumérer avec maints détails [^141].

« Il fallait tuer la cour de Versailles pour qu’elle ne nous tuât pas, dit Sébastien Mercier dans le Nouveau Paris, et il ajoute : « Le plan d’attaque qui devait avoir lieu à Versailles contre l’Assemblée Nationale et contre Paris est un des plus épouvantables projets qui aient été conçus dans une cour dépravée. La ville eût été saccagée, livrée au pillage, réduite au tiers de ses habitants [^142] ! »

Ce fut là, avec des variantes, la version résumée répandue dans les milieux populaires. Dans d’autres, on ne se faisait pas faute de colporter des bruits non moins invraisemblables qui, présentés adroitement et sous forme de mystérieuses confidences, passant pour émaner de gens bien informés, trouvaient crédit auprès des personnages les plus sérieux.

Il n’est pas douteux que dans l’entourage du Roi et surtout dans celui de la Reine on avait envisagé la situation sous son vrai jour et cherché les moyens d’y porter remède. Les donneurs de conseils ne manquaient pas, et il est probable que les projets les plus divers avaient été agités, entre autres celui d’arrêter le duc d’Orléans et les principaux meneurs. Avoir songé à cette solution et l’avoir discutée, cela constituait-il un complot contre la sécurité publique ? De ces conversations à bâtons rompus dans lesquelles chacun émettait des avis plus ou moins violents, était-il même sorti un plan arrêté, une ligne de conduite déterminée ? Ce qui s’est passé par la suite démontre le contraire. Mais ces propos, répétés par des favoris indiscrets ou perfides, étaient avidement recueillis par les jeunes gentilshommes du parti d’Orléans qui, après les avoir travestis et exagérés, allaient dans les milieux où s’exerçait leur propagande, les présenter, pour le plus grand profit de leur cause, comme les véritables projets du Gouvernement.

C’est ainsi que Menou et d’Aiguillon, au Club du boulevard, font des révélations à Gouverneur Morris, qui s’empresse au 31 juillet de les transmettre à Washington [^143].

« … Il était question de réduire Paris par la famine, d’arrêter 200 membres des États-Généraux et de gouverner à l’ancienne mode. Tout cela, direz-vous, était de la folie, par conséquent invraisemblable ; mais n’était-ce pas une folie de renvoyer Necker et de changer le ministère à l’époque et de la manière qu’on avait choisies ? Les hommes assez faibles pour faire la première chose étaient certainement assez fous pour faire la seconde. Deux régiments allemands, dont on devait se servir, avaient été régalés par la Reine, dans l’Orangerie de Versailles ; ils avaient reçu des largesses, des promesses ; on les avait incités à crier : Vive la Reine ! Vive le Comte d’Artois ! Vive la Duchesse de Polignac ! Ensuite, leur musique avait joué pendant quelques heures sous les fenêtres de Leurs Majestés. Le Maréchal de Broglie chercha en même temps à gagner l’artillerie ; mais on vit enfin que, quoique les troupes voulussent bien crier et chanter, cependant elles ne se battraient pas contre leurs concitoyens… L’armée tout entière, en France, s’est déclarée en faveur de la Révolution ; et la raison qui fait que S. M. n’a pas pris les mesures énergiques que j’ai énumérées plus haut, c’est qu’elle ne connaît pas un seul régiment qui eût voulu s’y prêter. »

Bailly [^144], Salmour [^145], Miot de Melito [^146] et beaucoup d’autres rapportent, dans leurs Mémoires ou leur correspondance, les mêmes on-dit et font aussi allusion à ces scènes de l’Orangerie de Versailles qui ont servi au parti d’Orléans à créer la légende qu’on verra renouvelée plus tard pour provoquer les journées des 5 et 6 Octobre. En quoi, pourtant, ces manifestations pouvaient-elles prouver la réalité du Complot de la Cour ?

Au son de la musique militaire il y avait eu, selon l’usage, réceptions en l’honneur des régiments qui arrivaient : mais cette fois les Princes y avaient assisté. N’était-ce pas naturel et légitime ? Au moment où les attaques et les outrages les plus violents étaient lancés chaque jour à la tête du Roi et de la Reine et pendant que de toutes parts les troupes se voyaient en butte à des tentatives de corruption auxquelles plusieurs avaient déjà succombé, la famille royale venait, au milieu de cet élément militaire nouvellement arrivé, lui rappeler par sa présence qu’elle comptait sur son dévouement et sa fidélité. Il n’est pas douteux que l’écho des acclamations et des cris de « Vive le Roi et la Reine » qui accueillaient les princes n’ait résonné désagréablement aux oreilles des conspirateurs qui siégeaient dans la salle des États-Généraux et ne leur ait causé quelque inquiétude.

Le dépit et la crainte sont les seuls motifs qu’on puisse invoquer pour les excuser d’avoir traité contre toute vérité « d’orgies et de saturnales provocatrices » ces réceptions où s’étaient échangé, dans des circonstances aussi critiques, entre les souverains et leurs défenseurs, des assurances de confiance et de fidélité que pourtant on ne voulut pas utiliser.

Les hommes du Palais-Royal, en invoquant ce nouveau grief contre la Cour et lorsqu’ils en entretenaient complaisamment les membres du Corps diplomatique, se gardaient bien de leur dire tout ce qu’eux-mêmes avaient mis en œuvre, depuis longtemps déjà, pour détourner de leur devoir les Gardes-françaises et tous les régiments au fur et à mesure qu’ils arrivaient. On n’avait rien épargné pour les débaucher, et tandis que par l’action des Loges on essayait de neutraliser le corps des officiers, l’argent, le vin et les filles tentaient d’entraîner les soldats dans les rangs de l’émeute [^147].

Est-ce manque de confiance dans l’armée qui empêcha le Roi de l’employer, comme l’avance, avec beaucoup d’autres, Gouverneur Morris ? C’est peu probable, La crainte seule de faire verser le sang paraît avoir réduit Louis XVI à cette extrémité qu’il valait mieux laisser tout aller au petit bonheur et se renfermer dans la ligne de conduite indiquée par sa formule : prévenir mais ne pas réprimer.

Ce fut cet état d’âme, au contraire, et ce mot d’ordre qui influencèrent certains régiments dont les chefs, déjà circonvenus par les meneurs, n’étaient rappelés à leurs devoirs par aucune parole réconfortante et, mornes et hésitants, se bornaient à garder devant leurs subordonnés le silence le plus équivoque.

À défaut du Roi, il eût suffi que le Maréchal de Broglie ou Besenval montrât une volonté ferme et une résolution énergique pour modifier la marche des événements. Il ne s’agissait pas d’exterminer de parti pris qui que ce fût, mais d’opposer sans faiblesse la force à la force et d’inspirer aux troupes qu’ils commandaient le réel sentiment de leur devoir.

On s’attendait à un coup d’autorité. Les uns le redoutaient, mais on peut dire que la grande majorité le souhaitait.

La masse des citoyens de toute classe qui épiaient, anxieux, comme il arrive en pareil cas, de quel côté allait pencher la balance, se fussent ralliés au parti de l’ordre s’il eût été vainqueur. Tels, qui se déclarèrent plus tard les plus farouches jacobins, auraient été les plus zélés défenseurs de la royauté.

Le chef qui, avec sang-froid et énergie, eût pris l’initiative de mettre les perturbateurs et les déserteurs sous les verrous et de faire un exemple avec ceux qui se déclaraient à main armée en révolte contre l’autorité, aurait eu toutes les chances de réussir, malgré l’immense terrain qu’avait déjà envahi la conspiration.

Que de sang et de ruines eussent été épargnés par la suite !

Pourtant ce chef, qui eût été proclamé à bon droit le sauveur de Paris, plus justement que ne le fut Lafayette, le 17 juillet 1791, après la sanglante et peut-être injustifiée fusillade du Champ-de-Mars [^148], ce chef ne se rencontra pas !

Les généraux dont l’inaction a été critiquée [^149] ont répondu que, n’ayant pas reçu d’ordre, ils n’avaient qu’à se renfermer dans la stricte observation des consignes qu’ils avaient reçues et dont le résumé était de ne rien faire [^150].

La légende du complot de la Cour servit à prendre la Bastille, à faire égorger sa garnison puis, quelques jours après, d’autres personnages. Pourtant, cela ne parut pas suffisant aux conspirateurs. Ils payèrent d’audace et voulurent démontrer juridiquement la réalité du complot : c’était un moyen d’excuser les exécutions sommaires, d’étendre le châtiment à tous les agents et aux principaux fonctionnaires de l’ancien pouvoir ; ils entendaient les poursuivre comme coupables du crime de lèse-nation et donner ainsi à l’insurrection de juillet un caractère de légalité.

Un Comité de recherches fut créé dans ce but, et Garran de Coulon, un des moins connus mais un des plus perfides parmi les conspirateurs, se chargea, sous forme de rapport, de dresser un véritable réquisitoire.

Nous examinerons plus loin les preuves dérisoires et les pitoyables arguments auxquels ce sectaire haineux eut recours pour soutenir cette thèse qui, comme le faisait remarquer de Sèze, défenseur de Besenval, ne tendait à rien moins « qu’à qualifier de crime tout ce qui avant l’insurrection se nommait vertu et fidélité ».

Toujours est-il qu’une instruction fut ouverte au Châtelet contre Broglie, Barentin, Besenval, Puységur et d’Autichamp. Tous, sauf Besenval, étaient à l’abri hors de France [^151], ce dernier ayant été arrêté dans sa fuite. L’intervention de son compatriote Necker lui évita le sort de Foullon et de Bertier ; mais la popularité de l’ancien Ministre était trop amoindrie pour obtenir qu’il sortît de prison.

Besenval comparut donc seul devant le Châtelet.

On connaît les scandales de ce procès : les cris de mort et les injures contre l’accusé, puis tout à coup l’auditoire lui devenant favorable et applaudissant, le 1er mars 1790, à l’acquittement de tous les accusés pendant que le Moniteur déclarait : « L’information la plus exacte n’a pu constater la réalité des prétendus délits [^152]. »

Est-ce que la Légende du « Complot de la Cour » n’aurait pas dû disparaître dès cette époque ? Le Moniteur n’en avait-il pas montré toute la fausseté lorsqu’il était obligé d’avouer « que les pièces qui avaient été produites manifestaient que le rassemblement des troupes n’avait pour objet que la surveillance des approvisionnements de Paris, et que loin d’avoir pour but la destruction des citoyens, elles n’avaient été réunies que pour les protéger [^153] ».

IV

Et cependant la sentence du Châtelet ne mit pas fin à la légende. La décision des juges, approuvée par une partie des conjurés, que leur arrivée au pouvoir ou l’intérêt avait assagis, fut violemment attaquée par tous ceux dont ils avaient éveillé les appét*** et qui les avaient puissamment secondés dans l’insurrection.

On avait déchaîné les pamphlétaires, excité les émeutiers en prétextant les sinistres projets du gouvernement, et on venait ensuite proclamer que tous ces projets n’avaient pas existé !

Marat se montra le plus ardent à crier au déni de justice. Le soin évident qu’on avait pris au cours du procès d’écarter la personnalité de Necker, auquel revenait une part de responsabilité dans certaines mesures visées par l’accusation, donna au rédacteur de l’Ami du peuple un facile prétexte de lancer de violentes attaques contre tous ceux qui tentaient de couvrir le « Vertueux Ministre ». Elles valurent au journaliste un décret de prise de corps et la suspension de sa feuille que l’on accusa, suivant l’habituelle tactique, d’être soudoyée par les aristocrates [^154].

En 1791, un député de l’Assemblée osa, malgré le nom qu’il portait, accréditer encore l’histoire de la Conspiration de la Cour. C’était le fils aîné du Maréchal de Broglie. — L’Assemblée, le 18 décembre 1790, avait déclaré déchus de leurs places tous les fonctionnaires publics qui, dans le délai d’un mois, ne seraient pas rentrés dans le royaume. Victor Broglie — comme il se faisait appeler — vint, dans la séance du 5 mars suivant, supplier l’Assemblée de conserver à son père son titre militaire, en invoquant ses services passés ; il ajouta que c’était le Maréchal qui avait combattu les conseils pernicieux qu’on avait donnés au Roi, et que c’était lui qui avait obtenu du monarque la retraite des troupes.

L’Assemblée rendit un décret conforme au désir du postulant. Mais le Maréchal de Broglie n’envisagea pas comme un titre de gloire ce commentaire inattendu ; par une lettre, datée de Trèves et insérée dans les papiers publics, il exprima « le désaveu formel de ce qu’avait dit à l’Assemblée M. Victor Broglie son fils [^155] ».

Plus tard, le tribunal révolutionnaire à son tour utilisera le complot de la Cour, faute d’autre grief, pour envoyer à l’échafaud « les aristocrates et les anciens suppôts de la tyrannie », et devant la Convention, Louis XVI, au cours de son procès, aura aussi à se défendre de l’accusation d’avoir voulu faire massacrer le peuple de Paris.

À maintes reprises et toutes les fois qu’il s’agira d’excuser les violences et les scènes barbares des premières journées de la Révolution, on ne se fera pas faute d’évoquer ces prétendus projets sanguinaires.

Plus de quarante ans après les événements, l’occasion se présentera pour Lafayette lui-même de recourir à ce procédé dans le but de défendre ses amis de la première heure et de faire ressortir leur héroïsme et le sien. Donnant aux dangers imaginaires qu’il avait courus avec ses collègues de l’Assemblée, un caractère de précision destiné à faire croire à leur réalité, il déclarera : « On avait le projet de saisir 12 de ses membres dont j’avais l’honneur de faire partie et de les immoler [^156]. »

La destruction de la légende du complot de la Cour contre la Nation aurait eu de trop graves conséquences pour la gloire des vainqueurs de la Bastille et celle de Lafayette ; aussi, le Général de l’insurrection n’hésita pas, au lendemain d’une nouvelle Révolution qui venait de renverser une seconde fois la Monarchie, à faire revivre la légende de « La Conspiration de la Cour », à l’aide de révélations aussi tardives qu’invraisemblables.

DEUXIEME PARTIE

Le triomphe de la Conspiration.

CHAPITRE PREMIER

LES DEUX PREMIERES VICTIMES

I. Le Gouverneur de la Bastille : le marquis de Launey. — II. Calomnies répandues sur son compte. — III. Le Prévôt des Marchands : Jacques de Flesselles. Son passé. Opinion de Bailly sur les causes de sa mort.

Quiconque étudie sans parti pris les événements du 14 Juillet, arrive à reconnaître que la capitulation des défenseurs de la Bastille fut, en réalité, un succès plus flatteur pour l’astucieuse habileté des vainqueurs, que pour leur gloire militaire.

Cette particularité eût apparu, au moment du triomphe, avec plus de clarté si le groupe des conjurés, qui souhaitait toujours que « la régénération fût un ouvrage de frères [^157] », n’avait été dominé par la faction qui dirigeait tout et entendait, comme le disait un de ses membres que nous avons déjà cité, « sillonner profond ».

Ce fut cette faction qui se chargea de masquer la vérité sous de bruyantes explosions d’enthousiasme et en accumulant mensonges sur mensonges. L’exagération des éloges décernés aux « Vainqueurs », dissimula l’absence presque complète des dangers qu’ils prétendaient avoir courus [^158]. On usa d’un procédé analogue pour atténuer l’impression pénible produite par l’odieux massacre des défenseurs et l’exhibition scandaleuse de leurs restes ensanglantés ; on promena par la ville les sept prisonniers trouvés dans les chambres de la Bastille, en les représentant comme d’innocents martyrs du despotisme [^159] et, en même temps, on se mit à proférer les accusations et les injures les plus violentes contre la mémoire des deux principales victimes de la journée du 14, le marquis de Launey et M. de Flesselles.

Si, dans la confusion et la succession rapide des événements, on avait pu croire à une perfidie du premier, à la trahison du second et excuser, à ce titre, les excès de la colère d’une populace aveugle, les gens sincères et de bon sens ne pouvaient, une fois la fièvre tombée, conserver la même conviction.

Pourtant, bien que, dans le cœur à cœur des correspondances ou des conversations particulières, on s’accordât à attribuer aux bandes soudoyées [^160] par le Palais-Royal ainsi qu’aux pillards et aux brigands dont tout le monde signalait la présence, la responsabilité des actes barbares commis, on vit bien peu de coopérateurs de cette journée dénoncer et répudier publiquement ces sinistres collaborateurs. Suggestionnés par le mot d’ordre imposé par les dirigeants, tous montrèrent la même faiblesse en laissant, sans protestation, s’exercer la tactique révolutionnaire aux dépens des victimes de l’émeute que l’on couvrit des plus injustes et des plus noires calomnies.

Sous prétexte que le Gouverneur de la Bastille avait fusillé le peuple en l’attirant traîtreusement dans l’enceinte de sa forteresse, après avoir arboré le drapeau blanc, bien que le fait fût inexact ; sous prétexte aussi qu’on avait découvert entre lui et le Prévôt des Marchands une connivence, dont on essaya vainement d’établir la réalité, on voulut livrer la mémoire de l’un et de l’autre à l’exécration publique en les présentant comme des hommes dont la vie tout entière n’était composée que d’une longue suite d’actes méprisables. L’existence de ces deux personnages ne pouvait pourtant justifier, d’aucune manière, de pareilles imputations.

II

Il eût été surprenant qu’un Gouverneur de la Bastille ne fût pas cond***é, par la force des choses, à partager l’impopularité dont jouissait la célèbre prison. C’était là une réputation inhérente à la charge, et on peut supposer que l’homme qui était appelé à tenir sous les verrous ceux que la crédulité populaire considérait toujours comme des victimes du despotisme et de l’arbitraire, ne bénéficiait pas des sympathies publiques.

Le marquis de Launey ne fut, ni plus ni moins que ses prédécesseurs, en butte aux médisances de ses contemporains ; mais, après sa mort, pour excuser son assassinat, il fallut bien le faire passer pour un homme d’une dureté exceptionnelle, l’accuser de barbarie envers les prisonniers et de prévarication à leurs dépens. Rien n’était plus faux et, à part Cagliostro et Linguet, ceux qui avaient fait un séjour à la Bastille ne l’avaient en aucune façon incriminé.

Bernard René Jourdan, marquis de Launey, avait, au moment de sa mort, près de 50 ans et comptait plus de douze ans de service dans sa charge.

Il était né le 9 avril 1740, au château même de la Bastille, dont son père était alors Gouverneur. Celui-ci, veuf en 1736 de Catherine-Charlotte Sevin de Quincy [^161] dont il n’avait pas eu d’enfant, avait épousé Renée-Charlotte Aubry d’Armanville, qui lui avait donné trois fils, dont l’aîné, Bernard, fut le personnage en cause [^162].

D’après ses états de service, celui-ci avait été inscrit dès l’âge de huit ans à la deuxième Compagnie des Mousquetaires ; il passa aux Gardes comme deuxième Enseigne le 13 mai 1757, comme premier Enseigne le 14 octobre 1759, et fut nommé sous-lieutenant le 22 janvier 1761.

Son père, mort subitement, alors que le jeune Bernard n’avait que neuf ans (le 5 août 1749), avait été remplacé au Gouvernement de la Bastille par le comte de Jumilhac de Cubjac.

Comme son père, Bernard se maria deux fois. Il épousa d’abord, le 11 décembre 1763, Anne-Ursule Philippe, qui mourut l’année suivante [^163] en donnant le jour à une fille. Lorsqu’il fut à son tour nommé Gouverneur de la Bastille, en remplacement de M. de Jumilhac, qui démissionna en sa faveur (21 septembre 1776), cette enfant, malgré son jeune âge, fut mariée au fils du démissionnaire [^164].

Avant d’être appelé à remplir les fonctions qui devaient lui coûter la vie, le marquis de Launey avait quitté momentanément le service, en 1767, et s’était marié en secondes noces, le 20 avril 1768, avec Geneviève-Thérèse Le Boursier, née comme lui en 1740. Il en avait eu deux filles, dont l’aînée [^165] s’unit, le 5 février 1786, à Philippe-Charles-Bruno d’Agay, Maître des Requêtes adjoint à l’Intendant de Picardie [^166]. Sa seconde fille mourut célibataire, à Paris, le 2 avril 1808 [^167].

En 1772 (le 25 août), Launey fut nommé capitaine à la suite au Régiment de la Marche-Cavalerie, et reçut, en 1773, la croix de Chevalier de Saint-Louis. Il avait quitté définitivement le service militaire lorsqu’il reçut ses lettres de provision de Gouverneur de la Bastille [^168].

Les états de services militaires du nouveau Gouverneur, bien qu’ils datassent de sa toute première jeunesse, n’avaient rien de remarquable et n’indiquaient pas qu’il fût particulièrement rompu par des campagnes au métier des armes. Ce fut peut-être la raison de la maladresse dont il fit preuve dans la défense de la forteresse confiée à sa garde.

Pendant les douze ans qu’il exerça l’emploi de Gouverneur de la Bastille, aucun événement bien saillant n’est à signaler.

Michelet, pour porter ses jugements sur les hommes qui n’étaient pas dans les rangs révolutionnaires, s’inspirait volontiers de tous les pamphlets de l’époque ; aussi a-t-il accusé Launey « d’avoir doublé par ses rapines ses 60.000 livres d’appointements ».

C’est dans le Mémoire de Linguet et dans la Bastille dévoilée qu’il a trouvé cette calomnie qui, dépourvue de toute preuve et plus que suspecte par son origine, peut être considérée comme de peu de valeur.

Les Mémoires secrets de Bachaumont, si peu indulgents d’ordinaire, avaient pris, à la date du 7 avril 1785, la défense du Gouverneur et de sa femme, tous deux visés par le factum de Linguet, et avaient fait observer que les imputations du célèbre pamphlétaire étaient en contradiction « avec le caractère connu de douceur et d’humanité de l’un et de l’autre ».

Peu d’années après, Cagliostro, à son tour, accusait le Gouverneur d’avoir fait signer à sa femme un reçu d’une restitution de bijoux qui n’aurait pas été effectuée. Launey n’hésita pas à solliciter en faveur de son adversaire, alors réfugié à Londres, un sauf-conduit qui lui permit de venir en toute sécurité donner la preuve de ce qu’il avançait. Le 14 juillet 1787, le ménage Cagliostro fut débouté de sa demande [^169].

Le marquis de Launey, dans la journée du 14, montra peut-être qu’il n’avait pas les qualités nécessaires pour faire face aux difficultés qui surgissaient ; mais il faut avouer que l’isolement dans lequel on le laissa dut faire impression sur lui aussi bien que sur ses subordonnés. Besenval, qui, dans ses Mémoires, critique sa conduite et déclare qu’il perdit la tête, semble oublier qu’il ne fit aucune tentative pour porter secours au gouverneur et dégager les approches de la Bastille [^170]. Sans ordre, ne sachant quel rôle jouaient les chefs de l’armée qui entourait Paris, Launey, influencé par les discours que lui avaient tenus les délégués de la ville, ne sut pas maintenir sa troupe dans le devoir ; quand il vit qu’elle parlait de se rendre, il voulut se donner la mort ; on l’en empêcha. Nous verrons que, au cours de son agonie, il n’eut pas une défaillance de caractère et mourut courageusement [^171].

III

Jacques de Flesselles, né à Paris le 11 novembre 1750, était fils de Jacques de Flesselles, secrétaire du Roi, et d’Élisabeth Robinet. S’il faut croire Dufort de Cheverny, écho habituel des médisances de son temps, Flesselles, le père, aurait fait une fortune importante par d’heureuses spéculations lors de la prospérité du système de Law. « On disait qu’après avoir monté derrière les carrosses, en six semaines il était monté dedans… La ressemblance de son nom avec celui des Flecelles de Picardie lui fit faire des sacrifices et, un beau matin, il se trouva être de la famille. Le mari et la femme, de beaucoup d’esprit, recevaient chez eux la meilleure société du Marais, robe et vieux officiers… »

Le futur Prévôt des Marchands, après avoir été Conseiller au Parlement et Maître des Requêtes, fut Intendant de Moulins, en 1762, et occupa successivement les mêmes fonctions en Bretagne (1769), et à Lyon (1767).

Dans ces différents postes il laissa des traces honorables de son administration, et cependant, à Rennes, en particulier, sa situation fut singulièrement difficile. Depuis 1762, il était Procureur général de la Commission nommée par le Roi pour examiner la Constitution des Jésuites. Le Rapport écrit sous ses yeux par La Bonneterie, avait été corrigé par le Dauphin, père de Louis XVI. Chargé, en 1769, d’instruire dans l’affaire de La Chalotais, les partisans de ce dernier ne lui épargnèrent pas les pamphlets, les attaques les plus exagérées et les plus injustifiées. L’année suivante, le Roi le chargea de la mission délicate d’examiner les accusations dont on incriminait le duc d’Aiguillon.

En 1759, Flesselles avait épousé une jeune femme de bonne maison : Marie-Geneviève-Rose-Ursule Pajot, fille de Pierre Pajot de Nozeau [^172], et de Mme de Versoris. Elle était veuve de Marie-Louis-Claude-Bruno Langlois de Motteville, Président aux Enquêtes [^173].

Le séjour du ménage avait laissé à Lyon les meilleurs souvenirs : « Homme de talent, petit, mais d’une jolie figure, le ménage avait le goût et le talent de la représentation… Sans enfants, ils poussaient leurs dépenses à un luxe étonnant. Il n’était bruit à Lyon que de sa magnificence et de son goût pour les femmes [^174]. »

Pendant son séjour à Paris, après avoir quitté l’hôtel paternel de la rue Paradis, proche l’hôtel Soubise, Flesselles, seigneur de Champgueffier, était venu se fixer dans un somptueux hôtel, 14, rue Bergère, et avait acheté le château du Marais, entre Bezons et Argenteuil [^175].

Son administration et la Généralité de Lyon n’en étaient pas moins prospères ; ce fut lui qui fit construire les routes du Bourbonnais, celle de Lyon à Dijon, et qui fit ériger l’obélisque de Lyon. Il protégea avec persistance les expériences des frères Montgolfier [^176]. Un prix pour le perfectionnement de la teinture de la soie fut fondé par lui.

Conseiller de la Grande Chambre, puis Conseiller d’État (1784), Flesselles avait été appelé à faire partie de deux des dix commissions extraordinaires du Conseil, de celles établies le 27 octobre 1787 pour les grains et le 2 février 1788 pour les impositions.

À la suite de la démission de Louis Le Peletier de Morfontaine, de ses fonctions de Prévôt des Marchands de Paris, Jacques de Flesselles avait été désigné par le Roi pour lui succéder, le 21 avril 1789. Il avait fait enregistrer, le 25, ses lettres au bureau de la ville. Après avoir été élu à l’unanimité, le 28, par les Échevins, le jour même de l’affaire Réveillon, le 3 mai il avait prêté serment.

Comme on le voit, Flesselles était à peine en possession de ses fonctions quand la Révolution éclata. Dès son arrivée à l’Hôtel de Ville, son esprit conciliant et sa grande expérience de l’Administration lui attirèrent l’estime des Administrateurs de la Ville et des Électeurs. Sa condescendance envers ceux-ci l’avait même poussé, comme nous l’avons dit, à solliciter du Roi qu’ils siégeassent à l’Hôtel de Ville, bien que leur mission légale fût terminée.

Toutefois, on peut supposer que la personnalité de Flesselles ne plaisait pas au groupe du Palais-Royal. C’est là, en effet, nous l’avons vu, que s’était répandu, dès le 12 juillet, la nouvelle que Bailly le remplacerait. Pendant toute la journée du 14, ce sont des émissaires du Palais-Royal qui viendront le relancer et relèveront avec fureur ses contradictions involontaires entre ses promesses au sujet des armes et l’absence de ces dernières. Ces contradictions pouvaient facilement s’expliquer par des renseignements erronés fournis intentionnellement à Flesselles, aussi bien que par l’intention de celui-ci de temporiser, pour éviter la guerre civile prête à éclater. En admettant même que cette intention fût la sienne, ce qui est loin d’être prouvé, d’autres que des émeutiers pouvaient-ils la lui imputer à crime ?

Sa conduite, depuis le moment où il exigea une réquisition écrite des Électeurs pour accepter la Présidence du Comité permanent, semble indiquer qu’il entendait, le moins possible, s’écarter de la légalité.

Cette conception est de celles qui ne pouvaient plaire aux groupes qui organisaient l’insurrection, et l’on conçoit que Flesselles était trop sage à leurs yeux pour qu’ils ne cherchassent pas à s’en débarrasser. On le désigna comme suspect et il fut assassiné. Par des lettres qui sont, les unes apocryphes ou les autres sans portée, on cherchera après coup à prouver qu’il avait trahi la cause du peuple [^177].

Le bonhomme Bailly, comme l’appelle Michelet, qui n’eût peut-être pas agi autrement que le Prévôt des Marchands, dans des circonstances aussi critiques et qui d’ailleurs, plus tard, sera à son tour accusé de trahison, en raison de la modération qu’il montrera, dévoile encore, dans des phrases pleines de réserves, l’incertitude de son âme, partagée entre sa tendresse pour la cause insurrectionnelle et la crainte de commettre une injustice à l’égard de Flesselles. « Pourquoi n’a-t-il pas donné sa démission comme l’a fait M. de Crosne ?… Les Électeurs lui rendent témoignage de zèle et de constance, travaillant de concert avec eux depuis deux jours et deux nuits à la défense commune… Le crime de trahison ne doit pas être ajouté légèrement au malheur de sa mort. Je me suis borné ici à rapporter les faits ; le temps peut-être donnera des éclaircissements qui accuseront ou justifieront sa mémoire. » Il avait dit plus haut : « M. de Flesselles n’a pas été la victime de la fureur du peuple, il a été réellement assassiné. Il semble que quelqu’un ait eu intérêt à le faire disparaître. »

Le même doute imprécis se retrouvera sous la plume de Bailly, lorsqu’il s’agira de Foullon et de Bertier. Comme un refrain troublant, à mesure que l’organisation de l’anarchie apparaîtra aux yeux du maire de Paris, on le verra, consignant dans son Journal ces mêmes questions qu’il se pose sans jamais y répondre, comptant sur la postérité pour prendre ce soin, tant il semble avoir peur de découvrir « le moteur invisible qui semait à propos les fausses nouvelles, les craintes, les défiances pour perpétuer le trouble… ce moteur qui n’a pas cessé encore son action… qui a dû avoir un grand nombre d’agents… Pour avoir tissé et suivi ce plan abominable, il faut et un esprit profond, et beaucoup d’argent. Quelque jour, on connaîtra et on dira le génie infernal et le bailleur de fonds ! » (15 juillet 1789.)

« Qui donc a établi cet accord universel ? écrira-t-il encore, à la date du 27 juillet. Qui donc a employé les moyens nécessaires et a fait les frais des agents qu’il a fallu soudoyer pour les faire agir et transporter partout ? »

CHAPITRE II

L’EXPLOSION

I. Le comité insurrectionnel. — Disparition de la police. — II. La Bastille ; sa garnison. — III. Le siège et la reddition de la Bastille. — IV. Le massacre de ses défenseurs. — L’assassinat du marquis de Launey. — V. À l’Hôtel de Ville. — Les émissaires du Palais-Royal. — L’assassinat de Flesselles.

I

Dans la nuit du 12 au 13 juillet, vers deux heures du matin, les troupes se sont retirées : il n’en reste plus qu’une faible partie au Champ-de-Mars. La ville est livrée à elle-même. Tous les Inspecteurs de police et leurs préposés se cachent. Des bandes d’individus, ivres et hurlants, parcourent les rues et se répandent sur la place et les marches de l’Hôtel de Ville : une partie arrive de la prison de la Force dont on a ouvert les portes.

Les Électeurs, dont l’attitude a, comme on l’a vu, contribué à ce résultat, ne sont maîtres de la situation que jusqu’à un certain point. On ne déchaîne pas impunément le désordre. Des difficultés de toute nature surgissent : les responsabilités sont grandes. Les Électeurs s’arrêtent à une tactique ingénieuse que Bailly taxe de mesure de prudence, en se plaçant au point de vue insurrectionnel : ils adjoignent leur Comité au Bureau de la Ville qui est la seule autorité constituée légalement ; ils forment du tout un Comité permanent et obtiennent, non sans peine, de M. de Flesselles, autre représentant du pouvoir légal, qu’il en accepte la présidence. Quoi qu’il arrive, ils seront ainsi couverts [^178].

On s’occupe aussitôt de la formation de la Garde-bourgeoise en expliquant qu’elle est nécessaire au rétablissement de l’ordre compromis par les « bandes de brigands ». Des députations des Districts viennent d’ailleurs la réclamer sous le même prétexte. C’est ce but, avoué par des magistrats ayant une apparence officielle, qui déterminera certains groupes à leur prêter de bonne foi leur concours ; elle servira, en cas de besoin, d’excuse pour les autres.

Si, en moins de cinq heures de temps, l’Ordonnance de la Milice est rédigée, discutée, adoptée, imprimée et affichée, il n’y a pas lieu d’en être surpris, car le plan en était d’avance arrêté. Chaque District fut informé aussitôt qu’il devra fournir un bataillon. Dans la journée, Agier et de la Vigne arrivent de Versailles apporter la nouvelle que l’Assemblée Nationale approuve ces mesures. C’est encore une sanction quasi légale. Au surplus, le Roi dira, après coup, qu’on a bien fait et qu’il avait précisément convoqué le Prévôt des Marchands à Versailles pour s’occuper de cette organisation.

Successivement, les clercs du Châtelet, ceux du Palais, les élèves en chirurgie, la Compagnie de l’Arquebuse tout armée, le Guet à cheval avec M. de Rulhières, et enfin un fort contingent de Gardes-françaises et de déserteurs de toutes provenances, viennent offrir leurs services au Bureau de la Ville.

Mais on manque d’armes ; à chaque instant on vient en réclamer à l’Hôtel de Ville. Flesselles annonce que M. de Pressolles, manufacturier de Charleville, lui a promis douze mille fusils. À 5 heures, des caisses portant l’étiquette « Artillerie » sont amenées sur la place ; on les ouvre : elles ne contiennent que du vieux linge. On crie à la trahison.

Le soir, une bande d’hommes se porte à l’Hôtel du Lieutenant de Police [^179]. Elle se borne à dévaster le rez-de-chaussée en respectant les autres étages, malgré l’absence de toute opposition. Cette manifestation fournit au titulaire de cette importante charge, Thiroux de Crosne [^180], le prétexte, sans nul doute souhaité par lui, de donner sa démission, car il restera à la disposition du Comité de subsistance, « et en cessant d’être Lieutenant de Police, remarque Bailly, il n’avait pas cessé d’être citoyen [^181]. »

Flesselles, lui, est resté à son poste. La situation devient angoissante : il se rend compte qu’il est, malgré lui, l’associé d’une illégalité et devine les raisons qu’avaient les Électeurs de juger sa collaboration indispensable. Maintenant, il n’est plus question de rétablir l’ordre ; on ne parle plus que de repousser par la force les troupes du Roi si elles entrent dans Paris, comme on l’annonce de toutes parts. Quel sera son devoir ? A-t-il le temps d’y réfléchir et de se lancer dans des raisonnements captieux comme ceux auxquels se livre Bailly dans son Journal ? Celui-ci, en effet, supposant les scrupules que pouvaient éprouver les Administrateurs de la Ville, expliquera, pour les combattre, qu’en opposant une défense légitime à une attaque criminelle, ces administrateurs affirmaient leur dévouement aux volontés du Roi. Puisque, après les expressions de Louis XVI, les troupes n’étaient là que pour prévenir les désordres, n’était-on pas en droit de supposer « qu’en entrant dans Paris, sans se concerter avec le Comité et en exerçant des violences, c’était contre les intentions formelles et les ordres du Roi qu’elles agissaient » ?

Ces arguties n’étaient destinées qu’à calmer les consciences timorées et à masquer le véritable caractère insurrectionnel du Comité de la Ville. La suite le prouva, car on vit bien que, sous l’égide de ce Comité, on ne s’était pas borné à préparer la défense, mais que, sans être attaqué, sans qu’aucune troupe fût entrée dans Paris, on avait pris les armes et ouvert les hostilités.

Quoi qu’il en soit, Flesselles, anxieux et en proie aux plus vives inquiétudes, passe la nuit du 13 au 14 à l’Hôtel de Ville pour faire face à toutes les demandes qu’on lui adresse, cherchant à calmer la populace et à servir de médiateur.

Une multitude sans ordres et sans chefs remplit la place et réclame des armes : la lie du peuple domine ; il y a des gens ivres partout. L’effervescence est à son comble, car, à chaque instant, des émissaires viennent annoncer à la foule les nouvelles les plus sinistres : « les troupes de Saint-Denis sont déjà arrivées à la Chapelle… Royal-Allemand et Royal-Cravate sont entrés au faubourg Saint-Antoine et massacrent tout sans distinction d’âge et de sexe [^182] ! »

Pour parer à tous ces dangers purement imaginaires, on fait au nom du Comité de la Ville « sonner partout l’alarme, dépaver les rues, creuser des fossés, former des barricades [^183]. »

On s’efforce d’entretenir dans la populace une fièvre constante. Au frisson qui passe dans la foule à l’annonce de l’arrivée d’escadrons de cavalerie, à l’air farouche et le sabre en main, succède un redoublement d’ardeur aussitôt qu’on apprend que la nouvelle est controuvée.

Le Comité de l’Hôtel de Ville s’avoue-t-il l’instigateur direct de cet état aigu ? Non, car pour le moment il prétend en souffrir, et qu’en fait il est débordé : on lui réclame des armes ; il ne peut arriver à en trouver et subit les menaces les plus violentes [^184].

C’est du Palais-Royal que partent les agitateurs, qui trouvent leurs principaux renforts dans le District du Petit-Saint-Antoine. Le 13, à onze heures, une réunion a lieu dans l’église. Elle devait être présidée par Trudon [^185] ; mais en raison de sa santé et de son grand âge, il se récusa et, sur son avis, il fut remplacé par Dufour et Champion de Villeneuve [^186]. Ce fut au cours de cette réunion que l’insurrection du quartier fut décidée.

Mais, malgré le pillage des armuriers, les armes manquent toujours, et c’est l’Hôtel de Ville qui a promis de les fournir. Le Comité ne sait que faire : il a envoyé des citoyens à l’Arsenal et, sur une dénonciation, chez les Chartreux ; on n’y a rien trouvé, et c’est encore un motif qu’on invoque pour accuser Flesselles de trahison. Le Procureur du Roi, Ethis de Corny, vient aux Invalides, dans la matinée du 14, demander au Gouverneur, M. de Sombreuil, de délivrer des fusils : celui-ci refuse, mais sans tenter la moindre défense il laisse, quelque temps après, envahir l’Hôtel, et le dépôt d’armes est pillé [^187].

Les émeutiers ont maintenant les uns des fusils, les autres des piques que Flesselles, pour donner satisfaction aux réclamations, a donné l’ordre de fabriquer en hâte. Leurs premiers succès les ont encouragés : ils ne demandent qu’à combattre, mais aucun ennemi ne paraît ; les troupes royales ont disparu ; les conjurés doivent utiliser cette ardeur guerrière, au risque de voir leur plan piteusement échouer. Au surplus, la Bastille est le seul point de la capitale qui ne soit pas encore entre leurs mains, mais c’est peut-être le plus dangereux. Le bruit court qu’il y a là une quantité considérable d’armes et de munitions ; on ajoute que la forteresse communique avec Vincennes par des souterrains et que par cette voie les troupes pourront entrer dans la capitale. Ces rumeurs circulaient dès le 13 ; dans la soirée, des bandes isolées avaient injurié la garnison et, en manière de provocation, avaient tiré 7 coups de fusil sur les factionnaires. À l’alarme que ceux-ci avaient donnée, le Gouverneur et son État-major s’étaient contentés de faire l’inspection des postes, sans prendre aucune mesure hostile ni même défensive.

Dès le matin du 14, le Comité permanent engage des pourparlers avec le Gouverneur de la Bastille, et l’émeute, après le sac de l’Hôtel des Invalides qui se termine vers 10 heures, est dirigée vers la vieille forteresse.

II

La destruction de l’antique prison était-elle au nombre des projets arrêtés de longue date dans les diverses sociétés qui préparaient la Révolution ? Il est difficile de l’affirmer, mais on peut en tout cas supposer que, dans certains milieux, cette opération — plus symbolique que nécessaire — défrayait depuis longtemps les conversations.

On en trouverait un témoignage dans la lettre écrite à Louis XVI, le 20 août 1787, par le marquis Ducrest, frère de Mme de Genlis, chancelier du duc d’Orléans, et, à ce double titre, très au courant des projets élaborés mystérieusement au Palais-Royal [^188]. Parmi les mesures urgentes que Ducrest déclarait propres à attirer au Roi l’opinion publique, « à enivrer ses peuples d’amour » et à conjurer le danger, dont les confidences de ses amis lui avaient révélé la réalité, il préconisait la démolition de la Bastille.

D’autre part, on sait que des plans, qu’on peut croire officiels, avaient été dressés par Corbet, ingénieur du Roi, pour créer, sur l’emplacement de la forteresse, un quartier neuf avec une place ornée d’une statue de Louis XVI ; ce qui laisse à penser qu’il était peut-être dans les intentions du Monarque de supprimer cette prison d’État, pour faire une nouvelle concession aux souhaits des détracteurs de l’autorité royale.

Enfin, Bailly rapporte que, le 10 mai 1789, on fit à l’Assemblée des Électeurs lecture des cahiers de Paris, que le dernier article contenait le vœu que la Bastille fût détruite et rasée, et que sur son emplacement on élevât une « colonne, d’une architecture noble et simple, avec cette inscription : à Louis XVI, restaurateur de la Liberté publique [^189]. »

Les hommes de lettres avaient fait une terrible réputation à la Bastille. Linguet, qui plus tard, dans les prisons de la Terreur, en attendant l’échafaud, put faire une Comparaison, tout à l’avantage de la vieille forteresse et du régime qu’on y suivait, avait consacré par ses fables le mauvais renom qu’on avait voulu lui donner et qu’après sa disparition on s’efforça encore de lui conserver.

MM. Funck-Brentano et Fernand Bournon ont fait suffisamment justice de la légende révolutionnaire sur ce point, pour que nous nous attardions à la discuter de nouveau [^190].

Le fâcheux renom de la Bastille et le hasard des circonstances furent-ils les causes qui poussèrent la populace à en faire le siège ? Il est permis d’en douter, car cette opération semble avoir été concertée par les chefs de l’insurrection qui avaient tout prévu.

« Le gros du peuple ne se doutait pas qu’on allait marcher sur la forteresse, mais il est certain que la prise de la Bastille avait été projetée : M. le marquis de la Salle m’a certifié que, la veille, il avait à cet égard reçu un plan d’attaque [^191] ».

De son côté, le Gouverneur, le marquis de Launey, avait eu vent de quelques projets. Son gendre, M. d’Agay, raconta que dès les premiers jours de juillet, deux personnages mystérieux étaient venus pressentir les intentions de son beau-père, pour le cas où il serait attaqué. Besenval déclare, d’autre part, qu’en causant, vers le 6 juillet, avec Launey, il lui avait trouvé la mine d’un homme effrayé, à ce point « qu’il avait prié le Maréchal de Broglie de le remplacer par M. de Verteuil, officier nerveux, qu’il eût été difficile de forcer dans un pareil poste [^192]. »

Launey, en tout cas, avait demandé à renforcer sa garnison et, le 14 juillet, outre l’État-Major habituel, elle se composait de 127 hommes : 82 invalides ordinaires, 13 invalides envoyés le 1er juillet en supplément et 32 Pet***-Suisses de Salis-Samade, commandés par le lieutenant Louis de Flüe qui était entré dans la place, le 7, à 4 heures du matin. Comme provisions de bouche, on avait un peu de riz et deux sacs de farine, sans autre moyen de les utiliser qu’un four à pâtisserie ; enfin l’eau faisait défaut. Ce manque d’approvisionnements indiquait que, si le Gouverneur admettait l’éventualité d’un siège, il ne le prévoyait pas de longue durée. Il se contenta donc, comme dernière précaution, de faire sortir le dimanche soir sa femme et sa fille et quelques-uns de ses effets les plus précieux.

Quant aux armes et aux munitions de la Bastille, elles étaient insignifiantes [^193].

III

Nous n’entreprendrons pas de raconter dans ses détails le célèbre siège et nous nous bornerons à signaler certaines particularités insuffisamment connues.

Le matin du 14, le Comité de la ville prend prétexte que les canons des tours, qui sont pourtant dans leurs positions habituelles, sont une menace, pour envoyer quatre délégués au Gouverneur de la Bastille et le prier de les reculer [^194]. Ces quatre premiers émissaires sont Bellon, aide-major et trésorier de l’Arquebuse, Chaton, ancien sergent aux Gardes-françaises [^195], Billeford, sergent-major d’artillerie [^196], et Ethis de Corny.

Le Gouverneur les reçoit avec courtoisie, les traite en camarades et les invite à déjeuner. Il consent à reculer ses canons, fait masquer les embrasures par des pièces de bois et, pendant les pourparlers, pousse la condescendance jusqu’à envoyer comme otages quatre bas officiers, qui, une fois dehors, se laissent circonvenir et ne rentrent pas.

À cette première délégation de la Ville succède immédiatement une seconde, composée de Thuriot de la Rozière, de Bourlier et de Toulouse.

Thuriot parle « au nom de la Nation et de la Patrie », il a le verbe haut, et devant Launey il apostrophe et harangue les soldats sur les tours en les sommant de se rendre. Il examine les moyens de défense, scrute les dispositions morales de la garnison et voit bien que ses discours l’impressionnent.

Le Gouverneur le laisse dire et faire, quoiqu’il eût été en droit d’expulser ce singulier parlementaire, ou de le maintenir prisonnier.

Ce fut une demi-heure après le départ de Thuriot que les émeutiers entamèrent les premières hostilités, montèrent sur le toit du corps de garde à côté du petit pont-levis de l’avancée, et firent tomber les passerelles, ce qui permit à la foule de pénétrer dans la cour du Gouvernement ; Launey la somme en vain de se retirer ; on lui répond par des coups de fusil auxquels il fait riposter. Cette tardive défense fut cause qu’on accusa le Gouverneur de trahison. Tous ceux qui se tenaient sur la place ayant vu, en effet, les premiers rangs s’engouffrer sur le premier pont, avaient cru que c’était Launey qui l’avait fait abaisser de lui-même et pensèrent, en entendant la fusillade, que c’était là une ruse odieuse et un piège tendu à la population.

Une troisième députation, composée de Delavigne, Chignard, l’abbé Fauchet [^197] et Botidoux, qui suivit de près la deuxième, ne put approcher de la citadelle ; mais elle recueillit de la bouche des citoyens et le consigna dans son rapport, le bruit que le Gouverneur avait laissé pénétrer des particuliers dans l’intérieur, et qu’une fois entrés, il les avait fait fusiller. Le fait, comme nous l’avons vu, était faux, mais la rumeur qui le donnait pour vrai suffisait pour exciter la fureur de la foule [^198].

Une autre accusation fut portée contre la garnison de la Bastille : celle d’avoir arboré le drapeau blanc, fait des signes de paix et, malgré cela, d’avoir tiré sur les assaillants. En réalité, ce fut de part et d’autre le résultat d’une méprise qui provoqua cet incident. Une quatrième députation envoyée par les soins de Flesselles et formée d’Ethis de Corny, Francotey, Picquot de Sainte-Honorine, Milly, Beaubourg [^199], Boucheron, Constant et Joannin père [^200] et fils, s’était avancée, précédée d’un tambour et d’un drapeau, porté par Joannin fils, jusque dans la cour de l’Orme où elle s’était postée seule et bien en vue.

C’est à cette manifestation que les assiégés avaient répondu en hissant le drapeau blanc pour parlementer ; mais des coups de fusil continuant à être tirés par les assaillants et la populace ayant envahi en même temps la cour de l’Orme, une partie de la garnison, croyant sans doute à une perfidie, fit une décharge qui causa plusieurs victimes.

Cette dernière députation portait un billet de Flesselles demandant au Gouverneur de laisser entrer la Milice parisienne pour garder la forteresse, de concert avec la garnison : pas plus que la précédente, elle ne put pénétrer dans la citadelle. À 3 heures, les Gardes-françaises arrivèrent sur la place avec de l’artillerie. On forma les colonnes d’attaque : aux ailes, Villemer et Souët d’Ermigny, au centre Moreton de Chabrillan [^201].

Après l’incident des charrettes de paille incendiées, les assiégeants tentèrent de brûler Mme de Monsigny, dont ils s’étaient emparés, la prenant pour la fille de Launey ; les Gardes-françaises apparurent sur ces entrefaites et les invalides parlèrent aussitôt de se rendre. Le Gouverneur, se voyant abandonné, voulut faire sauter la sainte-barbe ; il en fut empêché par un bas officier nommé Becquart. Sur les instances et les menaces qui lui furent faites par ses sous-ordres, on arbora définitivement le drapeau blanc, pendant que de Flüe déclarait aux assaillants, à travers les créneaux du pont, qu’on capitulerait s’ils promettaient de ne pas massacrer la garnison. Élie [^202] répondit : « Foi d’officier ! nous acceptons ! Baissez vos ponts ! » Sur cette promesse, les portes s’étaient ouvertes.

La Bastille s’était rendue, comme le faisait remarquer judicieusement le Moniteur, quelques semaines après l’événement, mais n’avait pas été prise [^203].

Si elle était au pouvoir de l’émeute, ce n’était donc pas le résultat d’un assaut héroïque et meurtrier.

D’insidieuses paroles d’avocats que le Gouverneur avait eu la faiblesse de laisser pénétrer dans les murs de la forteresse, avaient ébranlé les résolutions de la garnison et, au lieu de s’enfermer derrière les épaisses murailles, en laissant les agresseurs s’épuiser en vains efforts, elle avait capitulé sous promesse de la vie sauve [^204].

IV

Aussitôt le grand pont baissé, les assaillants envahissent la cour intérieure du château, se jettent sur les invalides, percent de coups Becquart, celui qui avait empêché Launey de faire sauter la Bastille, détachent presque son poignet droit, bousculent le malheureux blessé, le traînent jusqu’à la place de Grève, au Coin du Roi, où ils le pendent ainsi qu’un autre invalide nommé Asselin [^205]. Un troisième, Dumont [^206], est égorgé dans le château ; un quatrième, Fortumé [^207], sur les tours. Le major de Losme-Salbray [^208] est massacré et décapité place de Grève, vis-à-vis l’arcade Saint-Jean, malgré les efforts que fait longtemps pour le défendre un ancien prisonnier, Laffitte de Pelleport [^209], assisté d’un de ses amis, le chevalier de Jean [^210]. Le lieutenant Caron est blessé grièvement.

L’aide-major de Miray [^211] tombe percé de coups rue des Tournelles, tandis que le capitaine des Invalides, Person [^212], est assassiné sur le Port au blé par un nommé Olivier, qu’il avait fait arrêter différentes fois pour vol.

MM. de Flüe et du Puget, seuls parmi les officiers, peuvent se sauver ; le dernier, grâce à deux soldats du bataillon de Saint-Denis qui lui font traverser la Seine. Quant au Gouverneur, un clerc d’huissier, Stanislas Maillard, le trouve au pied de l’escalier à droite près la salle du Conseil et s’en saisit avec le concours d’Arné, grenadier aux Gardes-françaises [^213]. Ce dernier empêche le Gouverneur de se percer le cœur avec le stylet qu’il sort de la canne qu’il avait à la main et lui dit : « Rendez-vous, je réponds de vous. » Mais, ne pouvant le défendre contre la foule hurlante, il le confie à Élie et à Hulin [^214]. Ceux-ci le font sortir avec peine de la Bastille. On le frappe de toutes parts. Hulin le saisit par un bras, un soldat par l’autre et tous deux, avec l’aide de sept ou huit militaires, parviennent à le défendre. Le Gouverneur de la Bastille marche la tête haute, et dit à Hulin : « Vous vous seriez défendu comme moi, si le Roi vous eût confié la garde de ce château [^215]. »

Mais la foule le serre de plus en plus près, vomissant les plus horribles imprécations et lui jetant de la boue au visage.

— Ah ! que ne m’a-t-on pas laissé me faire sauter et écraser ces gueux-là sous les débris de la Bastille ! s’écrie Launey, excédé.

Abandonné par la moitié de ses camarades, Hulin parvint pourtant à le conduire jusqu’à l’arcade Saint-Jean. Le lieutenant de Flüe, également maltraité, suivait Launey à quelques pas ; il fut témoin de son long et cruel supplice. Il lui vit recevoir de tous côtés des coups d’épée et de baïonnette. Comme Launey avait la tête nue, on le distinguait aisément pour le frapper : Hulin lui mit courageusement son chapeau sur la tête. Les coups s’étant dirigés sur son protecteur, Launey, avec une générosité non moins grande, voulut qu’il le reprît [^216].

Mais la foule enveloppe le petit groupe, maltraite le malheureux Gouverneur.

— Ah ! Monsieur, dit-il à Hulin, vous m’aviez promis de ne pas m’abandonner. Restez avec moi jusqu’à l’Hôtel de Ville.

Et à un autre :

— Est-ce là, Monsieur, ce que vous m’aviez promis. Ah ! Monsieur, ne m’abandonnez pas [^217] !

Mais Hulin, arrivé à la place de Grève, n’en peut plus ; il abandonne un instant son prisonnier et s’assied sur un tas de pierres. Quelques misérables, au rang desquels figure un ancien cuisinier, Dénot, en profitent, massacrent Launey et lui coupent la tête [^218].

Pendant qu’Hulin conduisait le Gouverneur à la place de Grève, Élie arrivait à l’Hôtel de Ville, portant au Comité les clefs de la Bastille et sa capitulation. Il était suivi d’un groupe de soldats, 18 invalides et 12 suisses [^219], escortés, bousculés, maltraités par les vainqueurs qui criaient :

— Les voilà, les gueux ! on les tient.

Toute cette cohue arriva à la place de Grève, non sans avoir laissé des victimes en route. Elle pénétra dans la grande salle de l’Hôtel de Ville en hurlant :

— Pendus ! la mort ! Point de grâce !

Précédé par le marquis de la Salle, Élie fit son entrée triomphale, porté par les Gardes-françaises. On le plaça sur une table, afin que tout le monde pût le voir, entouré de ses prisonniers. Le marquis de la Salle tenait en l’air les clefs de la Bastille au-dessus de la tête de Flesselles. Lorsqu’on apprit la mort de Launey, la foule demanda, avec encore plus de rage, les têtes de tous les prisonniers [^220].

On voulait les pendre, et quelques-uns les couchaient en joue, lorsqu’un Garde-française, Marqué, parvint à se faire écouter.

— Nous demandons, dit-il, la vie de nos anciens camarades, pour prix de la Bastille et du service que nous vous avons rendu.

Élie se hâta d’ajouter :

— Je demande leur grâce avec mes compagnons, pour prix de ce que nous avons fait ; je ne veux pas d’argent, je ne veux aucun honneur, Grâce, grâce à ces enfants, grâce à ces vieux militaires, qui n’ont fait que leur devoir.

Et il montrait les Suisses et les invalides.

Un revirement se produit enfin ; on entend quelques cris de grâce, et la foule répète alors :

— Grâce ! Oui, grâce ! Grâce à tous !

On leur fit prêter serment de joindre tous leurs efforts pour aider les citoyens à la défense de la ville : les Gardes-françaises les entraînèrent au milieu des applaudissements, et ils furent tous boire au cabaret du Coin-du-Roi, où l’on venait d’accrocher, quelques instants auparavant, deux de leurs camarades. Le soir, les Gardes-françaises les conduisirent à leur caserne de la Nouvelle-France, et le lendemain ils se réfugièrent à l’Hôtel des Invalides.

V

Pendant que les premiers de ces événements s’étaient passés, les membres du Comité permanent, et particulièrement Flesselles, s’étaient vus en butte aux menaces les plus violentes.

Des inconnus, se disant députés par le Palais-Royal et accompagnés de bandes hurlantes, étaient venus dénoncer le Prévôt des Marchands comme un traître à la patrie qui, depuis vingt-quatre heures, amusait et trompait le peuple, était en rapports amicaux avec les principaux aristocrates et en relations journalières avec le prince de Conti. L’un d’eux l’engageait à venir s’expliquer au Palais-Royal [^221].

Flesselles répondit avec fermeté :

— Ma conscience est pure. J’ai rempli mon devoir, je ne demande pas mieux que d’éclairer ma conduite aux yeux de mes concitoyens. L’accusation relative à mon intimité prétendue avec le prince de Conti est une insigne fausseté ; je n’ai vu ce prince que deux fois en ma vie, et encore dans des circonstances fortuites : je ne lui ai jamais écrit et n’ai jamais reçu une seule lettre de lui. »

Dusaulx prit courageusement sa défense, en faisant remarquer le danger d’une accusation capitale, basée sur des suppositions, des inductions, des conséquences fausses d’un fait dont tous les incidents ne pouvaient être parfaitement connus de la multitude ; ajoutant que, depuis que Flesselles était monté à l’Hôtel de Ville, où il avait été confirmé dans la place de premier administrateur municipal par le peuple, il n’avait donné que des preuves de fidélité, de zèle et de patriotisme ; qu’il n’était pas sorti un seul instant de l’Hôtel de Ville : qu’excepté deux ou trois heures de la nuit, données au repos, il n’avait pas cessé de travailler avec les membres du Comité, de signer, sous les yeux de tous, concurremment avec ses collègues, les ordres nécessaires à la défense de la ville contre les troupes dont elle était environnée ; qu’en conséquence, il était bien difficile de concevoir comment il aurait entretenu, sans que personne s’en aperçût, des intelligences contraires au salut public.

Ce discours fit une impression favorable sur ceux qui l’entendirent. Le député du Palais-Royal qui avait accusé Flesselles, jugea prudent de se désister et même voulut bien l’avertir de faire sur-le-champ garder son hôtel, parce qu’il était question d’y mettre le feu.

Ce fut après cet incident que Flesselles avait proposé d’envoyer à Launey une nouvelle députation pour l’engager à recevoir un certain nombre de citoyens avec la garnison.

« Par cela, le Gouverneur n’aura point son serment au Roi à objecter, conclut Flesselles ; par cela, nous serons sûrs de la place, et elle ne pourra nous faire aucun mal. Par cela, avec un peu d’intelligence, nous nous en emparerons, ajouta Pitra. »

Flesselles s’offrit même à accompagner la députation. Sur le refus du Comité, il signa la lettre adressée à Launey. Delavigne, l’abbé Fauchet, le Deist de Botidoux et Chignard furent désignés pour la lui porter.

Mais les spectateurs éloignés, qui n’avaient rien entendu, murmuraient toujours, réclamaient Flesselles au Palais-Royal. Une diversion est faite pendant quelques instants. On amène successivement à l’Hôtel de Ville trois invalides, pris en dehors de la Bastille, et Clouet, régisseur des poudres de l’Arsenal qu’on avait pris pour Launey et qui était couvert de blessures.

Flesselles profite de l’accalmie pour rentrer avec le Comité dans la salle de la Reine, et s’approchant d’une petite console, près de la cheminée, pour prendre un verre d’eau, il aurait dit à demi-voix à Pitra, suivant le récit de ce dernier :

— Que faire, Monsieur Pitra ? Je suis perdu !

« Je ne répondis rien, et je frémis, avoue Pitra, de ce qu’il m’avait parlé ! » Les émeutiers insistant pour l’emmener au Palais-Royal, Flesselles répondit qu’en un pareil moment il ne pouvait quitter l’Hôtel de Ville, et qu’il allait se rendre de nouveau à la grande salle.

— Allons, Messieurs, dit Pitra pour détourner l’attention, allons à la grande salle, et laissons travailler le Comité.

Flesselles signe encore un arrêté envoyant une nouvelle députation à la Bastille. Pendant qu’on prenait ces mesures, arrivent les députés du district des Blancs-Manteaux avec Garran de Coulon ; furieux, ils interpellent le Prévôt des Marchands, lui demandent comment il avait promis la veille des fusils et des munitions qu’il n’avait pas donnés. Flesselles s’explique et répond : « On m’a trompé. » Sur ces entrefaites, on apporte deux lettres de Besenval, que l’on vient de saisir sur un courrier, lettres dans lesquelles il engage Launey à la résistance en lui disant qu’on va lui porter secours.

À cette nouvelle, l’agitation augmente, le Comité tremble.

— Partez, dit le commissaire Carré [^222] à Flesselles, ou vous êtes perdu.

On apporte des citoyens blessés à la Bastille. On accuse le Comité permanent de se cacher. Flesselles essaie de parler ; il est accablé d’injures ; on le somme d’aller au Palais-Royal. Puis on apporte la nouvelle de la prise de la Bastille ; les Électeurs y croient à peine ; la foule trouvant la porte du Comité fermée, crie que ses membres se sont cachés pour trahir ; on les demande dans la grande salle.

C’est au milieu de ce tumulte effrayant que Flesselles, quoiqu’on lui ait dit qu’il courait les plus grands dangers, et malgré l’abbé Fauchet qui voulait le retenir, s’écria :

— C’en est trop ; marchons, puisqu’ils le veulent. Allons où je suis attendu.

Il se lève, s’achemine vers la grande salle, monte sur l’estrade qui soutient le siège du président, accompagné des membres du Comité. Il y avait une telle confusion qu’il prit place sans qu’on s’en aperçût. On profère des menaces contre lui ; au moment où on apporte les clefs de la Bastille, on le met en joue, et seule la crainte de tuer un Électeur empêche de tirer.

Flesselles, cependant, avait repris son sang-froid et décachetait avec calme toutes les lettres saisies qu’on jetait sur le bureau, lorsqu’on annonça l’arrivée des vainqueurs de la Bastille ; aussitôt ceux-ci envahissent la salle, traînant et bousculant une trentaine d’invalides et les Pet***-Suisses. La foule pousse des cris de fureur.

À quelques minutes d’intervalle, on apprend que Launey, Losme, Miray et Person ont été massacrés.

L’exaltation et la fureur de la foule sont à leur comble. On veut massacrer Flesselles et les prisonniers.

On reproche de nouveau au Prévôt des Marchands d’avoir trahi : les uns veulent le conduire au Châtelet, les autres au Palais-Royal. En présence de ce tumulte, Flesselles déclare :

— Puisque je suis suspect à mes concitoyens, il est indispensable que je me retire [^223].

Il fait un mouvement pour descendre de l’estrade ; on le rassure et il ne descend pas.

La Poize, furieux, s’approche de lui :

— Vous serez responsable, Monsieur, des malheurs qui vont arriver. Vous n’avez pas encore donné les clefs du magasin de la ville où sont ses armes, et surtout ses canons.

Flesselles tire sans mot dire les clefs de sa poche et les remet à La Poize, qui les passe à un autre Électeur.

À ce moment, des particuliers viennent mettre sous les yeux de Flesselles une lettre « qui lui cause, dit Pitra, un étonnement visible et qu’il rend, sans répondre un mot, à ceux qui la lui présentaient [^224] ».

Élie avait enfin obtenu la grâce des prisonniers, et comme les Gardes-françaises les accompagnaient hors de la foule, la colère des émeutiers s’acharna sur l’infortuné Flesselles. Moreau de Saint-Méry, qui était à côté de lui, s’esquiva un instant dans la salle de la Reine et, comme la foule insistait pour conduire le Prévôt des Marchands au Palais-Royal, Flesselles, lassé de la lutte, dit simplement :

— Eh bien, Messieurs, allons au Palais-Royal !

Et descendant de l’estrade, il sortit de la salle.

Dans le tumulte de la sortie des invalides, sa retraite serait passée inaperçue si le groupe du Palais-Royal ne s’était acharné après lui. Dans l’intérieur de l’Hôtel de Ville, il n’eut à subir aucune violence. Dans l’escalier, il parla de très près à ceux qui l’accompagnaient :

— Messieurs, dit-il, vous verrez chez moi quelles ont été mes raisons ; quand vous serez à la maison, je vous expliquerai tout cela.

Il traverse la place de Grève sans encombre, lorsqu’au coin du quai Pelletier [^225], un compatriote de M. de Présolles, un nommé Morin, lui brûle la cervelle en lui disant :

— Traître ! tu n’iras pas plus loin [^226].

Il tombe, est percé de mille coups et on lui tranche la tête. La prédiction faite, le 12 juillet, au Palais-Royal était réalisée : la place de Flesselles était libre et Bailly pouvait l’occuper.

CHAPITRE III

LES HÉROS DU 14 JUILLET

I. Les assiégeants ; leur recrutement ; leur nombre ; leurs pertes. — II. Rôles des groupes. L’action individuelle. — III. Un coupeur de têtes : le cuisinier Dénot. — IV. La mort de Launey. — V. Déchéance de la morale publique.

Si le nombre des victimes faites par l’émeute dans la journée du 14 est facile à établir, il n’en est pas de même du chiffre des pertes éprouvées par les assiégeants. Aucune liste ne fut publiée, et on peut s’en étonner. Il est vrai de dire que seuls de pauvres diables avaient payé de leur vie l’idée qu’on leur avait suggérée de s’attaquer à une garnison qui ne demandait qu’à rester tranquille. Quant aux instigateurs de cette glorieuse équipée, ils s’étaient tenus à l’abri de toute atteinte et comptaient seulement participer au triomphe final.

Le Moniteur et Dusaulx ont donné les premiers le chiffre des victimes, mais ils sont trop identiques pour n’avoir pas été puisés à la même source ; devant l’absence complète de justification, on peut les croire exagérés, aussi bien à cause de la faible défense qu’opposèrent les assiégés qu’en raison du manque de proportion existant — d’après les indications fournies — entre le nombre des tués (83) et celui des blessés (75) [^227].

En résumé, on parla très peu des morts tombés dans les rangs de l’émeute ; par contre, les vivants ne se laissèrent pas oublier [^228].

Rossignol affirmait qu’il n’y avait pas plus de 600 hommes participant au siège de la Bastille. Après l’événement, un beaucoup plus grand nombre prétendit y avoir pris part.

Une liste officielle des « Vainqueurs » fut dressée. Elle comprend 763 « héros » pour la plupart hommes du peuple. À peine pourrait-on y trouver deux ou trois douzaines de ce qu’on est convenu d’appeler des bourgeois. Parmi eux, — la constatation est bonne à faire, — ne figure aucun des anciens pensionnaires de la célèbre prison, ce qui indique que nul de ces derniers ne fut à même, ou ne jugea à propos de profiter d’une si belle occasion pour satisfaire une rancune personnelle ou, en tout cas, de s’en vanter [^229].

Aux contingents civils, il y a lieu d’ajouter les Gardes-françaises. Il ne semble pas qu’il y en eût plus de 65 sous les ordres de Hulin [^230].

En dehors de ceux qui se firent inscrire sur la liste des vainqueurs, il se trouva assurément d’autres citoyens qui négligèrent de signaler leur intervention, mais leur nombre dut être minime.

Les groupes actifs, moins nombreux qu’on ne s’est plu à le dire, peuvent être classés en cinq catégories, autant qu’il est possible de classer une émeute :

1° Il y eut d’abord — et surtout — le groupe du faubourg Saint-Antoine, plus ou moins commandé par Santerre, et dans ce premier bataillon figurait le patriote Pierre-François Palloy [^231], dont la notoriété s’accrut par la suite.

2° Le groupe du quartier du Palais-Royal ne fournit que peu de vainqueurs. On en trouve cependant une vingtaine provenant des rues Croix-des-Pet***-Champs, Feydeau, Montmartre, Saint-Honoré, etc… Le gros contingent de ce quartier fut fourni par les Gardes-françaises, dont le duc du Châtelet se désintéressa si singulièrement [^232].

3° Le quartier des Halles était plus copieusement représenté. S’il faut croire Claude Fournier l’Américain, il y comptait quatre cents hommes sous ses ordres ! Ce chiffre est certainement fantaisiste. Quoi qu’il en soit, le rôle d’émissaire maçonnique de Fournier ne paraît pas douteux : il installa, en effet, son bataillon rue Coq-Héron, dans le local même de la Loge du Contrat social [^233].

4° Le groupe de Stanislas Maillard ne peut être passé sous silence. Nous savons que, s’il était peu nombreux, « il travaillait bien ». Avec lui marchaient la basoche, la toute petite basoche, quelques étudiants et clercs d’huissiers au Châtelet, qu’il recruta plus particulièrement dans le faubourg du Temple [^234].

5° Un cinquième groupe, et qui ne fut pas sans importance, fut un groupe qu’on peut considérer comme maçonnique ; il était formé par les Chevaliers de l’Arc et de l’Arquebuse [^235].

II

Il faut reconnaître les efforts tentés par la plupart des Gardes-françaises pour arracher les prisonniers à leurs bourreaux : l’esprit militaire subsistait encore parmi eux et, après la capitulation, ils montrèrent qu’ils avaient gardé le sentiment de l’honneur et le respect dû à des adversaires désarmés. Si, par la suite, leur attitude fut moins correcte, de temps en temps on les verra encore obéir aux lois de la clémence, même pendant les journées d’octobre.

Il n’est pas douteux que, dans l’élément civil, notamment dans la Compagnie de l’Arc, qui était un corps constitué militairement et habitué à une discipline très stricte en même temps qu’aux sentiments les plus chevaleresques, il s’était rencontré quelques braves gens dont on avait réclamé les services sous prétexte de rétablir l’ordre. Beaucoup de ces « citoyens accoutumés au repos et aux délices », venus de là et d’ailleurs et fourvoyés dans cette affaire, n’en crurent pas leurs oreilles lorsqu’ils s’entendirent qualifier de « héros et de romains », une fois l’opération terminée [^236]. Comme de juste, ils se gardèrent de protester, et à force de l’entendre dire et écrire, ils finirent par être convaincus que les épithètes flatteuses qu’on leur décernait étaient méritées. Pourtant, qu’avaient-ils fait, si ce n’est de grossir le nombre ?

Si, parmi tous les soldats volontaires ou involontaires de l’insurrection, quelques-uns se signalèrent plus tard dans des emplois variés, soit au cours de la Révolution, soit après, il est difficile de préciser avec exactitude la participation effective qu’ont prise le plus grand nombre d’entre eux dans les événements du 14 [^237]. Il en est un pourtant dont le rôle est parfaitement défini : c’est le cuisinier Dénot, le Coupeur de têtes.

Cette personnalité mérite une étude spéciale : c’est celle de l’homme du peuple que l’on pousse à la sauvagerie pour donner plus de retentissement à l’émeute, qu’on laisse se livrer à des manifestations sanguinaires pour inspirer une terreur salutaire aux bourgeois et en même temps entraîner la populace à suivre son exemple.

Indispensable aux fauteurs de désordre qui le soignent et le ménagent parce qu’il imprime à leur œuvre le caractère dont ils désirent qu’elle soit marquée, cet outil est le plus souvent anonyme. Peut-être, dans les journées de juillet 1789, y en eut-il au plus une douzaine de la même espèce ? leur nombre augmenta plus tard ; en tout cas, à cette époque, un seul nous est bien connu : c’est Dénot.

III

On est en droit de supposer qu’en 1789 Dénot était ce qu’on est convenu d’appeler un brave homme. Né à Paris en 1756, il avait donc 33 ans. Félix-François Dénot avait épousé une brodeuse, et lorsqu’à la fin de juin il quitta le service de la baronne douairière de Breteuil, 87, rue Saint-Louis, chez laquelle il servait en qualité de cuisinier, celle-ci lui donna un bon certificat. Dénot habitait avec sa femme rue Courtalon, au coin de la rue Saint-Denis, au cinquième, sur le derrière [^238] ; le principal locataire, un limonadier nommé Volant, était son ami.

Dénot était sans place depuis quelques jours, lorsque le dimanche 12 juillet, ne sachant que faire, de la fenêtre de son voisin il regardait les passants de la rue Saint-Denis ; vers quatre heures et demie du soir, il aperçoit une foule qui promenait deux bustes ; il apprend que ce sont ceux du duc d’Orléans et de Necker [^239] ; aussitôt il court chez lui, prend son chapeau et descend quatre à quatre son escalier pour mieux voir le cortège.

Il n’est pas longtemps sans s’y joindre ; puis, de badaud il devient soldat actif et prend ses voisins par le bras pour former une chaîne protectrice autour des deux bustes. On crie, il crie aussi. Quoi ? Qu’importe ! Comme les autres, il avale une opinion et la hurle. En passant au Palais-Royal, quatre individus se mettent à la tête de la bande et la conduisent aux Tuileries. On arrive à la place Louis XV [^240]. Là, un régiment de hussards et Royal-Allemand avancent au trot sur le public ; un Garde-française reçoit un coup de plat de sabre à côté de Dénot ; la vocation d’émeutier de celui-ci chancelle et, pour s’abriter de la cavalerie, il se réfugie entre les pierres de taille approvisionnées pour l’achèvement du pont Louis XVI [^241]. Comme les balles peuvent l’atteindre, il se couche à plat ventre. Au bout d’un instant, se sentant encore en vie, la curiosité l’emporte, il lève la tête et se trouve nez à plumet avec un casque de dragon. Il le contemple, le pose sur sa tête, puis, fier de sa conquête, profite d’une éclaircie pour se faufiler dans le jardin des Tuileries. Mais les cavaliers du prince de Lambesc caracolent, en se dirigeant vers la foule. Dénot se sauve à toutes jambes par la rue Saint-Honoré, racontant ce qui se passe aux gens qu’il rencontre, leur conseillant, avec toute l’autorité d’un homme qui a un casque, de se tenir sur leurs gardes. C’était assez pour le premier jour ; il rentre chez lui. Là, on l’entoure, on le félicite ; on suppose qu’il a pris le casque à un dragon qu’il a tué, et lui-même finit par le croire. Il se vante d’un tas d’actes héroïques qu’il n’a pas accomplis, abuse de la crédulité de sa femme, de ses ouvrières, de ses voisins, du limonadier : il est l’homme célèbre de la rue Courtalon. Sa popularité s’étend même dans la rue Saint-Denis. Il se couche content de lui.

Lorsque, le lendemain, il se réveille, il remet son casque sur sa tête et se rend à la place de Grève où il pourra grandir sa notoriété. Hier, la foule l’avait pris à sa porte ; aujourd’hui, c’est lui qui va à la foule. La vue de cet homme casqué excite l’enthousiasme ; il prend des allures militaires, marche comme un homme qui descend de cheval. On l’entoure, on le fête, on l’invite à boire et, lorsqu’il a bu, on lui demande comme une faveur de diriger le groupe qui doit aller chercher des armes à Popincourt. Le voilà capitaine ; il prend l’autorité d’un chef et, comme il vient de calmer sa soif, il s’oppose à ce que la « populace », — ce sont ses expressions, — force les marchands de vin à lui donner à boire, se plaçant résolument en travers de la porte avec le fusil qu’on lui avait remis. Il accepte cependant un broc du marchand qui tient boutique au coin de la rue de la Roquette. Arrivée rue Popincourt, la « populace » a encore soif ; il lui résiste moins, et l’on arrose à nouveau les gosiers à la santé de la Nation. Ses hommes entrent ensuite dans un magasin d’armes dont ils s’emparent. Plusieurs fusils sont chargés ; il les distribue à ceux dont la tête lui plaît. Mais, comme des coups de feu partent à tort et à travers, il retire les fusils des mains des imprudents et se bat même avec les récalcitrants. La bande dégringole, titubante, jusqu’aux boulevards ; mais arrivée là, lorsqu’il veut mettre ses hommes en bataille, il n’en trouve plus qu’une vingtaine et, à la place de Grève, il n’en compte plus que quatre. De là on le renvoie, ainsi que ses fidèles, à leurs Districts respectifs. Il rentre chez lui, où on le félicite de l’adjonction du fusil au casque ; il raconte ce qu’il a fait et bien d’autres choses encore, propose des armes à tous ceux qui n’en ont pas. Puis, pris d’un beau zèle, il se rend à son District où il monte la garde sans en être requis. Avec un entêtement de brute, il continuera même ses fonctions pendant trois jours et trois nuits, sauf des absences dont nous verrons les causes.

IV

Le 14 juillet, Dénot se joint à une patrouille et arrive à l’Hôtel de Ville, entre dix et onze heures, pour demander de la poudre et du plomb ; on lui donne une livre de poudre et deux livres et demie de clous dans un sac ; il en fait la distribution autour de lui.

Ainsi armé, il se joint à un groupe qui se rendait aux Invalides. Au Pont-Royal il se heurte à deux charrettes vides attelées chacune de quatre chevaux, appartenant au prince de Conti. Après discussion, la bande décide de les conduire aux Invalides. Il monte sur un des chevaux ; ses camarades grimpent dans les charrettes, et la cavalcade arrive ainsi à destination. Elle y avait été précédée par 2.000 personnes qui regardaient et cherchaient à entrer dans la place. Dénot veut se faufiler dans la cour ; on lui réclame son pouvoir. Il part aussitôt pour la Ville avec une des charrettes et revient peu après muni d’un ordre régularisé par le marquis de la Salle. Il se prend au sérieux : ses fonctions sont officielles, il a un brevet.

Lorsqu’il revint, le public avait forcé la porte et s’était répandu dans les cours. La Basoche en sortait même complètement armée. Sombreuil ne s’était pas défendu. À son tour, Dénot veut charger ses charrettes avec des fusils, mais au fur et à mesure qu’il les place dans son véhicule, le public s’en empare. En présence de l’inutilité de ses efforts, il en choisit un pour remplacer en cas de besoin celui qu’il a déjà et s’empresse de le porter à son domicile.

Il passe à la Ville, annonce qu’il a armé un grand nombre de citoyens et se rend à la Bastille ; il y entre au moment où on y introduisait des voitures chargées de paille enflammée. C’est là qu’il reçut sa première blessure, à la jambe ; elle n’était certes pas bien grave, car nous allons voir ce qu’elle lui permit de faire. C’en fut assez cependant pour qu’il figure parmi les 763 vainqueurs de la Bastille.

Il apprend qu’on s’est emparé de Launey ; après avoir bu un demi-setier d’eau-de-vie qu’on lui a offert, et dans lequel on avait, prétend-il, mis de la poudre à canon, il court pour voir le Gouverneur, le rejoint sous arcade Saint-Jean et le saisit par la basque de son habit : il ne faut pas qu’on ait fait quelque chose sans lui.

Les émeutiers tiennent leur victime. Les uns proposent de l’attacher à la queue d’un cheval : Dénot remarque qu’il est trop blessé pour cela et qu’il vaut mieux le conduire à la Ville. Mais, à ce moment, le Gouverneur de la Bastille s’écrie : « Qu’on me donne la mort ! » et se débat avec rage ; Dénot en reçoit un coup de pied dans le bas-ventre. Ceci mérite vengeance. Un acolyte s’en charge. Il donne à Launey un coup de baïonnette bientôt suivi de plusieurs autres. La victime s’affaisse ; on la traîne en la criblant de coups ; on lui tire des coups de pistolet dans le corps. À ce moment, un de ses voisins passe un sabre à Dénot en lui disant :

— Tenez, mon dragon, comme vous avez été blessé, coupez-lui la tête !

Mais Dénot n’a pas la pratique des armes de guerre ; il amène de toutes ses forces un coup de sabre qui entame à peine les chairs ; il n’est pas bien certain que Launey fût mort. En qualité de cuisinier, Dénot a plutôt la pratique des pet*** couteaux que des grands sabres ; il sort de sa poche un surin à manche noir et achève son opération « en homme qui sait travailler ».

Une fois la tête séparée du tronc, Dénot la fixe à une fourche à trois dents qu’on vient de lui tendre, et, couvert du sang qui coule du col de sa victime, accompagné de plus de deux cents personnes, il traverse le Châtelet, passe devant sa maison afin d’être bien vu par les gens qui le connaissent, enfile les rues de la Ferronnerie et Saint-Honoré, et à l’entrée de cette dernière il se repose pour placer des inscriptions indiquant à qui la tête avait appartenu ; il en attache une sous le menton, une autre derrière les cheveux et va promener son trophée à travers les jardins du Palais-Royal, aux acclamations d’une foule en délire.

C’est là que le rejoignent les porteurs et ceux qui font escorte à la tête de Flesselles.

Après avoir trinqué et mis les têtes sur des tables, on repassa par la rue Saint-Honoré, et le cortège prit la rue du Roule et le Pont-Neuf où, par trois fois, devant la statue de Henri IV, on inclina la tête de Launey en disant : Salue ton maître ! Puis, par le quai des Orfèvres, la tête fut portée au Châtelet, malgré les protestations de la « populace » qui voulait que Dénot la conservât chez lui pour recommencer le lendemain son exhibition patriotique [^242].

Au Châtelet, il remet la tête contre reçu à un huissier de robe courte, en lui recommandant de ne pas la rendre à d’autres qu’à lui [^243].

V

Enchanté de sa journée, Dénot réintègre le domicile conjugal, non sans s’être arrêté chez le limonadier où était son corps de garde. Là, il grimpe sur une table de marbre, raconte ses exploits, montre les reçus, fait la motion de recommencer le lendemain. Il veut encore monter sa garde, et on a toutes les peines du monde à l’envoyer rejoindre sa femme. Le lendemain, il a réfléchi. Des remords peut-être ? Non pas ; mais il a trouvé un genre de distraction plus profitable. Il songe à exploiter son trophée.

En quatre jours, d’un individu quelconque, la Révolution a fait un inconscient dangereux et, qui plus est, grâce aux feuilles qui proclament que le peuple vient dans cette mémorable journée de secouer quatorze siècles d’oppression et de despotisme, Dénot n’est pas un objet d’horreur pour ses voisins, ni pour sa femme, ni pour les ouvrières de sa femme. Au contraire, on se le montre ! C’est un crâne ! Dans le quartier, tout le monde connaît ses exploits, il n’est pas inquiété ; l’Assemblée des Électeurs, qui a pris la responsabilité de la police, se garde d’intervenir et de faire la moindre enquête. Il est connu de ses voisins sous le nom de « Coupeur de têtes ». Il est inscrit sur la liste des vainqueurs de la Bastille. Ce n’est que beaucoup plus tard qu’il sera arrêté, momentanément et pour un tout autre motif. Il traversa tranquillement la révolution, arrêté de temps en temps, mais toujours relâché.

L’Assemblée nationale, d’ailleurs, s’il faut croire la déposition de Dénot, a approuvé ses actes.

Le mercredi 15, lorsque la députation des membres de l’Assemblée vient à Paris, sous prétexte de calmer l’émeute, Dénot va au-devant de la délégation, s’adresse aux députés, leur donne son nom et son adresse, leur raconte ses exploits et, d’après son récit du moins, ce piquant dialogue s’engage :

« — Monsieur le Député, c’est moi Dénot, qui ai coupé la tête de Launey.

— Mon ami, vous avez bien fait, lui répond celui-ci.

— Avez-vous reçu de l’argent pour le faire ? demande un autre.

— Non.

— Eh bien ! Vous aurez une récompense.

— Je ne veux aucune récompense ; j’ai agi par pur patriotisme et dans l’espoir d’avoir une médaille. Du reste, je ne suis pas poussé de nourriture. »

Dénot rentra chez lui la conscience tranquille, et les Députés songèrent sans doute qu’il fallait de ces gens dévoués pour faire les révolutions.

Nous verrons son rôle dans l’égorgement de Bertier.

Ce nouveau meurtre grandira sa popularité et, dans le courant de janvier 1790, pendant le procès de Besenval et celui de Favras, on le retrouve chaperonnant les « dames de sa maison et de son quartier » dans les couloirs du Châtelet dont il connaît tous les détours, car il est entré en relations amicales avec deux cavaliers de robe courte, les sieurs Noiseux et Samson, qui le traitent en habitué, causent familièrement avec lui et le laissent circuler.

Le 12 janvier 1790, comme, vêtu de rouge, il se trouvait encore au Châtelet, il inspira des soupçons à un aide-major de la Garde-nationale, le sieur Louis Ange La Colombe, qui le fit arrêter. Comme on craignait qu’il attentât à la vie des prisonniers, il fut enfermé au Châtelet, mais bientôt remis en liberté [^244].

Grâce à l’impunité accordée à des hommes de cette sorte, on verra bientôt leur nombre augmenter, et l’âme populaire, reculant vers les instincts sauvages, s’aguerrir et prendre plaisir à de pareils spectacles.

Les enfants eux-mêmes s’entraîneront à la férocité, et, pour singer les hommes, ils promèneront au bout de piques des têtes de chats ensanglantées, décorées du nom de têtes d’aristocrates. Ils se livreront journellement à ce nouveau jeu sous l’œil satisfait de leurs parents [^245].

Enfin, en septembre 1792, les Dénot auront fait école et leurs émules étaleront leur féroce bestialité aux portes des prisons, devant un public de femmes qui, assises sur le seuil des demeures avoisinantes, tout en continuant à tricoter, assisteront, indifférentes ou intéressées, aux sinistres hécatombes.

QUATRIEME PARTIE

Les instigateurs et les bourreaux

CHAPITRE PREMIER

L’ARRESTATION DE BERTIER.

I. La mentalité publique après le 14 Juillet. — II. Bertier et le retrait des troupes. — III. La dernière tournée de l’Intendant. — Son arrivée à Compiègne. — IV. La municipalité et la Loge de Compiègne. — La séquestration de Bertier. — Le rôle des autorités locales.

Lorsqu’on apprit en province la prise de la Bastille, l’égorgement de sa garnison et le départ de l’armée ; lorsqu’on sut que Louis XVI s’était jeté dans les bras de ceux qui avaient accompli ces hauts faits et obtenu ce résultat, qu’un Te Deum (l’action de grâces) avait été célébré par l’Archevêque de Paris et qu’une souscription avait été ouverte à l’Assemblée Nationale en faveur des émeutiers [^246], il se trouva dans chaque ville, dans chaque village, nombre d’individus qui n’eurent qu’une pensée : prendre modèle sur la capitale.

Beaucoup de gens finirent par admettre que les défenseurs de l’autorité royale avaient été les geôliers du Monarque. Le manque d’énergie de Louis XVI rendit son attitude si équivoque, pendant et après ces graves événements, qu’on pouvait supposer avec vraisemblance qu’il avait approuvé tout ce qui venait de s’accomplir, que jusque-là il avait été, comme on l’avait dit, sous la tutelle d’un parti politique et qu’il se félicitait d’en être enfin délivré.

On exploita dans ce sens l’opinion publique ; on put surprendre facilement la bonne foi du peuple et lui faire croire que c’était prouver sa fidélité au Roi que de témoigner de la haine contre tout ce qui l’avait entouré avant le 14 Juillet.

Dès lors, muni de la cocarde insurrectionnelle arborée par le Monarque lui-même, tout particulier, enclin par son tempérament à la violence, pourra aspirer à la gloire des héros de Paris. Quiconque marchera contre un château ou ameutera la foule contre un fonctionnaire ou un seigneur soupçonné de ne pas avoir approuvé les événements, pourra prétendre qu’il ne fait pas acte d’émeutier, mais de bon royaliste.

Si cette mentalité finit par inquiéter ceux des associés de la conjuration qui n’avaient pas pensé qu’on en arriverait là, elle combla les vœux des perturbateurs plus intéressés ; ceux-ci surent entretenir le plus longtemps possible un malentendu qui rendait leur tâche singulièrement aisée. Un mot lancé par eux et l’exécution suivait de près. Ils abusèrent à ce point de cette facilité, que Louis XVI, dans une lettre circulaire adressée aux évêques [^247], devra se résoudre enfin à protester et à mettre en garde ses peuples contre les malintentionnés qui, en invoquant son nom et en présentant même de faux décrets portant sa signature, cherchaient à les entraîner dans les excès les plus blâmables [^248].

L’état d’esprit qui règne après la prise de la Bastille, permet de comprendre comment la population se trouvait disposée à prêter son concours à tout individu qui, pour rechercher des personnages désignés par les conspirateurs, avait reçu ou s’était arrogé de lui-même la mission de policier.

Il explique aussi l’inertie des autorités locales paralysées par la peur, lorsque surgit devant elles, sous la forme d’une bande quelconque d’émeutiers, cette nouvelle puissance devant laquelle le Roi lui-même a capitulé et qu’on s’obstine, sans y regarder de plus près, à appeler le Peuple.

II

Le souci de se soustraire aux responsabilités que le décret de l’Assemblée Nationale du 13 juillet avait entendu faire peser sur tous les agents du pouvoir, aussi bien que le désir d’échapper aux risques que les exemples du 14 juillet, les affichages et les menaces du Palais-Royal ne rendaient que trop certains, légitimait le départ des anciens Ministres, des représentants de l’autorité et de tout le personnel de la Cour. On prétendit voir là un aveu de culpabilité.

Tous pourtant ne s’étaient pas déterminés au parti de la désertion. Malgré les conseils qu’on leur donnait à ce sujet, Bertier et Foullon ne prirent pas la fuite. Le fait était facile à vérifier. En dépit de l’évidence et sans tenir aucun compte des affirmations contraires et persistantes de la famille des victimes, qui fournissait des preuves irrécusables, des historiens ont tenu à conserver la légende de la fuite. C’était, à leurs yeux, un point acquis à l’histoire révolutionnaire et c’eût été un sacrilège que de l’effacer.

Le récit détaillé des faits prouvera les erreurs volontaires de certains écrivains [^249].

Lors du court interrogatoire que lui fit subir Bailly à l’Hôtel de Ville, on voit l’Intendant déclarer « qu’au commencement des troubles il a cru devoir se retirer à Versailles d’où il est parti le mercredi 15, à minuit : que des affaires d’administration l’appelaient à Mantes et à Meulan [^250] ; qu’il s’y est rendu ; que de là il a été à Meaux liquider les frais de passage pour la retraite des troupes ; qu’il en est parti le vendredi suivant pour se rendre à Soissons où il a soupé et couché chez sa fille : qu’il en est parti le samedi pour Compiègne, où en arrivant il a été arrêté par deux hommes qui lui ont dit avoir l’ordre de le saisir partout où ils le rencontreraient [^251] ».

Michelet qui, le premier, a tenu à insister sur la fuite et a présenté Bertier comme « s’enfuyant vers le Nord… filant la nuit », n’a tenu aucun compte de ces déclarations, dont le caractère de sincérité et de précision — comme celui de toutes les réponses faites par l’Intendant aux questions embarrassées de Bailly — n’avait été mis en doute par personne. Est-ce, de la part du célèbre historien, erreur grossière ou mauvaise foi ?… Toujours est-il qu’il était facile de contrôler cette déposition et, s’il la contestait, il ne devait le faire qu’avec des preuves à l’appui. Il n’a fait ni l’un ni l’autre.

Suivons Bertier pas à pas depuis son départ de Versailles.

Le 15, l’ordre de retraite des troupes est donné par le Roi. De même que Bertier avait été chargé de pourvoir à leurs approvisionnements à l’arrivée, il doit, dans le mouvement rétrograde, assurer le service des étapes sur le territoire de sa Généralité.

L’opération est de grave importance en raison des circonstances. En effet, sur les 22 régiments qui sont autour de la capitale, beaucoup sont totalement démoralisés. Tous les déserteurs qui vont offrir leurs services à la Commune, sont acclamés, employés et rétribués. Lafayette proclame d’ailleurs « que ceux-là ne sont pas déserteurs et que les seuls qui le soient sont ceux qui n’ont point abandonné leurs drapeaux [^252] ».

Dans toutes les feuilles on fait avec emphase l’éloge des Gardes-françaises qui ont manqué à leurs devoirs et on se prépare à tenir les promesses qu’on leur a faites. On ouvre des souscriptions en leur faveur : les plus grands avantages leur sont accordés, grâce aux concessions qu’on arrache encore au Roi [^253].

Devant de tels exemples, que peut devenir la discipline ? Elle est chancelante partout. Le moindre prétexte, manque de distribution ou ration insuffisante, est capable de provoquer une défection et une débandade générales qui auront les plus graves conséquences.

Il faut renvoyer promptement, et dans les meilleures conditions possibles, les régiments dans leurs garnisons respectives [^254].

Pour qu’ils ne manquent de rien, avant qu’ils soient sortis de la zone la plus agitée qui est la Généralité de Paris, on ne peut compter que sur l’Intendant. Celui-ci ne se dérobe pas à son devoir et refuse d’accompagner le maréchal de Broglie qui, dès le 15, lui offre de l’emmener à Metz.

Dans l’après-midi du 15, on a préparé en hâte l’ordre des étapes pour la retraite des troupes, qui aura son commencement d’exécution dans la journée du lendemain 16. Ce jour-là, au matin, le Maréchal de Broglie, dans une lettre à l’Assemblée Nationale, l’annoncera au nom du Roi.

III

Une fois le travail préparatoire terminé, le 15 au soir, l’Intendant part de Versailles à minuit et se rend à Mantes, où il arrive à cinq heures du matin. Il prend des dispositions avec son subdélégué. C’est par les soins de celui-ci qu’arrivent d’ordinaire les principaux approvisionnements fournis par la Normandie. C’est à cette région que s’adresseront bientôt d’ailleurs les nouveaux Administrateurs de Paris qui, dès le 14, se sont emparés du service des subsistances de la Ville [^255]. Bertier laisse à ses employés le soin de s’entendre avec eux : tout son souci se porte sur l’approvisionnement des troupes. Aussi bien, si l’Intendant doit faire arriver à Paris les convois de grains et de farines, la charge de la répartition et de la distribution dans la capitale incombe au Lieutenant de Police : celui-ci, Thiroux de Crosne, s’est hâté, il est vrai, de résigner ses fonctions dès les premiers troubles. Au surplus, Paris n’a pas à craindre la famine ; le lendemain de la prise de la Bastille, les charrettes et les bateaux arrêtés prudemment en grand nombre aux barrières, les franchissent, apportant à la population la courte illusion d’une abondance qu’elle attribue à la victoire du 14 et dont le Comité permanent s’arroge ainsi tout le mérite.

Dans l’après-midi du 16, l’Intendant s’assure à Meulan que ses ordres peuvent y être exécutés, puis, passant par Pontoise et Saint-Denis, où se trouve la plus forte agglomération de troupes, il continue sa route sur Meaux, où il arrive le 17 à la première heure, y reste une partie de la journée et s’y livre encore au même travail.

Comme beaucoup de régiments doivent traverser Soissons et que la femme de M. de la Bourdonnaye-Blossac, l’Intendant de cette Généralité, est la fille de Bertier, cette double raison détermine celui-ci à sortir de sa juridiction administrative pendant quelques heures. Il va s’entendre avec son gendre et embrasser sa fille ; il part donc de Meaux en plein jour et arrive avant le coucher du soleil, à sept heures, à l’Intendance de Soissons.

M. et Mme de La Bourdonnaye savent, comme tout le monde, que son nom a figuré sur les listes du Palais-Royal : l’un et l’autre l’engagent à rejoindre, par Reims, le Maréchal de Broglie qui a commencé sa retraite sur Metz : le conseil est facile à suivre, mais Bertier ne veut pas en entendre parler. Malgré les supplications de sa fille qui, suivant un récit de Restif de la Bretonne, « embrasse ses genoux », il refuse même de séjourner à Soissons et déclare qu’il partira le lendemain pour Compiègne où sa présence est nécessaire [^256].

Il exécute en effet son projet, quitte Soissons le lendemain matin 18, dans son cabriolet à deux chevaux, et, accompagné de son domestique, après avoir franchi les onze lieues qui le séparent de cette ville, il y arrive vers onze heures. C’est un samedi, jour de marché ; les rues sont pleines de monde. Rien ne ressemble moins, comme on le voit, au voyage clandestin d’un coupable effaré que cette tournée d’un administrateur scrupuleux, qui estime qu’il doit lui-même, dans ces moments difficiles, parcourir les régions de son ressort et qui, sans autre préoccupation, arrive en plein jour dans des localités où il est connu depuis plus de vingt ans.

À Compiègne notamment, il a eu de tout temps de fréquentes relations avec les autorités locales [^257] et y a séjourné nombre de fois. Récemment, le 6 juillet, il a fait tous ses efforts pour donner satisfaction aux réclamations des habitants, relativement aux grains, et il y a réussi [^258]. Chercher à passer incognito dans Compiègne serait une pure folie. Bertier n’y a jamais songé, car il ne se cache pas. C’est vers onze heures du matin qu’il entre ouvertement dans la ville et se fait conduire chez son subdélégué, Antoine de Pronnay [^259]. C’est chez lui qu’il a logé au cours de ses dernières tournées, l’état de la chambre qui lui était réservée à l’Hôtel de Ville ayant nécessité depuis quelques mois des travaux de réparation [^260]. Mais le subdélégué vient de changer de demeure : il s’est installé tout dernièrement avec ses bureaux rue de la Porte de Paris, dans un hôtel qu’il a fait construire sur les terrains des fossés, du glacis et du chemin couvert, compris entre la Porte de Paris et la nouvelle Porte de la Reine.

L’Intendant qui s’est rendu à l’ancien domicile, s’enquiert de la nouvelle adresse. On la lui indique et il ne parvient à la trouver qu’après avoir questionné le receveur des entrées, à la porte de la Reine, Jean Philippe Joly, qui le reconnaît certainement, lui désigne la demeure qu’il cherche et l’y laisse pénétrer [^261].

IV

Si, plus tard, en 1791, à la formation de la Société des Amis de la Constitution de Compiègne, qui deviendra le Club des Jacobins de l’endroit, on retrouvera, parmi les plus ardents de ses membres un certain nombre des hommes qui composaient la Municipalité, ou occupaient certaines charges de ville, en juillet 1789, on peut dire, qu’à cette dernière époque, ces administrateurs et ces fonctionnaires paraissaient animés des intentions les plus sages [^262]. Dès la première quinzaine de juillet, ils avaient, pour assurer l’ordre, organisé une Milice bourgeoise, et le commandement en avait été confié à un ancien militaire estimé de tous, Stanislas le Féron [^263].

À côté des autorités locales, pourtant, certains éléments, depuis le 14 Juillet, avaient, comme dans la plupart des villes, manifesté bruyamment leur admiration pour les événements qui venaient de se passer et prenaient l’attitude de gens investis de la mission d’éclairer l’opinion publique et de la diriger, plus ou moins ouvertement, dans le sens qu’il convenait. Louis-François Wattelet, ancien huissier, ancien greffier de l’écritoire au Bailliage, qui figurera dans la Municipalité de 1791, semble bien avoir appartenu à cette catégorie. Un administrateur de la municipalité de Senlis qui, à l’époque dont il s’agit, écrivait un journal dont on a récemment publié les fragments, désigne Wattelet comme ayant répandu dans la ville de Compiègne, la veille de l’arrivée de Bertier, « le bruit qu’il avait reçu de Paris des lettres disant que l’Intendant était un accapareur de blés [^264]. »

En constatant que l’ancien huissier Wattelet faisait partie de la Loge de Compiègne, il nous faut déjà reconnaître que dans cette occasion la Franc-Maçonnerie joue son rôle [^265]. D’autres circonstances vont d’ailleurs nous convaincre que ce rôle ne s’arrêta pas là.

V

Que le Commis à la Porte de la Reine, Joly, dont les fonctions étaient particulièrement favorables à la surveillance, ait reçu une mission spéciale ou qu’il n’ait obéi qu’à son propre instinct après avoir connu la rumeur répandue par Wattelet, toujours est-il qu’aussitôt Bertier entré dans la maison, il en avisa tous les passants en se livrant à maints commentaires.

C’était, comme nous l’avons dit, jour de marché. Bientôt un rassemblement se fit à la porte de l’Hôtel Pronnay. On en informa l’Intendant qui venait de se mettre à table avec la famille de son subdélégué. Mme de Pronnay l’engagea à partir. Elle envoya chercher des chevaux à la poste qui était tenue par un nommé Leroux [^266] ; on n’en trouva pas, et c’est en vain qu’on en chercha dans la ville.

Mais Bertier ne veut pas compromettre ses hôtes plus longtemps. On entend des clameurs au dehors : accompagné de Mme de Pronnay à qui il donne le bras, de Mme de Pronnay et de quelques autres dames, il se décide à sortir par une porte donnant dans une petite rue, en face la Porte de la Reine. Par malheur, Joly le guette. Aussitôt qu’il aperçoit l’Intendant, il se précipite sur lui, le maltraite, appelle du renfort et l’arrête [^267]. Peut-être était-il aidé par son frère Louis-Joseph Joly, menuisier, car ce fut chez un menuisier qui habitait non loin de là que fut mené le prisonnier [^268]. On l’attacha sur une table et la populace prévenue vint le voir ou l’injurier.

« Dans ce temps, dit la relation que nous avons déjà citée, il y avait à Compiègne un régiment de hussards commandé par le duc de Fronsac, fils du Maréchal de Richelieu, chargé de maintenir l’ordre sur le marché, conjointement avec la Milice bourgeoise qui était organisée. Le duc de Fronsac voulut secourir l’Intendant avec sa troupe, mais M. de Lancry père, Lieutenant du Roi, Commandant pour le Roi à Compiègne, homme timide, ne voulut jamais en donner l’ordre [^269] ».

L’impardonnable faiblesse de M. de Lancry [^270], qui laissa le détachement de hussards Esterhazy repartir le lendemain pour Sarreguemines, sans oser se décider à le faire intervenir, est bien un signe des temps !

Cependant la foule augmente, une véritable émeute s’organise. On accuse de La Vallée de Calfeux, Procureur du Roi, d’avoir demandé l’intervention des hussards, et on l’emprisonne à son tour [^271]. Pronnay peut se cacher grâce à la protection de Le Féron. L’académicien Chabanon qui, ce jour-là, déjeunait chez ce dernier, raconte qu’à la première nouvelle du mouvement celui-ci s’était levé de table, avait quitté précipitamment ses hôtes sans rien dire et n’était revenu qu’après avoir mis en sûreté son ami le subdélégué [^272]. Le Féron ne semble pas avoir employé son influence au profit des autres personnages menacés.

Bertier, pendant ce temps, subit des injures de toutes sortes. On l’accable d’outrages. Dans la foule, ce sont des paysans venus au marché, qui regardent, curieux, goguenards ou agressifs. Les fables les plus mensongères, les plus invraisemblables circulent : comme toujours en pareil cas, il y a des gens qui, sournoisement, attisent le feu. Poultier d’Elmotte, l’ancien commis de l’Intendance, le pamphlétaire haineux dont nous avons déjà parlé, se trouve-t-il parmi eux ? On ne peut l’affirmer, mais pourtant — coïncidence vraiment singulière — il est en juillet 1789, sous la robe de bénédictin, professeur de mathématiques au collège de Compiègne [^273] ! C’est son autobiographie qui nous l’apprend.

Malgré tout, Bertier a gardé son sang-froid ; il oppose le plus grand calme aux avanies dont il est l’objet [^274].

Impuissantes, les autorités arrivent à grand peine, grâce à l’initiative de Le Féron, à faire admettre par la populace, qu’un détachement de 24 hommes de la Milice aurait la garde du prisonnier, en se relayant par groupe de 12 ; puis elles examinèrent ce qu’on allait faire.

Après délibération, on arrêta qu’il était urgent d’aviser les Électeurs de la Ville de Paris, puisque c’était la capitale qui, au dire de ceux qui avaient arrêté l’Intendant, le faisait rechercher. On rédigea donc la lettre suivante :

« MESSIEURS,

« Les habitants de Compiègne ayant été informés que M. Bertier de Sauvigny, Intendant de Paris, était ici, l’ont arrêté sur le bruit que la capitale le faisait chercher ; en conséquence, Messieurs, les citoyens vous dépêchent la présente et vous prient de les éclairer sur la conduite qu’ils ont à tenir. Nous sommes… etc. [^275] »

Les magistrats municipaux, Le Caron de Mazencourt, Godard-Desmarets, Herbet, François Motel, signèrent, ainsi que les Électeurs Wacquant, les frères Charmolue et Constant d’Ijanville.

Deux personnages, Mathieu et Leroux, s’offrirent pour porter la lettre à Paris. Leur proposition fut acceptée. Est-ce le hasard qui fait encore que ces deux personnages, comme l’huissier Wattelet, sont aussi de la Loge [^276] ?…

CHAPITRE II

LA PROTECTION PERFIDE

I. Les délégués de Compiègne à Paris. — Ils outrepassent leur mandat. — Décisions des Électeurs parisiens. — II. Les miliciens envoyés à Compiègne pour la sûreté de Bertier. — III. Le voyage de l’escorte ; son état d’esprit. — IV. Compiègne ; Bertier est livré. — V. Le retour à Paris. — VI. Le rôle néfaste de Bosquillon.

Les deux délégués, Mathieu et Leroux [^277], arrivèrent à Paris le lundi 20 juillet dans la soirée et se firent conduire devant Bailly, qui était au Comité des Subsistances. « Ils ne me dirent pas d’abord, raconte le Maire de Paris, qu’ils avaient une lettre pour l’Assemblée, et ils me demandèrent en propres termes ce que je voulais qu’on fît de M. Bertier. Je regardai cette arrestation comme un malheur, parce qu’il y avait danger pour lui à le faire amener à Paris et danger pour ceux qui donneraient l’ordre de le relâcher… Je me gardai bien de me charger de rien à cet égard sur ma responsabilité, ni de proposer aucune décision [^278] », déclare encore l’héroïque Bailly ; « je les renvoyai à l’Assemblée : c’est alors qu’ils me dirent qu’ils avaient une lettre pour elle. »

L’Assemblée était en séance lorsque les délégués entrèrent.

Bailly fut aussi invité à prendre part à cette importante délibération. Après mûr examen, en présence des députés de Compiègne, il fut arrêté « que la Ville de Paris ne faisant point chercher M. Bertier de Sauvigny, et cet ANCIEN INTENDANT n’étant ni accusé ni décrété par justice, il serait répondu aux habitants de Compiègne qu’il n’existait aucune raison légitime de le retenir prisonnier [^279]. »

À ce moment, pour les Électeurs de Paris, la destitution de Bertier paraissait suffisante. Ils se contentaient de le déclarer « ancien Intendant », mais il ne leur venait pas à l’idée qu’on pût le poursuivre pour quoi que ce fût.

C’est alors que Leroux et Mathieu eurent à faire preuve d’éloquence [^280]. Ils firent observer que le peuple de Compiègne était extrêmement animé contre M. Bertier, « qu’il était impossible de répondre de sa vie, à laquelle peut-être on avait attenté depuis leur départ, et qu’il n’existait qu’un moyen de la lui conserver, celui de le faire conduire dans les prisons de Paris. » C’était là dépasser audacieusement les bornes de la mission qu’ils avaient reçue : les termes de la lettre qu’ils étaient simplement chargés de porter, le prouvaient : les signataires priaient les Électeurs de Paris de les renseigner et de les éclairer sur la conduite qu’ils avaient à tenir, et rien de plus.

L’observation faite par les deux membres de la Loge Compiègnoise impressionne les Électeurs. Quelques-uns de ces derniers, dont Garran de Coulon, et « plusieurs citoyens présents » interviennent à propos et appuient la proposition de Mathieu et Leroux. Ils font observer qu’on pourrait peut-être « trouver des chefs d’accusation contre Bertier, car c’est lui qui a assuré le service de l’Intendance de l’armée réunie sous Paris, et qu’il s’était rendu de Paris à Versailles le jour même de la prise de la Bastille » ; ils concluent « qu’il convenait, soit à la justice publique s’il était coupable, soit à son intérêt particulier s’il était innocent, que sa personne fût mise à la garde des tribunaux ».

On sent bien, d’après leur insistance, que Bertier est une proie qu’ils ne veulent pas laisser échapper.

Influencée par eux, l’Assemblée reprend une seconde délibération et arrête :

« Qu’il sera envoyé à Compiègne une troupe de 240 hommes à cheval pour mettre en sûreté la personne de M. Bertier de Sauvigny et pour le conduire à Paris [^281] ; qu’il sera demandé à chaque District quatre hommes à cheval pour former cette troupe de 240 cavaliers ; que cette troupe sera dirigée dans ses mouvements par deux Électeurs qui seront chargés de prier, au nom de l’Assemblée, MM. les officiers municipaux de la Ville de Compiègne, de leur remettre M. Bertier de Sauvigny. »

« Peut-être une faible garde, quatre cavaliers avec lesquels on aurait pu faire la route presque incognito, dit Bailly, aurait été préférable ; mais quelque parti qu’on eût pris, la suite a prouvé que sa perte avait été résolue. »

M. d’Ermigny [^282] est choisi par Lafayette pour commander le détachement et, comme il doit être accompagné de deux Électeurs, l’Assemblée prend l’arrêté suivant :

« MM. de La Rivière [^283] et André de La Presle [^284], Électeurs et membres de l’Assemblée de Paris, se transporteront à Compiègne avec 240 hommes à cheval de la Garde parisienne, pour demander à MM. les officiers municipaux de la Ville de Compiègne la personne de M. Bertier de Sauvigny, Intendant de Paris, et le ramener à Paris dans les prisons civiles, de l’ordre de l’Assemblée. MOREAU DE SAINT-MERY, BERTOLIO. »

Si La Rivière était Électeur, La Presle ne semble pas l’avoir été. Cela ne constitue, il est vrai, qu’une légère illégalité, si on la compare à toutes les autres. Par surcroît, quelqu’un suggère l’idée qu’il serait peut-être bon de mettre les scellés sur les papiers de Bertier, et l’ordre en est immédiatement donné par le Comité des Électeurs, s’arrogant encore le droit de prescrire une mesure de cette sorte. Moreau de Saint-Méry, Président de l’Assemblée des Électeurs, et Bertolio, secrétaire, en signent l’ordre, et le Commissaire Carré, que nous avons déjà vu à l’Hôtel de Ville le 14 juillet, ne fait aucune difficulté de s’en charger [^285].

II

On s’occupe aussitôt d’exécuter l’arrêté des Électeurs et de faire parvenir dans les Districts les ordres nécessaires qui sont signés de Garran de Coulon, vice-président, et d’Osmond [^286], vice-secrétaire, Pons de Verdun, marquis de Turgot, etc. [^287].

On commence la tournée le mardi 21, à deux heures du matin, par le District de Saint-Roch : puis l’on continue par le corps de garde de la rue Tiquetonne (3 h.) ; Saint-Nicolas-des-Champs (3 h. 15) ; les Blancs-Manteaux (4 h.). Le quartier des Pet***-Pères (4 h.) envoie un nommé Léonard avec trois hommes ; celui des Capucins du Marais désigne Bontous, Boniface, Bloreau et Meyer ; l’Oratoire déclare, par l’organe de Tourneau et de Bernard de La Fresnaye, qu’il ne peut envoyer que deux hommes et un seul cheval. On passe ensuite à Saint-Louis-en-l’Île [^288], puis à Saint-Martin-des-Champs. Là le zèle est grand ; il y a un Électeur originaire de Compiègne nommé Bussac qui informe que le sieur Jacquin veut se joindre à l’escorte en plus des quatre hommes désignés. Les Minimes envoient Bar, Virmontoy, Petigny et Beaujard. Le poste de la rue Tresnelle fait prêter à ses émissaires Douce, Petitjean, Desvignes et Gaudin, serment de fidélité, bien « qu’ils aient donné des preuves de leur amour pour la patrie ». Au District du Roule on n’a que deux chevaux, et l’Électeur suppléant, Al. de Vauvillers, donne aux sieurs Buisson et Cordier un bon pour « aller à l’Hôtel de Ville avec leurs bottes pour y prendre des armes et des chevaux [^289]. » Le Petit Saint-Antoine envoie trois hommes, Méry, Letez et Géhel [^290].

On peut se rendre compte de l’effarement que ces invitations à une expédition extra muros durent provoquer parmi les soldats de la Milice, pour la plupart bourgeois paisibles et ouvriers turbulents, récemment enrégimentés, les uns et les autres peu habitués à la pratique de l’équitation et auxquels on donne des chevaux qu’ils ne connaissent pas. Au début, pour la plupart d’entre eux, c’est une partie de plaisir, avant que cela devienne une fatigue et une souffrance insurmontables. Le rendez-vous général est place de Grève, où les Districts envoient les hommes qu’ils ont sous la main avec les chevaux qu’à pareille heure ils ont pu réquisitionner. Ils partent par pet*** paquets, au hasard des rencontres, et aux envoyés des Districts se joignent des amateurs, simples curieux ou révolutionnaires zélés comme Cholat [^291] qui, après avoir collaboré au meurtre de Launey, se promène affairé dans Paris sur le cheval dont il s’est emparé le 14 juillet au Champ-de-Mars.

Le premier détachement part à deux heures du matin avec Leroux, Mathieu, La Rivière et La Presle. Il est commandé par d’Érmigny. D’autres s’échelonneront jusqu’à cinq heures du matin, heure à laquelle les délégués du Val-de-Grâce et du Petit Saint-Antoine quittent la place de Grève, sous les ordres de Des Sorbonnes, chevalier de Saint-Louis, aide-major de la Maréchaussée.

III

De la place de Grève à Compiègne, il y a vingt lieues, et il est vraisemblable que les chevaux mis à la disposition de ces cavaliers improvisés ne pourront fournir la course. Bien peu durent atteindre le but, et nous les voyons s’éclaircir à Louvres, à Senlis et à Verberie, où ils forment des postes pour assurer le retour.

Ce fut donc en pleine nuit que la première fraction de l’escorte sortit de Paris. Elle ne rencontra d’abord personne, ni dans les campagnes, ni dans les bourgs. Elle arriva à 10 h. du matin à Senlis, où les principaux habitants, précédés d’une garde nombreuse, vinrent au-devant d’elle. Le receveur des tailles, Boucher d’Argis de Guillerville, était en tête des Senlisiens avec un détachement de fusiliers, car la Milice n’était pas encore organisée.

Au nom d’un Conseil permanent qui s’était formé à Senlis comme à Paris et à Compiègne, Boucher d’Argis complimente les délégués parisiens, leur fait offre de ses services et ne dit pas un mot de l’Intendant [^292]. Puis, on se transporte à l’Hôtel de Ville où, de nouveau, on se congratule en échangeant des discours dans lesquels il n’est fait aucune allusion au personnage que l’on va chercher.

Pendant ce temps, la Milice parisienne se repose dans le faubourg Saint-Martin de Senlis. « C’était, dit Boitel de Dienval, le témoin oculaire déjà cité, un rassemblement de toutes sortes de gens qui ressemblaient plutôt à des bandits échappés des galères qu’à une troupe » et cette appréciation se trouve confirmée, dans une certaine mesure, par les Archives de Senlis, qui nous révèlent que les Parisiens, à leur passage dans cette ville, tentèrent de rompre la monotonie de leur promenade militaire par quelques exploits. Ils procédèrent d’abord, sans motif connu, à l’enlèvement du comte de La Bardouillère, logé chez le sieur Delahaye, et les autorités militaires de la ville eurent beaucoup de peine à l’arracher de leurs mains. Enfin, des habitants viennent déposer que des miliciens avaient essayé de les entraîner à une expédition au château de Chantilly pour enlever de vive force des canons qu’ils avaient ouï dire être la propriété de la ville de Senlis. Les habitants ayant décliné ces offres avaient été malmenés.

Tel est l’esprit qui anime la troupe que nous voyons associée aux deux Électeurs de Paris pour assurer la sécurité d’un homme qu’on a avoué être injustement retenu et qu’on prétend vouloir soustraire aux risques d’une émeute !

L’ardeur belliqueuse dont la bande fait parade en arrivant à Senlis, n’est pas cependant en rapport avec ses facultés d’endurance, bientôt affaiblies par de nombreuses libations ; aussi, lorsque La Rivière et La Presle expriment le désir de poursuivre leur route, c’est à peine si d’Érmigny peut réunir un détachement de quelques hommes valides, qui, à l’étape suivante, à Verberie, incapables d’aller plus loin, exigent à leur tour qu’on les laisse se reposer.

C’est donc sans escorte que les deux Électeurs et le Commandant de l’expédition continuent leur voyage. À l’entrée de la forêt de Compiègne, ils trouvent une escouade de la Milice Compiégnoise qui les conduit à l’Hôtel de Ville vers onze heures du soir.

Pendant ce temps, on voyait arriver à Senlis ceux des miliciens des Districts partis tardivement de Paris. Les contingents du Petit Saint-Antoine et du Val-de-Grâce, qui s’étaient mis en route à cinq heures du matin seulement, n’arrivèrent que vers quatre heures à Senlis. À ces détachements officiels s’étaient joints Durocher, Capitaine de Milice du Faubourg Saint-Germain, qui devait être assassiné, le 10 août suivant, dans une échauffourée à Chaillot [^293], et un personnage dont nous avons déjà parlé, Bosquillon, représentant du Grand-Orient, l’auteur du Code National, contenant, dès 1788, le programme des événements de 1789.

Boitel de Dienval émet l’hypothèse que Durocher et Bosquillon, qui arrivèrent avec un immense fourgon rempli d’armes de toutes sortes, devaient avoir l’intention de délivrer l’Intendant, mais qu’au moment d’agir ils avaient manqué de résolution. Cette supposition, toute gratuite, n’est rien moins que vraisemblable, et la suite le prouvera ; mais il n’y a pas lieu de s’étonner qu’elle ait pu prendre naissance dans l’esprit des Senlisiens, en raison de l’incident qui suivit leur arrivée.

L’apparition tardive de ce contingent, survenant longtemps après les autres, éveilla les soupçons du Commandant de l’escorte resté à Senlis ; il fit arrêter Durocher et quatre fusiliers qui l’accompagnaient, « sous prétexte qu’ils n’avaient pas d’ordre de Lafayette ni d’autre. » On ne les relâcha que quelques heures plus tard, sur la réclamation de Seigneurel, lieutenant de la Division de la Milice de Paris du District du faubourg Saint-Germain [^294].

Aussitôt Durocher délivré, il repartit à minuit avec Bosquillon et son fourgon, après avoir eu quelque peine à trouver des chevaux à la poste et chez des particuliers [^295].

IV

Cependant La Rivière, La Presle et d’Érmigny, arrivés comme nous l’avons dit à Compiègne, avaient été annoncés à la Municipalité qui siégeait en permanence ; Le Caron de Mazencourt était descendu aussitôt à la principale porte de l’Hôtel de Ville, pour introduire les délégués parisiens ; il était accompagné de François Godard-Desmarets, Procureur des Sièges royaux.

Ceux-ci déposèrent leurs pouvoirs sur la table des délibérations et réclamèrent que la personne de l’Intendant leur fût confiée.

« À quoi, mentionne le procès-verbal, MM. les Officiers municipaux répondirent que M. Bertier de Sauvigny n’était point à leur charge, qu’ils n’avaient point à faire d’avis sur une demande de le rendre, que puisqu’ils n’en sont pas responsables ils ne pouvaient en charger personne, qu’ils se bornaient à réclamer pour lui protection et justice [^296]. »

Ils ajoutèrent qu’ils « demandaient, et qu’ils espéraient des représentants de la Ville de Paris, les égards qu’eux-mêmes avaient eus pour M. Bertier de Sauvigny pendant le temps qu’il était resté parmi eux ; qu’ils avaient cru devoir lui accorder protection et sûreté dans un moment de tumulte populaire ; qu’ils s’étaient empressés même d’inviter M. Bertier de Sauvigny à se transporter à l’Hôtel de Ville où il serait actuellement, s’ils ne craignaient de voir renouveler les excès auxquels la population de cette ville s’était portée la veille. »

Ils prièrent donc MM. les Députés de le ramener à Paris et de lui « procurer sur la route la sûreté qu’ils lui avaient procurée dans leur ville » et proposèrent d’envoyer plusieurs de leurs concitoyens pour les accompagner jusqu’à Verberie.

Les Députés parisiens observèrent que « la Commune de Compiègne ayant député près de la Ville de Paris MM. Leroux et Mathieu, la ville de Paris avait cru M. Bertier prévenu de quelque délit et réellement détenu, qu’ils allaient se hâter de détromper leurs concitoyens en leur remettant le présent procès-verbal [^297] », puis ils déclarèrent accepter l’offre qui leur était faite d’une escorte de la Milice bourgeoise pour les accompagner jusqu’à Verberie [^298].

Après ces pourparlers, les officiers municipaux accompagnèrent les députés parisiens jusqu’à la maison qui avait « servi de sauvegarde » à Bertier [^299].

Il était 2 heures du matin. On explique à l’Intendant la situation et les décisions prises ; il n’y fait aucune objection et se dispose à partir.

À 5 heures, Bertier monte dans son cabriolet, accompagné de d’Érmigny. La Garde de la ville et les délégués escortent la voiture et l’on prend la route de Paris.

Grâce à la pusillanimité et à l’inconscience de ses administrateurs, Compiègne — comme le dira plus tard une carmélite en apostrophant l’un d’eux — « avait livré l’Intendant de Paris à ses bourreaux, comme jadis elle avait livré Jeanne d’Arc [^300] ».

V

La nuit est obscure, le ciel est presque complètement couvert, et il n’y a pas de lune. Le trot des chevaux et le roulement du cabriolet font résonner le pavé de la route royale, totalement déserte à cette heure avancée. Le groupe, arrivé à la Croix Saint-Ouen, s’arrête. On vient de rencontrer la troupe du Petit Saint-Antoine et celle du Val-de-Grâce conduite par Bosquillon. Après avoir fraternisé quelques instants, la Milice de Compiègne revient sur ses pas, d’Érmigny prend le commandement de l’escorte parisienne et André de La Presle le remplace dans le cabriolet auprès de Bertier. On sort enfin de la Forêt et l’on arrive à Verberie, où la troupe est grossie du détachement que d’Érmigny y avait laissé la veille.

Le soleil s’est levé à quatre heures et demie, il fait maintenant complètement jour ; la population assez calme, réunie sur la place, regarde passer le cortège : c’est à peine si quelques cris se font entendre. Mais bientôt, au fur et à mesure qu’on avance, l’affluence augmente. Les Miliciens de Paris, restés en route la veille, ont expliqué à qui voulait l’entendre, le but de leur mission, du moins dans le sens où ils l’ont comprise. Nous connaissons leur façon de penser par le rapport d’un représentant du District du Petit Saint-Antoine, qui relate « qu’on lui a dit qu’il fallait empêcher l’Intendant de s’évader, parce que la Nation le réclamait pour prétendues fautes par lui commises envers le peuple [^301] ».

Vers 8 heures, le cortège arrive à Senlis. On a mis 5 heures pour faire huit lieues.

Comme à l’aller, l’escorte est à la débandade. Les uns s’attardent dans la ville et y oublient leurs chevaux [^302], tandis que d’autres font du tumulte et contraignent des soldats du Régiment de Bourgogne [^303], qu’ils rencontrent, à les suivre avec un trompette.

Certains récits affirment que la population de Senlis voulut écharper l’Intendant ; d’autres, tels que celui fait par le sieur Mary, représentant le District du Petit-Saint-Antoine, prétendent au contraire que la population voulut essayer de le délivrer, et qu’il dut l’en empêcher « à l’aide des forces majeures qu’il avait ». D’autre part, les Archives de la ville de Senlis contiennent une délibération du Comité permanent qui proteste « contre l’information du Courrier de Paris à Versailles (n° 16), en ce qu’il y est dit qu’on a eu beaucoup de peine à arracher l’Intendant de Paris des mains des habitants de Senlis. La vérité, est que l’Intendant a traversé la ville sans aucun obstacle [^304].

Dans tous les cas, La Rivière et La Presle, d’accord avec d’Érmigny, décident de ne pas s’arrêter et dépêchent un courrier à l’Assemblée des Électeurs, tandis que le Commandant militaire en expédie un à Lafayette.

L’escorte du Petit Saint-Antoine se plaint de ce que d’Érmigny, installé sur le marche-pied du cabriolet, ne cesse de causer avec « le prisonnier » ; mais d’Érmigny ne tient aucun compte de ces observations et l’on se remet en route, après avoir spécialement confié la garde du cabriolet à quelques déserteurs d’un régiment suisse cantonné dans les environs, et qui, réfugiés la nuit au corps de garde de Senlis, installé dans l’auberge du Sauvage, se sont joints à la Milice parisienne.

La Rivière avait remplacé La Presle auprès de Bertier, lorsqu’on parvint à Louvres à midi et demi. Là, tout le monde s’arrête ; on compte attendre le retour des courriers que l’on a envoyés de Senlis à Paris. D’Érmigny et les Électeurs se mettent à table avec Bertier. Les représentants du District du Petit Saint-Antoine expriment de nouveau leur mécontentement de ce que « ces messieurs se permettent de s’enfermer dans une chambre haute avec l’Intendant, après avoir mis un factionnaire à la porte ! » D’Érmigny ne se laisse pas intimider et continue ses colloques ; mais il est obligé de céder devant les rumeurs des représentants de tous les Districts qui, à l’instigation de ceux du Petit Saint-Antoine, hâtent le départ et déclarent qu’ils refusent qu’on attende « le crépuscule du soir ».

La situation se compliquant de plus en plus, les délégués des Électeurs décident d’envoyer La Presle à Paris réclamer les ordres de Bailly et de Lafayette. Mais La Presle est à peine parti, que des cris se font entendre dans la cour de l’auberge, et que des gens armés envahissent la salle à manger, exigeant que Bertier descende et que l’on parte. Pour empêcher des conciliabules secrets, on brise les auvents du cabriolet ; la vie de Bertier n’est plus en sûreté. La Rivière se place avec courage à côté de lui ; on entoure la voiture de cavaliers sûrs et l’on part. Il était plus de deux heures. Les clameurs suivent le cortège. À la sortie de Louvres, un homme armé d’un sabre veut égorger l’Intendant ; La Rivière le couvre de son corps.

Cependant, la troupe des cavaliers augmentait toujours, il y en avait plus de 600, presque le triple de l’escorte chargée de la sûreté du prisonnier. Désormais, les ordres de d’Érmigny ne sont ni obéis ni entendus. On apporte à La Rivière l’ordre de Bailly de passer la nuit au Bourget pour arriver seulement le lendemain à 6 heures [^305] et conduire tout de suite le prisonnier à l’Abbaye. Bertier charge La Rivière « de remercier Bailly et l’Assemblée des moyens employés pour lui permettre de se justifier et pour le soustraire à la fureur aveugle du peuple qui l’accuse », et La Rivière ajoute : « L’Intendant ayant remarqué plusieurs personnes armées de fusils qui faisaient le mouvement de tirer sur nous, m’a engagé à le laisser seul livré au danger ; occupé de moi seul et s’oubliant lui-même, il m’a prié de céder à la fureur armée contre lui [^306]. » Mais La Rivière refusa de l’abandonner.

C’est à ce moment que se place un incident révélé, non par le rapport de La Rivière du 23 juillet, mais par la déposition qu’il fit le 25 décembre 1789, lors de l’instruction ouverte au Châtelet dans l’affaire du baron de Besenval et dont Boucher d’Argis fut rapporteur. Marat, dans l’Ami du peuple (n° du 15 janvier 1790), donna seul la teneur intégrale de cette déposition, et c’est à lui que nous l’emprunterons : « Après tant de fatigues et de craintes, dit La Rivière, le sieur Bertier me parut avoir une vive inquiétude sur le sort d’un portefeuille qu’il avait à Compiègne et qui ne se trouvait plus. Lui ayant appris que ce portefeuille était entre les mains de son gendre M. de Blossac, Intendant de Soissons, il me parut plus tranquille et me dit qu’il allait écrire un billet à M. de Blossac pour qu’il remît ce portefeuille à la personne qu’il priait de lui envoyer. Mais que s’étant mis en devoir d’écrire ce billet sur la forme de son chapeau, le peuple, qui avait déjà cassé les stores de la voiture et qui paraissait vouloir se porter à quelques nouvelles violences, l’empêcha de continuer, qu’à l’instant il tira de sa poche la clef de ce portefeuille, me la présenta, disant en propres termes : — Puisqu’il ne m’est pas possible d’écrire, je vous remets cette clef que vous voudrez bien donner à M. Bailly afin qu’il envoie chercher le portefeuille, qui contient 200 livres en or, 60.000 livres en billets souscrits à mon ordre par des marchands de bois, une correspondance avec une femme, des papiers relatifs à mon administration et deux lettres de M. Necker par lesquelles ce Ministre m’ordonne de faire couper les blés verts de ma Généralité, lettres qui m’inquiètent fort, car elles ont besoin d’explications. »

VI

On arriva enfin au Bourget à six heures, et La Rivière donna des ordres pour y coucher, suivant les instructions envoyées par Bailly. Mais ceux qui voulaient la mort de Bertier ne l’entendent pas ainsi.

La Rivière note dans son rapport :

« Quelques personnes, prévenues peut-être de ces ordres, ont empêché que nous n’approchions de la porte [^307] et ont forcé le postillon de Louvres de venir jusqu’à Paris, sans vouloir lui permettre de relayer. »

À la hauteur d’Aubervilliers, les piétons de la Basoche rejoignent le cortège. Qui les a envoyés et dans quel but ? Est-ce pour protéger le prisonnier ? On aime à le croire ; en tout cas leur présence n’est connue que par la réclamation qu’ils adressèrent par la suite à la Municipalité, en réclamant qu’on leur tînt compte de cette campagne dans leurs états de service.

Par contre, La Rivière déclare qu’à la sortie du Bourget, une troupe ayant à sa tête un homme vêtu d’un uniforme « qui m’a paru être, dit-il, celui de l’Arquebuse », a voulu éloigner les gardes à cheval et entourer la voiture, « mais les personnes qui avaient été jusqu’alors à ces postes ont refusé de les abandonner et ont forcé cette troupe à s’éloigner. »

C’est aussi, vers le même moment, qu’une charrette apparaît au travers de la route avec « des verges chargées d’inscriptions injurieuses disposées par étages. » Cette mise en scène prouve bien une préméditation savante ; comme le fait avec raison remarquer Louis Blanc, « le libellé des inscriptions que portait cette charrette ne pouvait pas être l’œuvre de gens du peuple ». Elles provenaient sans doute de la même officine où s’étaient fabriqués tous les pamphlets qu’on vendait à la même heure sur la place de Grève.

À partir de ce moment, les injures deviennent plus nombreuses, les accusations plus nettement formulées par des individus qui s’approchent de l’Intendant. Aux accusations d’accaparement qu’ils viennent lui jeter à la face, celui-ci répond avec un grand sang-froid : « Je vous jure que jamais je n’ai acheté ni vendu un seul grain de blé. »

C’est au milieu de cette foule de plus en plus compacte et dont les menaces sont de plus en plus directes, que, vers sept heures et demie, le cortège traversa La Villette et entra dans Paris.

Le rôle néfaste, jusqu’ici insoupçonné, de Bosquillon, représentant du Grand-Orient de France, paraît bien défini. Ainsi que nous l’avons déjà constaté, c’est sa troupe qui prend possession de Bertier à la Croix Saint-Ouen ; c’est elle aussi qui s’oppose à l’arrêt de Louvres ; c’est elle encore qui affecte de croire à la possibilité d’une évasion de l’Intendant qu’elle traite en prisonnier ; c’est elle enfin qui fait brûler l’étape du Bourget. Il fallait que Bertier arrivât à Paris le jour même. Car c’était là qu’il était attendu par des exécuteurs savamment surexcités et habilement stylés.

Quand on jette un homme à la mer, les flots ne sont pas coupables du crime qu’on vient de commettre, mais bien celui qui a jeté la victime. Bosquillon, comme l’acteur Bordier au mois d’août suivant, à Rouen, semble avoir été chargé de précipiter l’Intendant dans cette marée humaine, à l’heure dite où de nombreux bras anonymes étaient prêts à accomplir l’ouvrage impitoyable des flots.

Un jour viendra où les Loges ne seront plus maîtresses des instincts brutaux qu’elles auront éveillés. Ils se retourneront contre elles et un grand nombre de leurs membres périront à leur tour victimes de la tempête, tandis que d’autres, mieux avisés, échapperont au supplice et sauront se mettre à l’abri.

Bosquillon, moins habile que ces derniers, sera emporté par le tourbillon et, le 2 septembre 1792, on trouvera son cadavre à l’Abbaye [^308].

VII

Nous avons constaté le désordre qui règne à l’Hôtel de Ville, l’ignorance des nouveaux gouvernants, l’incohérence de leurs décisions et la responsabilité qui incombe à ceux qui se sont substitués aux pouvoirs réguliers, sans avoir l’énergie et la capacité nécessaires pour être les metteurs en œuvre du nouveau pacte social.

Après la mort effroyable de Foullon, on pouvait espérer que les mesures prises pour protéger Bertier seraient suffisamment sérieuses et que l’expérience de la journée contribuerait à la sécurité du soir. Il n’en fut rien. Bailly nous fait voir l’état de son âme dans ces circonstances critiques ; c’est lamentable : « Je passais la journée, dit-il, dans l’anxiété et le cœur chargé d’un poids insupportable. Je craignais et je souhaitais l’arrivée, pour être débarrassé de cette inquiétude, et pour que l’événement, quel qu’il pût être, fût passé. »

Au cours de sa réunion du matin, l’Assemblée des Électeurs, en présence de la fermentation des esprits, avait décidé d’envoyer à La Rivière l’ordre de s’arrêter au lieu même où le porteur le rencontrerait et d’attendre un avis ultérieur [^309]. De leur côté, Bailly et Lafayette lui firent dire à Louvres, comme nous l’avons vu, de coucher au Bourget et de faire tous ses efforts pour arriver à Paris à six heures du matin, le lendemain.

Vers sept heures et demie du soir, La Presle arriva et apprit à Bailly qu’il avait été impossible d’exécuter l’ordre de coucher au Bourget, et que Bertier, suivi d’une foule immense, ne tarderait pas à arriver à l’Hôtel de Ville. D’accord avec Lafayette, Bailly envoie sur-le-champ un courrier à La Rivière pour lui prescrire de conduire directement Bertier à l’Abbaye ; le courrier rencontra le cortège à la Porte-Saint-Martin, mais la foule impénétrable l’empêcha d’approcher. Les émeutiers parisiens avaient pris possession de la victime à la Villette, où une foule immense l’attendait. Lafayette, cette fois, fait mettre sous les armes une troupe plus nombreuse ; mais le choix est tel, que l’on est en droit d’accuser le Commandant en chef d’avoir encore fait preuve d’une insigne maladresse.

En effet, au lieu d’avoir recours aux Gardes de la Ville et aux Gardes de Paris, troupes sûres, exercées, habituées au maintien de l’ordre, Lafayette place dans la cour et les escaliers quelques Gardes-françaises et des citoyens armés de fusils. C’est avec ces éléments qu’on avait pris la Bastille. C’étaient ceux qui s’étaient le plus distingués, dans l’émeute du 14, qu’on allait charger d’assurer la sécurité du prisonnier ! Aussi ne doit-on pas s’étonner que cette garde ne bouge pas, lorsque, vers huit heures trois quarts, des clameurs se font entendre sur la place, et qu’elle laisse la populace envahir la cour, l’escalier et même la salle de l’Assemblée des Électeurs aux cris de : « Voilà l’Intendant ! Voilà l’Intendant ! »

Lafayette et Bailly se rendent à la salle de l’Assemblée ; La Rivière se présente et annonce que l’Intendant de Paris vient d’arriver et qu’il l’a installé dans une pièce voisine.

Bertier, en effet, était arrivé [^310], mais ça n’avait pas été sans peine ; s’il était sain et sauf, c’était grâce au courage de La Rivière et de quelques hommes de l’escorte.

Lorsque Bertier était entré dans Paris, plus de mille cavaliers en armes avaient formé un cortège macabre, enserré par la foule : Gardes-françaises, déserteurs, bourgeois, artisans, vagabonds échappés de Bicêtre, composent cette cohue bruyante au milieu de laquelle le prisonnier continue à montrer une attitude impassible.

Pendant deux heures qu’avait duré la traversée de Paris, dix hommes résolus, groupés autour de la voiture, avaient assuré sa sécurité. Quel exemple pour Bailly et Lafayette !

Dans la rue Saint-Martin, à la hauteur de la rue Maubuée, on avait voulu approcher de Bertier la tête de son beau-père. La Rivière s’interposa et parvint à attirer d’un autre côté les regards de l’Intendant, qui ne put voir que vaguement le triste trophée ; La Rivière lui dit que c’était la tête de Launey [^311].

Bailly rapporte qu’en passant devant Saint-Merry, Bertier dit à La Rivière : « Je croirais sans exemple l’avanie dont je suis actuellement l’objet, si Jésus-Christ n’en avait éprouvé de plus sanglante ; il était Dieu et je ne suis qu’un homme. »

C’est dans ces dispositions d’esprit qu’il était arrivé peu après à l’Hôtel de Ville.

Bailly l’envoya chercher dans la pièce où l’avait introduit La Rivière, par une garde des hommes de Lafayette ; il entra avec une contenance pleine de sang-froid et de dignité.

Bailly en avait certes moins que lui : « J’avais, dit-il, la triste fonction de l’interroger et de lui faire des questions qui n’avaient pas d’objet bien déterminé, puisque aucune inculpation positive n’avait décidé son arrestation. Aussi, ce que j’avais à faire était de lui adresser quelques questions pour la forme et de me hâter de l’envoyer en prison pour le mettre, s’il était possible, en sûreté [^312] ».

— Avez-vous quelque chose à dire ? demanda Bailly.

— Je me justifierai lorsque je connaîtrai les accusations portées contre moi. J’ai obéi à des ordres supérieurs ; vous avez mes papiers et ma correspondance ; vous êtes aussi instruits que moi.

— Qu’avez-vous fait depuis le 12 juillet ?

Bertier donne scrupuleusement l’emploi de son temps jusqu’au 18, jour de son arrestation [^313].

— Où sont vos papiers ? reprend Bailly.

— Je n’ai sur moi que l’adresse que je dépose entre vos mains [^314]. Les papiers relatifs à mon administration sont dans mes bureaux ; je n’avais emporté avec moi que mon portefeuille qui est resté entre les mains de mon domestique, qui a dû le remettre à l’Intendant de Soissons ; au surplus, j’ignore ce que ce domestique est devenu. Mais je viens de passer trois ou quatre nuits sans dormir, ayant été gardé à Compiègne par douze hommes qui veillaient dans ma chambre [^315]. J’ai besoin de prendre quelque repos. »

Et Bailly de faire une remarque qui serait grotesque si les circonstances étaient moins tragiques : « Je crois qu’il désirait bien d’être délivré et du danger qui l’entourait et d’un spectacle qui lui était insupportable. Je désirais aussi que nous puissions lui éviter une mort précipitée, toujours injuste quand elle ne ressortît pas d’un jugement. »

Sur la demande d’un Électeur, on lut le procès-verbal de la remise de Bertier par la municipalité de Compiègne.

Mais bientôt des cris se faisaient entendre sur la place ; les clameurs habituelles retentissaient de toutes parts.

— Le faubourg Saint-Antoine ! le Palais-Royal arrivent !

L’épouvante, l’effroi, ont glacé tous les cœurs ; on se regarde d’un air stupéfait. Un silence terrible règne dans l’Assemblée. Bertier seul est tranquille [^316].

De nouveaux venus pénètrent dans la salle et repoussent la garde avec son prisonnier près du bureau.

Bailly se hasarde timidement à parler à la foule sans parvenir à la calmer. Lafayette accourt à son tour, « se jette à genoux et, prosterné devant le peuple, implore sa miséricorde, » dit mensongèrement le Moniteur [^317].

C’est au milieu de ce tumulte que Bailly, qui a fait son dernier effort, consulte l’Assemblée des Électeurs. Celle-ci prononce la sentence de mort en confirmant son arrêté du matin ; l’ordre est donné de conduire Bertier à l’Abbaye.

— La Garde répond du prisonnier à la Nation et à la Ville de Paris, conclut Bailly.

Bertier traversa la salle sans résistance et sans accident. En descendant l’escalier, il dit à La Rivière qui ne voulait pas l’abandonner : « Ce peuple est bien bizarre avec ses cris ! » Au bas des marches, il se rappelle qu’il n’a pas d’argent et qu’il va se rendre en prison ; il demande quelques louis à La Rivière et lui nomme la personne à qui il devra en réclamer le remboursement ; ce dernier lui donne en soupirant les huit louis qu’il avait sur lui [^318].

Une foule immense couvre la place. Sont-ce des centaines de citoyens qui demandent l’égorgement de l’Intendant et qui vont se ruer sur lui ?… « J’atteste, dit dans sa langue spéciale un témoin oculaire, Restif de la Bretonne, que les cris de mort n’étaient poussés avec affectation que par cinq ou six personnes ; qu’environ trente polissons en guenilles les répétaient avec le rire de l’atrapolissonnerie, mais non de la fureur [^319]. »

Ainsi, quelques hommes « bien mis » ont excité au meurtre et « quelques polissons » ont exécuté la sentence. Postés au bas des marches, ce sont bien ces derniers qui s’emparent de l’Intendant comme ils se sont emparés de Foullon, pendant que les Gardes essayent à peine de les écarter et se bornent à répéter : « Point de violence, messieurs, point de violence. »

Mais Bertier n’est pas un vieillard comme Foullon ; c’est un homme dans la force de l’âge, d’une vigueur musculaire remarquable. Il se défend et parvient pendant quelques secondes à en imposer à ses assaillants [^320]. Malgré sa résistance, il est entraîné vers la lanterne, et lorsqu’il voit qu’on veut lui passer la corde au cou, qu’un polisson d’une quinzaine d’années l’attend à cheval sur la barre du réverbère [^321], il saisit le fusil d’un des gardes qui le défendent si mal, pousse un cri : « Ah ! les traîtres ! » et se précipite sur ses bourreaux. Il les écarte, mais tombe bientôt percé de coups.

VII

Depuis l’entrée de l’Intendant à l’Hôtel de Ville jusqu’au moment où il expirait, il ne s’était pas écoulé un quart d’heure [^322] !

Malgré les assertions des feuilles à leur dévotion, pendant ce court espace de temps, le Commandant de la Garde Nationale et le Maire de Paris n’avaient pour ainsi dire rien fait pour sauver cet homme dont l’Électeur La Rivière, durant plus de dix-huit heures, avait défendu l’existence, pied à pied, au péril de sa propre vie [^323].

Les efforts « héroïques » de Bailly et de Lafayette se bornèrent, à la vérité, à quelques courtes questions posées par le Maire à l’Intendant ; l’ordre de mener celui-ci à l’Abbaye avait été aussitôt donné. Quelques mots, mais pas un acte pour arracher la victime au danger qu’on savait la menacer [^324].

Après l’exemple récent que la fin du malheureux Foullon venait de leur offrir, Bailly et Lafayette pouvaient-ils supposer que Bertier échapperait au même sort ? Les excuses évasives et embarrassées qu’ils ont présentées l’un et l’autre, par la suite, démontrent le contraire ; à ce point de vue leur conviction était faite !… Pour écarter toute idée de préméditation et de complicité, sinon de la part de tous les Électeurs de la Ville, du moins de la leur, on est forcé de reconnaître qu’en mettant tant de hâte à envoyer une nouvelle victime aux exécuteurs de la place de Grève, ils avaient obéi au sentiment de la peur ou à tout autre aussi peu noble. Ceux qui courent après la popularité, en évitant toujours ce qui peut « contrarier la populace », ne sont-ils pas obligés de commettre toutes les lâchetés, toutes les trahisons, comme le firent Bailly et Lafayette ?

C’était bien eux qu’atteignait l’apostrophe lancée par Bertier en mourant : « Ah ! les traîtres ! » C’était bien à eux aussi que devaient aller les remerciements des coupeurs de têtes qu’ils avaient mis à même d’accomplir, une fois de plus, leur besogne et de gagner leur salaire !

En effet, dans la salle des séances, les clameurs des assassins auxquels on venait de livrer leur proie parvenaient aux oreilles des Électeurs muets, honteux, et n’osant pas s’entre-regarder, lorsque la porte s’ouvrit et qu’un homme coiffé d’un casque s’avança le bras tendu, un lambeau de chair à la main, en s’écriant : « Voilà le cœur de Bertier [^325] ! »

On le pria de se retirer ; mais un autre homme qui portait la tête et voulait la montrer à Lafayette était déjà dans l’escalier. Bailly, en ayant été avisé, envoya dire « de ne pas entrer parce que l’Assemblée était occupée d’une délibération ». C’est ainsi qu’il parvint à éviter cette poignante confrontation entre la victime et ceux qui venaient de la livrer si lâchement.

Du reste, Bailly, Maire de Paris, avoue sans honte son manque d’héroïsme : « Il fallait prendre des prétextes pour se refuser à ces atrocités ; il y avait un danger réel — et qu’il était inutile de braver — à faire parler le langage de la justice et de l’humanité. Le peuple forcené ne pouvait pas l’entendre : quiconque ne pensait pas comme lui, était suspect de trahison. »

Lafayette, bien qu’il eût déclaré trois jours auparavant, avec l’emphase qui convenait à son caractère, qu’il aimerait mieux périr que de laisser condamner un homme sans jugement, ne montra pas plus d’héroïsme que le bourgeois Bailly, mais fit preuve de moins de sincérité [^326].

VIII

Les scènes d’horreur qui avaient suivi la capitulation de la Bastille, la promenade des cadavres, avaient eu lieu à la suite d’une journée où beaucoup de gens se figuraient avoir couru les plus grands dangers et certains historiens attribuèrent la barbarie de la populace aux pertes que celle-ci comptait dans ses rangs.

Mais, le 22 juillet, ce prétexte n’existait plus et l’épouvante s’empara de toute la population parisienne lorsqu’on vit la bande des coupeurs de têtes recommencer de sang-froid, avec plus de cynisme encore et avec la même sécurité, leurs sanglantes exhibitions.

Nous passerons rapidement sur ces honteux tableaux. Bornons-nous à dire que ce fut un soldat de Royal-Cravate qui coupa la tête de Foullon à 5 h. 1/4.

Un manœuvre-maçon âgé de vingt-sept ans, nommé Simon Mézières dit Versailles, né à Pontchartrain, déclara avoir pendu Foullon et avoir essayé de faire de même pour Bertier [^327]. Dénot qui, comme nous l’avons raconté, avait coupé la tête de Launey, se glorifiera d’avoir coupé aussi celles des deux victimes du 22 juillet, mais, dans son interrogatoire, il modifiera son récit et précisera son rôle en ce qui concerne l’Intendant de Paris, dans le sens où nous l’avons indiqué.

Pendant qu’un nommé Soudin [^328] va porter triomphalement la tête de Foullon au Palais-Royal, avec un petit groupe, précédé d’un tambour et de deux porteurs de torches, huit autres misérables s’emparent du corps et le traînent par les pieds dans la rue Saint-Honoré. Ils interpellent et arrêtent les passants et font la quête ; le bourgeois épouvanté paie et s’enfuit. Quelques-uns en tremblant se croient obligés de féliciter les assassins !

La quête vite fructueuse a déjà produit 5 à 6 louis, lorsqu’arrivé à la Barrière des Sergents, où l’on s’arrête pour boire, le caissier file avec l’argent et disparaît. Ceux qui restent se disputent ; trois d’entre eux se sauvent avec le cadavre et continuent leur lucrative tournée, tandis que les quatre autres en étant venus aux mains sont ramassés par la patrouille du sieur Lefort, bourgeois de Paris, lieutenant de la Milice du District Saint-Honoré. On les mène au poste du Guet des Enfants-Trouvés, et là on s’explique. Le délit incriminé ? Le meurtre de Foullon ? Non ; tapage nocturne [^329].

La tête de Bertier, portée au bout d’une pique par un soldat de Royal-Cravate accompagné de Dénot qui porte le cœur au bout d’un sabre, est promenée au Palais-Royal, puis déposée sur une table, pendant que soupent les deux misérables. La tête fut ensuite exposée au café Foy et enfin remise, vers une heure du matin, au Châtelet, par un marchand de gâteaux qui l’avait portée dans son panier [^330].

Le corps de Bertier avait eu les mêmes vicissitudes que celui de Foullon [^331].

IX

Le cynisme des Commissaires au Châtelet ne fut pas inférieur à la férocité des traîneurs de cadavres.

Il était dans les usages que les affaires de succession revinssent au Commissaire qui avait su être saisi le premier. La succession Bertier étant une bonne affaire, les Commissaires sont aux aguets au coin des rues en attendant que, eux aussi, ils se disputent les profits.

Il était 9 heures du soir environ, lorsque Bertier fut égorgé. Or, à 10 heures 1/2, Jean Odent, avocat au Parlement, Conseiller du Roi, Commissaire enquêteur, examinateur au Châtelet, grâce à son compère, le sieur Denis-François Picot, huissier audiencier du Roi en la Cour des Monnaies de Paris, avait déjà trouvé moyen de dresser le procès-verbal du décès qui lui permettait d’informer d’office et de faire apposer les scellés. Pour obtenir ce résultat, l’huissier Picot vient lui signaler que le cadavre de l’Intendant va passer devant sa porte. Il se rappelle qu’il est fondé de pouvoirs d’une créancière de Bertier, qu’il ne nomme pas [^332], et c’est sous ce prétexte qu’il le requiert de constater le décès, ce que le sieur Odent s’empresse de faire : « Nous avons aperçu, dit-il, en sortant devant notre hôtel dans la rue Saint-André-des-Arcs, un corps mort, sans tête et traîné sur le pavé de Paris, par six particuliers éclairés par trois autres qui tenaient chacun une torche allumée et suivis d’une foule considérable de peuple dont un grand nombre criait à toutes voix : C’est M. de Bertier, c’est l’Intendant de Paris, le voilà ! N’ayant pas cru prudent de faire arrêter le corps mort soit pour le réintégrer, soit pour le faire déposer dans un lieu de sûreté, ce à quoi nous n’aurions pas réussi, etc… [^333] »

Les traîneurs de cadavres, pendant ce temps, continuent leur promenade, et à onze heures et demie arrivent au Châtelet où ils déposent le corps.

Nous avons vu le Commissaire Odent dresser son procès-verbal, une heure et demie après la mort de Bertier. Le lendemain 23 juillet, à huit heures et demie du matin, Pierre Racle, secrétaire particulier de l’Intendant, va de son côté demander au commissaire Louis-Adrien Carré, de constater le décès des deux victimes, et, au nom des huit enfants de Bertier dont il a les pouvoirs [^334], il réclame le corps de leur père et celui de leur aïeul maternel afin de les faire inhumer.

Racle et Carré se transportent en conséquence au Châtelet, et celui-ci constate d’abord « que l’un des cadavres lui a paru être celui d’un homme extrêmement puissant et qui, avec sa tête, pouvait avoir cinq pieds six pouces, et l’autre, celui d’un homme de moyenne taille ». Il note que les cadavres sont mutilés : l’une des deux têtes ayant des cheveux courts, gris et blancs, est reconnue par Racle pour la tête de Foullon, l’autre, chauve en partie avec des cheveux bruns, est celle de Bertier ; le plus grand corps était celui de Foullon et le plus petit celui de l’Intendant.

Le guichetier Nicard fut chargé des têtes et des corps comme dépositaire de justice. Le valet de chambre de Bertier, Jean-Pierre Julien, et le portier de l’Intendance, Philibert Juillet, vinrent également reconnaître les cadavres.

Malgré les gardiens auxquels on avait confié les restes des victimes [^335], Soudin, le vainqueur de la Bastille, qui avait promené la tête de Foullon pendant la soirée du 22 juillet, vint chercher le lendemain les deux têtes. Après les avoir lavées dans un seau d’eau, il les porta sur le quai de la Ferraille et les donna au peuple pour les mettre au bout d’une pique. Les têtes furent de nouveau rapportées au Châtelet dans la soirée [^336].

CHAPITRE III

LES COMITÉS DE RECHERCHES

I. Le Comité de la Commune : ses membres, Garran de Coulon. — II. Son réquisitoire. — III. Le bouc émissaire : l’Intendant de Paris. — IV. La sentence du Châtelet : Necker ménagé, indignation de Marat. — Les accusés absous. — V. Le dossier de l’accusation.

Avant que le Comité des Recherches institué par l’Assemblée Nationale ait pu fonctionner, la Municipalité de Paris, qui, sous le nom de Commune, remplaçait la Commission permanente avait pris les devants et créé, de son côté, à la suite des journées d’Octobre, un Comité semblable qui se mit en fonction sans retard. Par l’esprit qui l’anime et les procédés qu’il emploie, ce sera bien là le modèle de ces comités révolutionnaires qui, quelques mois plus tard, couvriront la France de sang et feront dresser l’échafaud en permanence.

La Commune désigna ses membres, le 21 octobre 1789. D’abord au nombre de douze, ils furent réduits à six dès le lendemain, et on ne conserva que : Agier, Perron, Garran de Coulon, Lacretelle, Oudart et Brissot.

La plupart d’entre eux avaient fait partie du Comité permanent insurrectionnel. Préoccupés de l’idée de légitimer par une sanction juridique le soulèvement de juillet, ils estimèrent qu’il était, avant tout, indispensable de mettre en accusation les anciens représentants du pouvoir et de les faire déclarer coupables d’avoir conspiré contre la Nation. Garran de Coulon fut chargé de faire un rapport dans ce sens et il le déposa le 18 novembre au Comité des Recherches.

Jean-Philippe Garran était né à Saint-Maixent, le 19 avril 1749. D’une famille modeste, d’un mérite médiocre, après avoir végété quelque temps à Niort, il vint s’installer à Paris, en qualité d’avocat, et y végétait encore à l’époque de la Révolution ; habitant rue des Grands-Augustins, il fut nommé Électeur, et représenta le District de l’Abbaye Saint-Germain à la Commune de Paris.

Garran, qui se faisait appeler Garran de Coulon, était entré dans la Maçonnerie avant 1785. Il avait été initié dans une loge de Niort : l’Intimité [^337]. À son arrivée à Paris, Garran figure parmi les membres de deux loges : le Choix et les Amis réunis, loges qui eurent un rôle considérable pendant les premières années de la Révolution.

À l’Hôtel de Ville, pendant le mois de juillet, nous le trouvons parmi les plus assidus et les plus violents : il apparaît à chaque événement : on le voit lancer toujours le mot ou la phrase qui compromet, aux yeux de la foule ou de l’Assemblée, l’homme qui se trouve sur la sellette devant l’une ou l’autre.

Le 14 juillet, dans la salle de l’Hôtel de Ville, au moment où l’effervescence est à son comble, il éprouve le besoin d’apostropher Flesselles en l’accusant de trahison, et c’est quelques minutes après que le malheureux Prévôt des Marchands tombe assassiné.

Lorsque, le 20, les émissaires de Compiègne viennent à l’Hôtel de Ville annoncer qu’on a arrêté Bertier, il ne manque pas encore de se faire remarquer parmi ceux qui insistent pour le faire venir dans la Capitale et parlent de sa culpabilité possible.

Garran de Coulon a donc une part indubitable de responsabilité dans les assassinats du Prévôt des Marchands et de l’Intendant de Paris, et c’est lui qui est chargé de donner une consultation juridique, sur le point de savoir si, en juillet, les détenteurs de l’autorité étaient coupables [^338].

II

Il est clair que la thèse que va défendre cet homme, à la fois juge et partie, reposera tout entière sur ce dilemme : « S’ils ne sont pas coupables, nous, les insurgés, nous le sommes [^339]. » Et dès lors, on conçoit qu’il va être obligé d’établir une doctrine pour atteindre le but qu’il poursuit et qu’il explique, dès les premières lignes de son rapport.

« Je vais établir, dit-il :

« 1° Qu’il y a eu conspiration contre la liberté du peuple et celle de l’Assemblée Nationale et contre la Ville de Paris en particulier ;

« 2° Que cette conspiration était un véritable crime de lèse-Nation et de lèse-Majesté ;

« 3° Que les coupables sont : Barentin, Puységur, Broglie, Besenval et Bertier [^340] ;

« 4° Que rien ne peut disculper les coupables aux yeux de la justice. »

Pour établir ces différents points, Garran s’efforce de prouver que toutes les précautions prises contre le désordre « n’étaient, en réalité, que des préparatifs de guerre contre le peuple. Celui-ci a marqué une patience à toute épreuve… il n’y a eu que de légers mouvements… les troupes étaient inutiles… on leur a distribué de la poudre et des balles » … Et Garran en donne la quantité qu’il établit, pièces en main, et qu’il trouve formidable : « deux cent mille cartouches ! » Il n’a pas réfléchi, fait observer le chevalier de Pange, que pour trente mille hommes c’était peu [^341].

Les résolutions criminelles sont flagrantes, à ses yeux, parce qu’on a laissé des brigands incendier les barrières et piller Saint-Lazare. Les chefs militaires sont restés inactifs, « c’est donc qu’ils n’avaient été envoyés que contre les citoyens ! »

Faire une distinction entre les brigands et les citoyens, en une journée d’émeute, alors que les hommes du Palais-Royal appelaient tout le monde aux armes, eût été chose malaisée ; Garran aurait pu savoir gré à ceux qui avaient donné l’ordre d’éviter tout conflit sanglant, d’avoir, par crainte d’une regrettable méprise, poussé le respect de la consigne jusqu’à laisser libre cours au désordre. Mais Garran n’admet pas que les troupes aient été inactives. Il représente Lambesc faisant tirer sur « les bourgeois, les enfants, et les femmes, tandis qu’il assassine, à coups de sabre et de ses propres mains, un vieillard sans défense ! Ces lâches assassinats — ajoute-t-il — produisent à Paris le même effet que le meurtre de Virginie à Rome ! etc. » Et voilà pourquoi a éclaté l’insurrection du 14 juillet ! Il a repoussé la force par la force… Bref, c’est l’histoire du début de la Révolution racontée de la façon que nous connaissons et suivant la tactique arrêtée par les conspirateurs…

Nous ne suivrons pas Garran dans ce long réquisitoire, rempli de contradictions flagrantes, d’assertions notoirement mensongères, de griefs insignifiants ou ridicules, de propos démentis publiquement par ceux auxquels il les prête et qui servent, pourtant, à tirer des déductions spécieuses, que Garran trouve décisives. Sans expliquer pourquoi il n’incrimine ni Necker, ni même Breteuil, bien que l’un et l’autre aient eu, dans les mesures prises depuis le mois de mai jusqu’au 14 juillet, une part plus grande de responsabilité que les cinq personnages, ministres ou simples agents du pouvoir, que dénonce son rapport, Garran, après avoir détaillé la conduite de ces derniers, veut établir la loi qui doit les atteindre, « car ils sont coupables », affirme-t-il, et, comme il ne peut soutenir cette assertion qu’à l’aide d’arguments dont il sent le vide, il ajoute :

« S’il faut des preuves positives pour établir un point de droit si manifestement démontré par la raison seule, il est facile de les trouver dans nos lois et dans tous nos publicistes [^342]. »

C’est du crime de lèse-Majesté que les accusés sont coupables ! « Les lois romaines, compilées par Justinien, mettent expressément au rang des crimes de lèse-Majesté toutes les entreprises faites contre le peuple et sa sûreté… » et l’avocat de Niort, pour faire montre d’érudition, cite des textes latins [^343] et invoque même une ordonnance de François Ier datée de Villers-Cotterêts [^344]. Ces deux textes qui visent les rebelles, c’est, comme on le prévoit, contre les ministres qu’il les interprète, faisant observer encore une fois, avec raison, que, si ce n’est pas contre eux, c’est à lui et à ses semblables qu’il faudrait les appliquer !

III

Parmi ceux que Garran accuse, un homme est mort assassiné, c’est l’Intendant de Paris, et à sa mort, comme nous l’avons dit, l’accusateur n’a pas été étranger ; pourtant, c’est contre lui qu’il s’acharne avec le plus de violence.

À faire cette besogne, que risque-t-il ? Les assassins de Bertier et leurs complices lui sauront gré d’avoir essayé une sorte de justification de leur crime. La victime n’est plus à craindre, il la chargera impunément. Les accusés vivants peuvent, du fond de leur retraite ou de la prison où ils sont retenus, protester contre les calomnies, se défendre et parfois, d’un mot, confondre l’accusateur ; peut-être même, si la fortune change, pourront-ils s’en venger. Aussi, ceux-là, Garran ne les accuse qu’avec circonspection : il atténue, par certaines réserves, les paroles trop amères qu’il pourrait prononcer contre le maréchal de Broglie ou Puységur, l’ancien Ministre de la Guerre ; c’est de sa part de la prudence. Tout son courage se manifeste contre le mort ; à lire son rapport on pourrait croire que Bertier fut le seul auteur de la prétendue conspiration.

Il raconte que, le 10 juillet, le Ministre des finances (c’est Necker, mais il ne le nomme pas) a ordonné à l’Intendant, par deux lettres écrites coup sur coup, de faire couper vingt mille setiers de seigle nouveau. Bertier est donc coupable ! Mme de la Bourdonnaye, sa fille, lui a écrit que le bruit court qu’on meurt de faim à Paris : cela prouve donc encore que Bertier est coupable !

Lorsque l’Intendant fait parvenir des munitions aux différents chefs de corps, lorsqu’il approvisionne les régiments, lorsqu’il s’installe avec l’État-major au Champ-de-Mars, il ne fait qu’exécuter des ordres : pourtant Garran lui reproche tout cela. Il le déclare coupable, prétendant qu’il a joué le rôle d’Intendant d’armée en abandonnant ses fonctions ordinaires. Il ignore ou feint d’ignorer que toutes les troupes qui séjournent sur le territoire d’une Généralité sont à la charge de l’Intendant qui se trouve à sa tête. La vérité, c’est que Bertier, malgré les circonstances, ne s’est pas laissé intimider par qui que ce soit, qu’il a déployé une activité incroyable [^345] et montré une telle intelligence et une telle énergie dans l’accomplissement de ses fonctions, qu’il n’y a pas eu la moindre désorganisation dans les nouveaux services. Une pareille exception au désarroi et à l’hésitation générale est un crime aux yeux des opposants. Pas un incident sérieux ne s’est produit dans l’approvisionnement des troupes. Garran en tire argument pour dire que c’est au préjudice des populations, que le meilleur de l’alimentation était réservé aux régiments, que, de maints endroits des environs de Paris, on se plaignait de la qualité des grains, et il cite des lettres adressées au service de l’Intendance à ce sujet. Mais, ces faits indépendants de la volonté du chef et qui sont la conséquence des entraves apportées par les émeutiers ou de la négligence volontaire des sous-ordres, Garran omet de dire que, depuis la mort de Bertier et le départ des troupes, ils n’ont fait que s’accroître et se sont même produits journellement dans la capitale, ce qui n’avait jamais eu lieu auparavant. Peu de temps après l’énoncé des récriminations contenues dans son rapport, il pourra se convaincre que, pendant des mois, Bailly et ses successeurs subiront des attaques plus violentes encore et que la population de Paris, elle-même, se plaindra des farines avariées que lui délivrera le Comité des Subsistances ; il verra celui-ci accusé à son tour, suivant la fatalité attachée à ces sortes de fonctions, et déserté par tous ses membres, écœurés des imputations et des menaces qu’on leur lance.

Il est à remarquer que, contrairement à la manie, courante alors, d’accoler l’épithète d’accapareur au nom de tout homme tenant, de près ou de loin, aux services des approvisionnements, Garran n’accuse nullement Bertier de cette manœuvre ; il lui reproche uniquement d’avoir pris part à l’organisation de mesures qu’il considère comme destinées à un attentat contre la Nation. Sur la foi d’un on-dit, dont il n’indique pas l’origine, il ajoutera que l’Intendant, lorsqu’on apprit le soir du 14 la prise de la Bastille, « aurait contrarié, dans le cabinet du Roi, à Versailles, les efforts que faisaient les Députés pour éclairer le Roi sur l’état de la capitale et sur les dangers terribles des mesures qu’on avait prises contre elle en abusant de son nom. »

Nous avons dit qu’à l’heure de son entrevue avec le Roi, le 14, personne à Versailles ne pouvait connaître — pas plus que lui — la prise de la Bastille ; l’assertion de Garran sur ce point est donc erronée : mais quand même elle se trouverait exacte sur le reste, peut-on s’étonner que l’Intendant ait essayé de relever le courage de Louis XVI ; qu’il ait ouvertement et sans ambages combattu les opinions de ceux qui, depuis si longtemps, par leurs hypocrites conseils, le circonvenaient et l’entraînaient peu à peu au bord de l’abîme où devait sombrer la Royauté ? C’était un devoir qu’accomplissait l’Intendant, et les partisans intéressés du désordre et de l’anarchie pouvaient seuls l’en blâmer. C’est à un point de vue différent — on le conçoit — que Garran apprécie les choses : c’est, à ses yeux, un crime digne des pires châtiments, qu’a accompli là ce fidèle défenseur de la Monarchie, dont il travestit le rôle sous les couleurs suivantes :

« Ainsi M. Bertier ne se serait pas contenté d’exécuter les ordres atroces que les Ministres lui avaient donnés contre le peuple de la première Généralité du Royaume. Comme tous les mauvais conseillers, il en aurait encore sollicité de nouveaux, en cachant, autant qu’il était en lui, la vérité à un Prince de qui l’on ne pouvait obtenir rien d’injuste que de cette manière. »

Et c’est ce grief nouveau, qu’il vient de créer à l’aide d’une interprétation aussi hypocrite qu’arbitraire, qui inspire à Garran, dont les mains sont quelque peu rougies par le sang de l’Intendant, cette apostrophe plus monstrueuse encore que celle de Barnave :

« Et qu’on ne dise pas, ose-t-il écrire dans son réquisitoire, qu’il ne peut plus être accusé, depuis que la fureur du peuple a exercé sur lui une vengeance terrible. Les lois ne l’ont point puni, elles ne lui ont point enlevé un bien mille fois plus précieux que la vie, une mémoire honorable ! »

IV

Le procès de Besenval et de ses coaccusés, aussi bien que le procès du Prince de Lambesc, permirent de discuter les faits avancés par Garran de Coulon. Les débats, devant le tribunal du Châtelet, montrèrent l’inanité, la puérilité ou la mauvaise foi de ces accusations. La base même n’était pas solide, comme nous l’avons déjà dit. On ne pouvait, sans ridicule, reprocher aux agents du gouvernement d’avoir rempli leur devoir et surtout d’une façon aussi inoffensive. Avant le 14 juillet, comme le faisait remarquer le défenseur de Besenval, « l’attitude de ces fonctionnaires ne pouvait être taxée de crime. Aucune action ne pouvait être considérée comme délit, avant que la loi l’eût proscrite. Non est delictum, nisi descendat scriptura legis… » Le plaidoyer de Desèze, qui eut pour résultat un acquittement général, se terminait par une sortie énergique contre le Comité des Recherches « qui s’est élevé de lui-même, sans aveu, sans autorisation ; dont les opérations n’ont pour but que de faire gémir sous les lois, comme autrefois on gémissait sous les crimes », et aux applaudissements de l’auditoire, l’avocat réclamait l’ « anéantissement » du Comité.

On verra, quelques mois plus tard, des accusateurs publics, de l’école de Garran, trouver au Tribunal Révolutionnaire de soi-disant juges plus dociles à leurs caprices.

Le Châtelet n’avait pas retenu, parmi les noms des coaccusés de Besenval, celui de l’Intendant de Paris. Il s’ensuivit qu’il n’eut pas de défenseur ; mais la décharge d’accusation prononcée pour les autres l’absolvait implicitement. Son rôle ne fut pas spécialement discuté, mais les quelques témoins qui eurent à parler de lui affirmèrent « qu’il n’avait pas fait autre chose que ce que doit faire un Intendant ».

Un incident significatif surgit pourtant, à propos de lui, au cours et à la suite de la déposition d’Estienne de La Rivière, le 25 décembre 1789. Nous y avons fait allusion dans un des chapitres précédents en rapportant, d’après cet Électeur, l’inquiétude qu’avait manifestée Bertier, pendant son retour de Compiègne, au sujet d’un portefeuille qui contenait des lettres de Necker lui prescrivant de couper des récoltes en vert. Le procédé d’étouffement, dont on usa à l’égard de cette déposition, fut dénoncé par Marat dans un violent article de l’Ami du Peuple [^346]. Il publia en entier la déposition de La Rivière, qu’aucun compte rendu n’avait livrée à la publicité.

Outre la partie que nous en avons déjà citée [^347], cette déposition contenait les intéressants détails suivants :

« — Après la fin tragique du sieur Bertier, disait La Rivière, je déposai entre les mains de M. Bailly la clef qui m’avait été remise par l’Intendant de Paris [^348] ; mais M. Bailly et la Ville n’ayant pas voulu s’en charger me commirent, moi et quelques collègues, pour la remettre à l’Assemblée Nationale. M. le duc de Liancourt, qui présidait alors l’Assemblée, après avoir entendu le récit que je lui fis de tout ce qui avait précédé et suivi la mort du sieur Bertier et les détails du portefeuille, ne voulut absolument point s’en charger. Enfin, depuis ce moment (22 juillet), la clef est restée en ma possession, sans savoir à qui la remettre. J’offre de la déposer à l’instant entre les mains du greffier. — Ce qui fut refusé, et le déposant, qui la tenait à la main, l’a remise dans sa poche. » Marat ajoute que l’objet des deux lettres de Necker ayant excité une violente rumeur dans la salle, M. Boucher d’Argis, rapporteur, se leva et dit à M. de La Rivière « que sa déposition contre M. Necker excitait la plus grande fermentation dans l’Assemblée, qu’il était étonnant qu’il se fût permis de vouloir jeter des soupçons sur un Ministre adoré, aux pieds duquel toute la France qu’il avait sauvée était à genoux… etc… »

« À cette sortie contraire à la loi et révoltante dans la bouche d’un juge, continue l’Ami du Peuple, M. de La Rivière répondit avec énergie « qu’ayant été appelé pour dire la vérité, il la devait tout entière ; qu’il n’avait pas dû envisager si ce qu’il avait à dire inculpait le Ministre ou le dernier des citoyens, qu’il devait le récit et le récit fidèle de ce qu’il avait fait, vu et entendu… On doit observer ici que le sieur Boucher d’Argis, s’étant aperçu qu’un auditeur écrivait la déposition, se leva et dit que les journaux rendaient toujours un compte infidèle des dépositions ; qu’en conséquence, il n’entendait plus qu’à l’avenir on prît aucune note de déposition et défendit d’écrire, etc., etc. »

Dans les observations dont Marat faisait suivre cet exposé dans ce même numéro et celui du 16 janvier 1790, il notait « qu’il était surprenant : 1° que personne n’ait voulu prendre connaissance de ce que contenait le portefeuille ; 2° qu’on ne se soit pas saisi de l’Intendant de Soissons qui en était le détenteur ; 3° que tout le monde en ait refusé la clef. » Accusant à la fois le Duc de Liancourt, Bailly et Necker [^349], il concluait : « Si la déposition de M. de La Rivière est conforme à la vérité, comme tout homme de sens doit le croire, la déposition de Bertier ne peut être révoquée en doute : c’est celle d’un pénitent à l’article de la mort. Dès lors, le Ministre principal est un traître à la Patrie et son dernier renvoi du Ministère n’a été qu’une farce arrangée entre les ennemis de la liberté… »

Après avoir ajouté qu’en Angleterre le Ministre, le Maire et le Président de l’Assemblée Nationale auraient été, en pareil cas, l’objet « d’un procès dont un supplice infamant eût été la fin », il termine : « Mais nous sommes de bonnes gens nous autres Parisiens à prétentions : nous nous croyons bons patriotes, lorsque nous avons bien bavardé sur les affaires du jour…… Immolez-vous pour des êtres de cette espèce ! Pauvre peuple ! Tu frémis des dangers que court ton défenseur … Il ne t’abandonnera point … Soutenu par la pureté de son cœur quand le moment fatal sera venu, il volera au supplice avec la joie d’un martyr… »

Cette violente diatribe valut à Marat des poursuites et la suppression de son journal ; il sut plus tard s’en venger.

Que faut-il penser de cet incident ? Le souci de ne pas compromettre Necker prédominait dans un parti au point que certains de ses maladroits amis se croyaient obligés d’altérer la vérité. C’est ainsi qu’on insinuait que les prétendues lettres de Necker étaient fausses, que souvent on avait abusé de sa signature. Et tout cela pour le couvrir du grief d’avoir donné un ordre peut-être parfaitement explicable, et qu’en tout cas l’Intendant avait jugé préférable de ne pas faire exécuter. Il est intéressant de constater que la Société d’Agriculture dont l’Intendant était, comme nous l’avons vu, un des principaux protecteurs, préconisait dans certains cas l’emploi comme fourrage des récoltes en vert. Voir à ce sujet au mot verd, Dictionnaire d’Agriculture, X, année 1800, l’article de Rougier de la Bergerie qui était, justement en 1789, un membre de la Municipalité. En fait, quelles explications pouvait-on fournir ? L’Intendant s’était refusé à exécuter les ordres relatifs à cette opération, mais pourquoi lui avaient-ils été donnés par le Ministre ?

C’est là encore un point sur lequel on ne saurait être très affirmatif faute de document ; néanmoins, on peut noter que le fait de couper du seigle, vers le 10 juillet, n’a rien de surprenant, — car c’est de seigle dont il est textuellement parlé et non de blé, — contrairement à ce que tant d’auteurs ont dit. À cette époque de l’année, le seigle peut être arrivé à maturité ; on est en droit de supposer que dans certaines localités, faute de bras ou pour toute autre raison, quoiqu’il fût bon à couper, on n’avait pas commencé la récolte. Dans ce cas, l’ordre de Necker s’expliquait. Sollicité par des régiments d’utiliser ces vivres dont ils ont besoin, il en fait transmettre l’autorisation par l’Intendant.

Quoi qu’il en soit, l’incident ne devait pas avoir la gravité qu’on avait entendu lui prêter dans un but évident d’hostilité, car on n’en parlera bientôt plus [^350].

V

En dehors des commérages de toutes sortes qu’il avait recueillis, pour faire son rapport au Comité des Recherches, Garran de Coulon n’avait-il pas eu des documents plus précis et d’une valeur moins discutable ? Il avait eu à sa disposition, et y avait puisé copieusement : 5 liasses comprenant 178 pièces provenant, soit de la Bastille, soit de dépôts faits par quelques particuliers, soit enfin de l’Intendance. On avait, dans les bureaux de cette administration, procédé à la levée des scellés dès le 19 septembre [^351]. Cette opération s’était effectuée en présence des intéressés. La Commune était représentée par ses délégués : Jacquot, Lefebvre Saint-Maur, Canuel, Benoist et Parquez. La minute du procès-verbal qui fut dressé est particulièrement intéressante, car les ratures qu’elle porte semblent être le résultat de débats entre les représentants de la Commune dont quelques-uns, sans doute, étaient désireux que la justification de l’Intendant ne fût pas aussi complète qu’elle apparaissait :

« Mesdits sieurs Commissaires, dit le procès-verbal, ayant fait choix de quelques papiers relatifs aux mouvements de troupes qui, dans les derniers temps, se sont approchées de Paris et de quelques lettres relatives aux subsistances, ont coté et numéroté lesdites pièces pour les joindre à leur procès-verbal et n’ont rien trouvé, tant dans ces papiers que dans les autres papiers par eux examinés, de contraire aux intérêts de la Nation ni de la Commune ». Tout le passage que nous avons souligné est annulé sur le procès-verbal et remplacé par le suivant :

« Mesdits sieurs Commissaires, ayant fait un choix attentif et scrupuleux parmi beaucoup de pièces relatives au mouvement, au logement et à la subsistance des troupes, qui, dans les mois de mai, juin et juillet derniers, se sont approchées de Paris, ils en ont extrait les plus importantes, les ont cotées et numérotées 1 jusqu’à 24, et quoique dans lesdites pièces qui sont pour la plupart : ordres du Roi, lettres des Ministres et des employés dans cette partie, rien ne fasse connaître la destination ultérieure de ces troupes et que rien même ne donne lieu de croire que cette destination, quelle qu’elle fût, ait été connue de M. Bertier, ils ont cru devoir les emporter et les mettre sous les yeux de la Commune.

« Ils ont apporté la même attention dans l’examen d’une très grande quantité de papiers relatifs aux subsistances, aux marchés de la Généralité, aux achats et aux transports des grains, ils n’ont vu dans toutes ces pièces que le travail ordinaire et courant de cette branche intéressante de la grande administration confiée à M. Bertier ; quelques parties de la correspondance de cet Intendant ont particulièrement attiré les regards de mesdits Commissaires, et plusieurs lettres à lui adressées par le Ministre vertueux que la Nation voit avec tant de satisfaction à la tête de ses finances, leur ont paru dignes d’être présentées à l’Assemblée, ils les ont mises à part, ainsi que quelques copies et réponses de M. Bertier, et ils ont coté et numéroté lesdites pièces depuis 1 jusqu’à 10 (— pour être lesdites pièces sus-indiquées jointes à notre procès-verbal et le tout a été renfermé dans une feuille de papier en forme d’enveloppe de lettre —) [^352] et le tout a été remis à mesdits sieurs Commissaires, députés de la Commune qui le reconnaissent et s’en chargent (— pour les représenter, déclarant au surplus que tant dans lesdites pièces que dans les autres papiers par eux examinés, ils n’ont —) et n’ayant rien trouvé de plus qui eût rapport à l’objet de leur mission, (— rien de contraire aux intérêts de la Nation ni de la Commune, et ont signé, ils ont terminé ladite perquisition et ont signé —) [^353].

En vain Garran avait voulu trouver mieux que les Commissaires délégués ; il avait eu beau choisir dans la volumineuse correspondance mise à sa disposition, il ne trouva que quelques lettres de plaintes et de récriminations sans importance ; il passa sous silence tous les documents prouvant les obstacles et les difficultés sans nombre que le zèle des agents de l’Intendance et l’énergie et le dévouement de leur chef avaient surmontés. Il ne put parvenir à convaincre qui que ce soit qu’un complot contre la Nation avait été ourdi par cette administration qui avait fait tant de prodiges pour assurer le service des approvisionnements, alors que celui-ci était devenu, depuis sa disparition, encore plus défectueux que par le passé.

Pour ces raisons, une fois la sentence du Châtelet rendue, le rapport de Garran de Coulon fut considéré comme un document sans portée et sans valeur, et aucun des détracteurs de l’ancienne administration ne s’avisa avant Michelet d’y aller chercher des arguments.

Nous allons montrer, d’ailleurs, dans un dernier chapitre l’effort constant fait aux dépens de la vérité, par les historiens révolutionnaires, pour conserver intactes les légendes laissées par les hommes de 1789, acteurs du grand drame dont nous avons dans ce volume étudié seulement le premier acte.

CHAPITRE IV

LA CONSPIRATION DE L’HISTOIRE

I. L’histoire de 1789 écrite par les vainqueurs. — II. Les historiens révolutionnaires du XIXe siècle : Thiers, Michelet, Louis Blanc. — Les dictionnaires. — III. Les jugements de Michelet sur les victimes : protestations des familles ; la documentation de l’historien. — Les Pamphlets. — IV. Un libelliste : Poultier d’Elmotte. — V. Documents trompeurs : l’escroquerie au trésor caché.

L’histoire des premiers événements de la Révolution a été écrite à l’origine par les triomphateurs de 1789.

Ils nous ont laissé le tableau enthousiaste d’une marche héroïque à la conquête de la liberté.

Avec le recul du temps, les choses vues, de sang-froid, n’ont pas tardé à apparaître sous des teintes moins brillantes et il a fallu en rabattre.

De prime abord, certains esprits naïfs, indulgents ou trompés, avaient pu, tout en les déplorant, excuser les excès qui avaient marqué les premières étapes. On les avait amenés à la conviction que c’était là le résultat inévitable, comme l’affirmait Mirabeau, du réveil d’un peuple « délivré tout à coup de l’esclavage et de l’oppression », mais ils aperçurent bientôt ce que dissimulait cette pompeuse phraséologie.

Ce n’était pas le peuple qui avait tiré profit des événements. L’esclavage et l’oppression, si tant est qu’on pouvait ainsi désigner les conditions dans lesquelles il vivait avant 1789, étaient pires au lendemain du 14 juillet et redevinrent plus tard, après la Révolution, à peu de chose près ce qu’elles étaient dans leur ensemble sous l’ancien régime.

On découvrit aisément que le soulèvement de 1789 n’avait pas eu le caractère de spontanéité et de désintéressement qu’on s’était plu à lui attribuer, que c’étaient des bandes soudoyées qui, pour le compte d’ambitieux, avaient joué le principal rôle ; que l’argent, l’appel au meurtre, l’appât du gain et du pillage [^354], les plus basses délations, les plus cyniques mensonges, avaient été les agents mis en œuvre par des personnages appartenant aux classes aisées, pour pousser à la sauvagerie et à la férocité le peuple qui y avait peut-être beaucoup moins de propension que ceux qui l’inspiraient.

Peu à peu les yeux se dessillèrent.

Puis, les hommes de 1793 firent oublier ceux de 1789, comme les derniers crimes firent oublier les premières victimes, jusqu’à ce que, l’ère sanglante terminée, le calme fût enfin rétabli. Alors, on put voir les survivants dont quelques mois auparavant les moyens d’existence n’étaient assurés que par leurs déclamations contre la tyrannie, faire escorte au « sauveur » qui personnifiait le plus complètement l’autorité absolue.

À la clarté de toutes ces constatations, la légende de 1789 s’était singulièrement effritée. Une connaissance plus exacte du caractère de ceux qui y figuraient, avec un rôle prédominant, avait fini par démontrer qu’elle ne s’étayait que sur des équivoques et des fables : que c’était à ces hommes que revenait la responsabilité des malheurs dont on avait souffert : que tout ce qu’il y avait de grand, de généreux, d’utile dans l’aspiration de toute la Nation vers une réforme générale, avait été travesti, compromis, gâté, par le charlatanisme, la mauvaise foi, le manque de scrupule de prétendus réformateurs qui avaient exploité à leur profit la situation, prêché la haine, fait dévier toute l’œuvre rêvée et en avaient reculé l’éclosion jusqu’à une date qu’on ne saurait actuellement encore déterminer.

II

Dès les premières années du XIXe siècle, chacun savait à quoi s’en tenir sur les procédés et les principes dont avaient usé les révolutionnaires, ou dupes ou criminels ; si pour eux tous l’on ne ressentait pas le même mépris, une égale pitié s’étendait du moins sur toutes leurs victimes.

Vers la fin de la Restauration surgit soudain une nouvelle école historique qui s’adjugea la mission de glorifier l’époque révolutionnaire, non pas tant peut-être dans ses résultats que dans ses premières manifestations populaires. Le soin qu’on mit à attribuer au peuple un rôle prépondérant, cachait un but que les événements ultérieurs ont suffisamment démasqué : celui de l’entraîner à de nouvelles Journées. Cette tactique, nécessitée par des besoins politiques ramena aux procédés de 1789, et pour faire revivre la légende, on répéta tous les récits pompeux et les mensonges qui avaient servi à la créer.

Pendant que Manuel fait sa célébrité avec les bribes du talent oratoire de Mirabeau, Thiers veut aussi jouer son rôle, et dans son Histoire de la Révolution, panégyrique de Lafayette, pamphlet contre la Restauration, il attaque ce que Lafayette et Mirabeau avaient attaqué.

Sous Louis-Philippe, à la veille de 1848, apparut à son tour la première édition de l’Histoire de la Révolution de Michelet [^355].

Michelet est de ceux dont le nom, comme historien, a pendant longtemps brillé d’un vif éclat. Ses récits, marqués au coin d’un talent hors de pair, remplis d’une émotion parfois sincère, ont fasciné et empoigné plusieurs générations d’hommes qui n’ont connu de l’histoire que celle qui a surgi sous sa plume magique [^356]. Nature excessive et de toutes façons passionnée, politique ardent, il manquait à Michelet les qualités de caractère, de sang-froid et d’impartialité indispensables à l’historien. Aussi, comme tel, son prestige a-t-il fini par décliner singulièrement.

Doit-on refuser « à ce poète, à cet homme d’imagination » le mérite de la sincérité ? Peut-être ! mais à coup sûr on est forcé de lui dénier celui de n’avoir jamais altéré la vérité, et nous en apporterons le témoignage. Quoi qu’il en soit, en présentant au public une nouvelle édition de son Histoire de France, Michelet a écrit cette phrase surprenante d’orgueil et de prétentieuse assurance [^357] :

« Je ne veux pas anticiper ici. D’un mot ou deux seulement je puis dire. C’est ce livre, ce livre d’un poète et d’un homme d’imagination qui, par des pièces décisives, a dit à tous ce qui leur importait : aux protestants, etc. ; aux royalistes, etc. ; aux financiers, etc…

« Pour la Révolution, que dire ? La mienne est sortie tout entière des trois grands corps d’archives de ces temps qu’on a à Paris. Louis Blanc (malgré son mérite, son talent que j’honore) put-il la deviner ? Put-il la faire à Londres avec quelques brochures ? J’ai bien de la peine à la croire. Lisez au reste, et comparez. »

On a lu et comparé, et s’il faut choisir entre Louis Blanc et Michelet, suivant l’invitation de celui-ci, nous n’hésiterons pas à dire avec bien d’autres, qu’au point de vue historique et documentaire, Louis Blanc l’emporte.

Plus esclave de la vérité, si ce dernier interprète les faits à sa façon et avec la passion qui l’anime, au moins cite-t-il tous les documents, même ceux qui sont défavorables à l’opinion qu’il émet, ce dont s’abstient Michelet.

Dans le rôle de défenseur de la Révolution, les trois historiens Thiers, Louis Blanc et Michelet se sont gardés d’essayer de disculper les crimes du Tribunal révolutionnaire : avec les procédures sommaires contenant les interrogatoires dérisoires, les jugements odieux étaient encore là qui eussent rendu la tâche difficile. Par contre, si les deux premiers ont mis quelque réserve à adopter la légende intégrale de 1789, sur Launey, Flesselles, Foullon et Bertier, et s’ils ont admis avec Bailly qu’il y ait eu dans le meurtre des deux derniers « un plan combiné », Michelet, au contraire, s’est acharné, avec une passion et une partialité dont on peut à juste titre s’étonner, contre ces victimes exécutées sans avoir pu se défendre.

Ce fut cet historien qui devint le chef de cette sorte de « Conspiration historique » qu’on a signalée il y a plus de soixante ans [^358], et qui consiste à accréditer les erreurs les plus flagrantes quand elles servent à une doctrine politique. C’est là que s’inspirent pourtant certains écrivains. Dans la crainte de s’écarter de la tradition adoptée ou de jeter malencontreusement sur elle quelque discrédit, on les voit s’en tenir servilement aux versions énoncées par cette école. Michelet, dont le texte au surplus est clair, condensé et facile à citer, est fréquemment mis à contribution.

Derrière ces historiens renommés, les grands dictionnaires maltraitent la vérité avec encore plus de désinvolture, car, sous prétexte qu’on ne leur demande que des renseignements condensés, ils les fournissent sans indiquer leurs références. Plus que tout autre ouvrage un dictionnaire est susceptible de semer et de propager l’erreur : erreur de fait et erreur de jugement.

Qu’on ouvre le Grand Dictionnaire Larousse (1867) aux articles consacrés aux victimes de juillet 1789 : on y pourra lire, que Launey était un fourbe et un geôlier farouche et barbare, Flesselles un traître, et que dans sa poche on en a trouvé la preuve… Le Dictionnaire de Lalanne se fait aussi l’écho de cette dernière calomnie, dénuée, comme nous l’avons dit, de tout fondement.

Bien mieux, pour Larousse, les deux Intendants Bertier n’en font qu’un, et c’est l’ancien Président du Parlement Maupeou qui fut massacré à l’Hôtel de Ville !… La victime avait perdu ses fonctions et celles de Conseiller d’État sous le ministère Necker… Bertier avait l’esprit rétrograde et s’opposait à toutes les améliorations ; il s’était livré à d’affreuses spéculations avec son beau-frère Foullon ; enfin la municipalité de Paris avait envoyé 400 cavaliers à sa poursuite… !

Il est juste de reconnaître que, de nos jours, il s’est trouvé des écrivains plus scrupuleux de la vérité et plus modérés dans leurs attaques. On peut compter parmi ceux-là M. Fernand Bournon, dont la mort récente et prématurée a été si unanimement et si justement regrettée. C’est cet historien qui a rédigé dans la Grande Encyclopédie les articles consacrés à Foullon et à Bertier. Il commet, après beaucoup d’autres, l’erreur de désigner Foullon sous le titre de Contrôleur général alors qu’il ne le fut jamais ; mais s’il croit à la fausse inhumation de Foullon, il met du moins en doute les propos qu’on lui a prêtés aussi bien que sa participation au ministère Broglie. Quant à Bertier, il estime « qu’il supportait le poids des haines que son beau-père avait amassées » ; mais il note qu’il « n’avait pas pris la fuite et qu’il se trouvait à Compiègne pour y régler les approvisionnements destinés à Paris ».

Nous arrêterons-nous au Dictionnaire de la Révolution et de l’Empire du Dr Robinet, sous la plume duquel on chercherait en vain à rencontrer des jugements dépourvus de partialité ? Qu’il nous suffise de dire qu’à l’article Foullon on trouve rassemblés en plus de quatre-vingts lignes toutes les calomnies et les accusations les plus violentes et que nous avons déjà relatées, alors qu’à la page suivante, la notice de trente lignes consacrée à Fouquier-Tinville ne contient que des renseignements biographiques, sans la moindre allusion aux crimes de ce personnage ni aucune appréciation de son caractère [^359].

II

Le jugement de Michelet sur les victimes de 1789, un des plus iniques de ceux qu’il a portés, a été reproduit souvent ; sans se préoccuper des sources auxquelles il s’était inspiré, maints auteurs l’ont adopté comme définitif, et en ont profité, comme il arrive souvent, pour renchérir sur ce qu’avait dit cet historien. En vain les familles élèvent-elles d’énergiques protestations contre cette façon d’écrire l’histoire, en vain demande-t-on aux historiens de fournir les preuves de ce qu’ils avancent ! Ils avouent ne pas en avoir et s’excusent en disant qu’au surplus ils ne sont que l’écho de ce qui a été dit avant eux, ce qui dégage leur responsabilité. L’opinion publique juge sévèrement de pareils procédés ; mais si elle tient désormais pour suspectes les assertions de ceux qui traitent l’histoire avec cette liberté, elle n’en reste pas moins ignorante de ce qui concerne les personnages en cause. Insuffisamment instruite, elle se laisse peu à peu influencer de nouveau par la légende, et si l’on n’y prend garde, celle-ci s’incruste de plus en plus.

Où donc Michelet avait-il éclairé sa religion pour juger si sévèrement des hommes immolés sans avoir pu élever la voix ? Était-ce dans les « trois grands corps d’archives » auxquels il se vantait pompeusement plus tard d’avoir si largement puisé ? Tout ce qu’il a dit sur Launey et Flesselles, il est facile de le vérifier, n’a été emprunté qu’au Mémoire de Linguet sur la Bastille, aux pamphlets de Cagliostro et aux libelles anonymes qui furent répandus au lendemain du 14 juillet. Sur le compte de Bertier et de Foullon, où s’était-il renseigné ? Ainsi qu’il ressort de son affirmation, ce serait dans le Moniteur et dans le Rapport de Garran de Coulon. Nous savons ce qu’il faut penser de l’un et de l’autre, mais nous savons aussi que Michelet n’a pas dit toute la vérité, car il a encore pour ces deux personnages copieusement utilisé les pamphlets auxquels il a emprunté jusqu’à des expressions textuelles.

Le premier volume de son Histoire de la Révolution, lorsqu’il parut en 1847, contenait, notamment contre Bertier et Foullon, de basses injures et d’indignes calomnies qui soulevèrent les plus vives protestations de leurs descendants. L’un de ces derniers se livra contre Michelet à une attaque violente sur la nature de laquelle nous n’avons aucune donnée, mais le Général vicomte de Bertier et le vicomte Foullon de Doué, Maréchal de camp en retraite, s’interposèrent et déclarèrent l’un et l’autre vouloir seuls revendiquer l’honneur de défendre la mémoire, le premier de son père, le second de son grand-père [^360].

Dans une lettre qui fut publiée par l’Union monarchique le 24 mars 1847, le vicomte Foullon adressa de Nancy à l’historien une protestation indignée. Le général de Bertier avait déjà fait de même [^361]. Michelet répondit seulement, à la date du 26 juin, à ce dernier dans les termes suivants :

MONSIEUR,

« J’ai eu l’honneur de vous répondre à l’adresse qui m’avait été donnée à Metz. Je regrette que ma réponse ne vous soit point parvenue,

« Ne doutez point, Monsieur, qu’il ne m’ait été très pénible d’avoir affligé, à mon insu, un ancien militaire aussi vénérable.

« Mon récit est un résumé des faits consignés au Moniteur de juillet 89, et plus tard, dans le rapport fait par Garran de Coulon. Il a été adopté par un grand nombre d’écrivains, sans que l’on ait réclamé. Le royaliste Beaulieu confirme ce récit en un point essentiel.

« Les renseignements que vous avez bien voulu me transmettre modifieront mon récit en plusieurs points personnels qui peuvent être inexacts. Nul doute que plusieurs faits n’aient pu être exagérés, défigurés par l’esprit de parti… »

Et après s’être plaint d’avoir été attaqué avec violence par un autre membre de la famille, sans préciser de quelle nature était l’attaque, il ajoutait : « Je n’en persévère pas moins dans l’intention d’examiner la question et de retrancher ce qui me serait démontré inexact. Je n’ai nul intérêt en ceci que la vérité [^362]. »

Michelet a tenu ses engagements dans une certaine mesure, et les parties supprimées dans l’édition de 1869 en font foi. Mais s’il a retranché dans la seconde édition une partie des calomnies grossières, il ne le dit nulle part ; bien plus, une note signale les vives réclamations de la famille, mais elle constitue dans sa forme ambiguë une attaque nouvelle ; elle permet, en effet, à ceux des lecteurs qui n’ont pu se procurer ou n’ont pas songé à comparer les textes des deux éditions, de croire que Michelet non seulement n’a rien supprimé, mais encore qu’il avait bravement répondu à ses contradicteurs que s’ils avaient des documents publics ou particuliers à opposer aux siens, c’était à eux qu’incombait la tâche de les publier [^363].

Comment qualifier une semblable attitude, même en admettant que Michelet n’eût songé qu’à sauvegarder son amour-propre d’auteur ?

Nous l’avons dit, Michelet, en prétendant n’avoir résumé que le Moniteur et le Rapport de Garran, dissimulait une partie de la vérité. Alors qu’il exigeait que ce fût dans les archives qu’on allât chercher des documents pour réfuter ses accusations, il était loin de s’être adressé à de pareilles sources.

La principale à laquelle il avait puisé, sans oser l’avouer, était une sorte de pamphlet contre l’Intendant, publié par Poultier d’Elmotte.

Quel était ce personnage dont nous avons déjà parlé ?

IV

Vers la fin de l’année 1776, « un jeune homme qui au sortir du collège avait fait toutes les folies et s’était livré à tous les excès auxquels l’oisiveté et le libertinage portent la jeunesse, revenait de Londres où il s’était réfugié avec une jeune femme qu’il avait enlevée de la maison paternelle. Il avait 23 ans et appartenait à une honorable famille dont il faisait le désespoir [^364]. Il se nommait François-Martin Poultier d’Elmotte [^365]. »

Soit qu’on ignorât son passé, soit que les influences pressantes d’un de ses oncles, M. Maréchal, secrétaire estimable qui avait la confiance de l’Intendant, aient fait croire à son repentir, il fut admis dans les bureaux de l’Intendance à titre de commis-secrétaire. Au bout de quelques mois, une grave indélicatesse le fit congédier [^366].

Redevenu oisif, il se mit à la solde d’un inspecteur de police nommé Goupil, dont la femme devint sa maîtresse. Bientôt on découvrit que le trio se livrait, avec un touchant accord, à un métier qui n’était rien moins qu’honorable. Le commis, aidé de la femme, se chargeait d’écrire et de répandre des libelles anonymes contre tous les personnages en vue, et en particulier contre la Cour ; le mari, dont les attributions comprenaient l’inspection des libraires, allait avec éclat en opérer la saisie, là où il savait à coup sûr les trouver ; son but était d’obtenir de ses chefs et des personnages visés, en récompense de son zèle et de sa prétendue adresse, des faveurs et des gratifications. Ce manège mena Goupil au donjon de Vincennes, sa femme et son commis à la Bastille. Tandis que la maîtresse y restait sept mois, l’amant obtenait sa libération au bout de six semaines en faisant des aveux, en chargeant généreusement ses complices et en acceptant de renseigner désormais le Lieutenant de police Le Noir. Celui-ci le plaça, pour faire ce métier, chez le libraire Saugrain ; mais le policier-commis-libraire un beau jour se fit acteur, et peu après, dans le but d’apaiser le courroux de sa famille et d’en tirer quelques subsides, il entra chez les Bénédictins ; il était professeur au Collège de Compiègne, précisément à l’époque où l’on s’emparait de Bertier.

Il semble que ce soit là le dernier avatar de cet aventurier avant la Révolution ; mais, après juillet 1789, on le retrouve subissant d’autres métamorphoses [^367].

Les renseignements que nous venons de donner sur son compte sont tirés des livraisons qui parurent, quelques mois après la prise de la Bastille, sous le titre de la Bastille dévoilée [^368]. C’est comme ancien pensionnaire de la célèbre prison que Poultier d’Elmotte eut l’honneur d’être cité dans cet ouvrage ; mais bien qu’il le fût de façon peu élogieuse, il tenta néanmoins de faire tourner à son profit la publicité qui lui était faite.

Dans la livraison suivante (6e), l’éditeur annonçait avoir reçu un article signé de Poultier lui-même et, en consentant à le publier intégralement, il observait : « cet article explique sans le contredire tout ce que nous avons dit de ce prisonnier dans la précédente livraison (5e, p. 68) [^369]. »

L’article auquel il est fait allusion nous dévoile l’âme de celui qui l’a écrit : Poultier ne contredit pas ce qui a été révélé à sa charge, il semble même en tirer vanité et se contente de fournir des commentaires qui ont pour but évident de se signaler à l’attention bienveillante du parti de l’émeute.

Bertier vient d’être assassiné ; ses meurtriers ou leurs instigateurs répandent partout des pamphlets [^370] essayant de flétrir la victime pour excuser l’assassinat. L’ancien commis de l’Intendance apportera sa contribution : il a connu Bertier, il prétend en avoir été victime ; ce sont là d’indiscutables titres à leurs sympathies ; mais de peur qu’ils ne s’en contentent pas, ainsi qu’on a traîné son cadavre, il traînera la mémoire de l’Intendant dans la boue.

Il accumule contre Bertier de mesquines accusations et de basses calomnies ; puis, comme un valet qui se fait gloire de dénigrer son maître, il explique qu’il a travaillé depuis longtemps contre son ancien patron. Celui-ci l’a renvoyé (en 1777) en lui retenant trois mois de gages. « Je trouvai bientôt, — dit-il, — l’occasion de m’égayer aux dépens de mon honorable débiteur. Je fus chargé, immédiatement en sortant de chez lui, du Journal politique des Deux Ponts et je sacrifiai de temps à autre quelques paragraphes à son intention. » Pour se poser aux yeux de ses collègues en précurseur du genre de journalisme alors en honneur : « J’écrivais, avoue-t-il, l’article de France avec une liberté anticipée, avec un ton d’indépendance qui faisait faire d’horribles grimaces au ministère [^371]. »

L’imagination du pamphlétaire se donne libre cours dans ce document et, sous l’apparence de renseignements exacts et précis, l’ancien commis accumule les mensonges les plus avérés, les calomnies les plus odieuses [^372].

Voilà une des sources de renseignements de Michelet !! Mais il en est d’autres aussi suspectes. La liste des pamphlets publiés sur les victimes de juillet est longue ; pas un seul qui ne soit anonyme ou qui soit signé d’un nom connu [^373]. À ceux qui ont étudié l’histoire de la Révolution, il ne paraîtra pas surprenant que nous nous dispensions de les énumérer. Avec les feuilles publiques, ces écrits n’ont aucune portée historique si les accusations qu’ils contiennent ne sont pas confirmées par d’autres relations d’origine moins douteuse ou par des documents probants.

Nous pensons cependant qu’il est utile de signaler encore des pièces d’une tout autre nature qui, rencontrées isolément, pourraient surprendre la bonne foi d’un chercheur non averti et l’amener à en tirer des déductions erronées.

V

Il y a, dans les prisons, des traditions qui se perpétuent et des procédés qui se transmettent de détenus à détenus, depuis plusieurs siècles, avec une singulière persistance. « L’escroquerie au trésor caché » est de ce nombre.

On sait que dans ces vingt dernières années, quantité de gens ont reçu des lettres provenant généralement d’Espagne et émanant d’individus qui leur révélaient que, par suite de certaines circonstances, ils avaient été amenés à cacher dans la région, voire même dans la propriété du destinataire, un trésor qu’ils leur offraient de partager. Le signataire ne réclamait d’abord aucune somme, afin d’inspirer confiance à son correspondant, quitte, après l’amorçage, à risquer une demande d’argent sous un prétexte quelconque.

Ce genre d’escroquerie, qui date peut-être d’une époque très reculée, était très en honneur au moment de la Révolution.

M. Léon Mirot ayant mis la main sur une longue lettre, datée du 29 septembre 1791, et émanant d’un détenu du Grand Châtelet nommé Levillaint, la publia dans la Correspondance historique [^374].

Ce Levillaint, en s’adressant à un destinataire inconnu, se donnait comme ancien serviteur de Bertier : déclarait que son maître lui avait, après le 14 juillet, donné l’ordre « de monter le meilleur cheval de l’écurie », de partir pour Cadix où il irait le rejoindre « dans quinze jours », et lui avait confié une « cassette en noyer », dont il énumérait le contenu. Après avoir raconté le début de son voyage, interrompu par la nouvelle de la mort de l’Intendant, il s’étendait avec force détails sur ce qu’il avait été obligé d’enfouir le trésor dont il était porteur, pour ne pas se compromettre ! En faisant cette opération, « il avait cassé son couteau de chasse, » etc. Enfin, attaqué par « quatre cavaliers de maréchaussée, il avait eu, en se défendant, le malheur d’en tuer un » et avait été ramené prisonnier à Paris. Il révélait ensuite que le trésor était caché sur la route d’Auxerre, dans un bois du pays même de son correspondant, et offrait à celui-ci d’en partager le montant s’il voulait entrer en rapport avec lui.

Après avoir publié in extenso cette lettre, M. Léon Mirot concluait qu’elle était intéressante, car elle « faisait connaître les mesures de précaution prises par l’Intendant de Paris ».

Mais l’année suivante, dans la même Revue (n° du 25 février 1898), le même auteur publiait deux autres lettres presque identiques dans les détails :— la première signée « Clerrot, prisonnier à l’abbaye Saint-Germain, » était datée du 28 févr. 1791 ; le signataire prétendait que Bertier l’avait envoyé au Havre, et que c’était près de Rouen qu’était caché le trésor. La seconde, du 10 juin 1791, provenait d’un autre prisonnier de l’Abbaye, un nommé Louis d’Entremeuse ; celui-ci se donnait pour homme d’affaires de l’Intendant et racontait avoir été envoyé par ce dernier à Dunkerque ; le trésor était enfoui près de Landrecies. M. Mirot, en présence de ces deux nouvelles lettres [^375], reconnaissait le mal fondé de ses déductions.

MM. Villetard et Chérot, dans la Revue Études, du 5 août 1901, ont publié une quatrième lettre identique, dans sa teneur et dans ses termes, aux précédentes et signée d’un nommé Zaccharias, détenu à Bicêtre, se donnant cette fois comme ancien serviteur de Foullon. Mais on peut se convaincre, en lisant les conjectures auxquelles se livrent les deux écrivains, qu’ils n’avaient pas connu les lettres précédemment découvertes par M. Mirot au moment où ils publiaient leur étude.

Est-il besoin d’ajouter qu’aucun des quatre signataires des susdites pièces n’avait été au service, ni de Bertier, ni de Foullon ? D’ailleurs, les personnalités de Zaccharias et de d’Entremeuse ont seules pu être à peu près identifiées : Zaccharias, de religion juive, était marchand forain ; d’Entremeuse était le parent d’un administrateur du Directoire du département des Ardennes, qui fit quelques tentatives pour le retirer de la mauvaise situation dans laquelle il s’était fourvoyé.

Il est à présumer que d’autres tentatives d’escroquerie au « trésor caché » eurent lieu au cours de la Révolution et à propos de divers personnages : la connaissance des lettres que nous venons de signaler indiquera le cas que l’on doit faire de celles qui par occasion pourraient encore se rencontrer.

CONCLUSIONS

Quels enseignements peut-on retirer de l’étude que nous venons de faire de cette période de l’histoire de la Révolution ?

Sous les ordres des conjurés, à partir de juillet 1789, la France va orienter ses destinées vers un idéal nouveau ; on voudra convaincre la Nation entière qu’elle a conquis le triangle sacré de la religion humanitaire : la liberté, l’égalité et la fraternité maçonniques.

Nous avons démontré qu’après une période d’hésitation et de décadence, la franc-maçonnerie s’était reformée en 1772 en société perturbatrice de l’ordre social existant ; qu’elle avait essayé sans succès, en 1775, une première attaque contre les pouvoirs publics ; qu’après avoir drainé les encyclopédistes et les financiers protestants genevois, elle s’était imprégnée des doctrines des Illuminés de Bavière ; qu’alors, sous une poussée d’influences cosmopolites, elle avait affronté le grand combat. Par ses manœuvres habiles, elle avait circonvenu ou paralysé les mandataires de l’autorité royale dont le devoir était de lui faire obstacle et réduit celle-ci à collaborer à sa propre défaite [^376].

Nous avons dévoilé les moyens d’action de la secte, accusant, par une tactique perfide, ses ennemis de tous les crimes qu’on aurait pu lui reprocher à elle-même. Nous l’avons montrée employant le mensonge, la délation, la calomnie et la violence, inciter sournoisement la foule furieuse aux meurtres anonymes. Nous avons vu la secte triomphante glorifier les bourreaux et insulter les victimes.

Mais pour arriver à cette macabre puissance, il lui avait fallu donner à la Rue les fonctions de tribunal suprême. C’est là que les conjurés trouveront à leur tour le châtiment.

Qu’arrivera-t-il, en effet, lorsque ceux-ci, maîtres des pouvoirs, réclameront, à leur profit, le retour au calme social qui leur est indispensable pour jouir de leur victoire ?

Au lendemain des journées de Juillet 1789, ils avaient cru voir lever l’aurore d’une ère nouvelle, l’apothéose lumineuse du Grand Œuvre. L’ancienne France est en effet anéantie : le Roi n’est plus rien ; une partie de l’armée est enrégimentée dans la secte, l’autre est réduite à l’impuissance ; l’Administration est supprimée ; le Parlement oublié agonise ; ce qui reste de la Justice est sans moyens ou domestiqué.

Que va-t-il sortir de ces ruines ?

Est-ce à un enfantement douloureux qu’on vient d’assister ? Est-ce aux affres cruelles d’un peuple agonisant ? Quels enseignements donneront les nouveaux gouvernants ? Quels fruits porteront les doctrines nouvelles ?

Le crime a fait école ; les élèves surpasseront les maîtres. Pour se livrer à tous les excès ils n’auront qu’à puiser dans les exemples que ceux-ci leur auront donnés. À leur tour ils chasseront leurs prédécesseurs, en attendant qu’une nouvelle poussée les précipite aussi dans l’abîme. Il y a cependant une différence entre les habiles exécutions provoquées par les uns et les cyniques hécatombes légalisées par les autres. Combien les hommes de 1789 auront-ils laissé égorger d’innocents, avant que les Terroristes envoient à la mort innocents et coupables !

Les Necker, les Lafayette, les Bailly, les Mirabeau… débordés, impuissants, discrédités, persécutés, feront place aux Brissot, aux Danton, aux Marat, aux Robespierre… Les moyens n’auront pas varié : la délation, la spoliation, la mort.

La Loi des Suspects ne sera que la formule juridique des proscriptions du Palais-Royal. La chasse à l’homme sera sans trêve comme sans merci : chaque jour, par un mot, sur un soupçon on pourra envoyer à la mort celui qui gêne ou celui qu’on craint.

Ainsi que le Comité des recherches, le Tribunal Révolutionnaire viendra apporter sa sanction légale à l’assassinat.

La Commune du 10 août n’aura qu’à suivre l’exemple du Comité insurrectionnel de l’Hôtel de Ville pour égorger les Victimes de Septembre qu’elle aura, elle aussi, mises à l’Abbaye sous la main de la Nation.

À la Bastille démolie, on aura substitué quarante prisons béantes dans Paris ; de celles-ci, hommes, femmes, vieillards, enfants même parfois, sortiront par énormes fournées pour se rendre sur le lieu du supplice : la Place de la Révolution.

En montant les marches de l’échafaud sous la sanglante lumière du soleil couchant, le Maçon pourra voir à son tour se dresser le cercueil d’Hiram supportant les deux colonnes du Temple, couronne égalitaire : la Guillotine.

FIN

Notes de bas de page

  1.  

    On peut compter parmi celles-là le Statut corporatif que réclame et réédifie chaque jour la classe ouvrière et qui, sous l'ancien régime, quoi qu'on ait pu dire, assurait la protection des travailleurs et leur indépendance, et formait ainsi une des bases de l'édifice social.

  2.  

    Aulard : *Histoire politique de la Révolution française*, p. 3

  3.  

    Arbois de Jubainville, *Administration des Intendants*, préface.

  4.  

    L'Ordonnance qui avait supprimé, en 1771, le Parlement de Paris, est trop peu connue. La pensée en est indiquée dans le préambule. Citons, entre autres, les déclarations caractéristiques suivantes qui y sont contenues : « La vénalité des offices éloigne souvent de la magistrature ceux qui en sont les plus dignes par leurs talents et leurs mérites. Nous devons à nos sujets une justice prompte, pure et gratuite. Le plus léger mélange d'intérêt ne peut qu'offenser la délicatesse des magistrats chargés de maintenir les droits inviolables de l'honneur et de la propriété... L'étendue excessive du ressort du Parlement de Paris est infiniment nuisible aux justiciables, etc., etc. »

  5.  

    La presse commença à prendre une attitude d'une violence sans précédent aussitôt après la révolution parlementaire du Chancelier Maupeou, et cela sous l'influence des magistrats détrônés. Ceux-ci s'abaissèrent au rôle de pamphlétaires anonymes. En parcourant les six volumes intitulés *Maupeouana* et qui contiennent 38 brochures publiées en 1775 contre le Chancelier, on peut se faire une idée de l'exemple qu'ont donné les membres du Parlement comme pamphlétaires. Ceux qui les imitèrent avaient des excuses. « Les gens de lettres — lit-on dans les mémoires de Mallet du Pan — n'étaient plus une classe : c'était une multitude désordonnée et affamée, dont les premiers rangs seuls possédaient considération et aisance, tandis que tout le reste se débattait contre la misère... Paris est plein de jeunes gens qui prennent quelque facilité pour du talent : des clercs, commis, avocats, militaires qui se font auteurs, meurent de faim, mendient même, et font des brochures. » « La nécessité de vivre et la difficulté de le faire honorablement, avec un talent médiocre ou même absolument nul, portaient cette énorme masse d'écrivailleurs à des extrémités avilissantes, » dit Hatin. « On peut compter cette population de demi-lettrés faméliques, dit le même auteur, au nombre des causes qui ont indirectement contribué à la démoralisation des caractères. »

  6.  

    *Mémoires de Brissot*.

  7.  

    « Le temps est arrivé, disait Bergasse, où la France a besoin d'une révolution. Mais vouloir opérer ouvertement, c'est vouloir échouer ; il faut, pour réussir, s'envelopper de mystère ; il faut réunir les hommes sous prétexte d'expériences physiques, mais dans la vérité pour renverser le despotisme. » (*Mémoires de Brissot*.)

  8.  

    Voir Gustave Bord, *Histoire de la Franc-Maçonnerie en France de ses origines à 1815*, I, 152.

  9.  

    Aulard : *Histoire politique de la Révolution française*, p. 3

  10.  

    « C'est à partir de 1772, époque à laquelle le duc d'Orléans accepta la grande maîtrise de l'Ordre, que la Franc-Maçonnerie de France, depuis longtemps en proie à d'anarchiques rivalités, se resserra sous une direction centrale. Dès ce moment, la Maçonnerie s'ouvrit jour par jour à la plupart des hommes que nous retrouverons dans la mêlée révolutionnaire. » (L. Blanc : *Histoire de la Révolution*, p. 83 et 84.)

  11.  

    En 1789 le même personnage faillit encore subir le même traitement. La Commune de Paris fit don d'une couronne civique et d'un sabre, en 1790, à un jeune Anglais, C.-J.-W. Nesham, qui avait exposé ses jours à Vernon en faveur de M. Planter. (V. *Moniteur* du 1er mars 1790, p. 486.) Une gravure de Prieur représente la remise solennelle de cette récompense au sauveteur.

  12.  

    Ordonnance du Roi, 1775. « De par le Roi, il est défendu sous peine de la vie, à toutes personnes, de quelque qualité qu’elles soient, de former aucun attroupement ; d'entrer de force dans la maison ou boutique d'aucun boulanger ni dans aucun dépôt de grains, graines, farines et pain. On ne pourra acheter aucune des denrées susdites que dans les rues ou les places. Il est défendu, de même, sous peine de la vie, d'exiger que le pain ou la farine soient donnés dans aucun marché au-dessous du prix courant. « Toutes les troupes ont reçu du Roi l'ordre formel de faire observer les défenses ci-dessus avec la plus grande rigueur et de faire feu en cas de violence. Les contrevenants seront arrêtés et jugés prévôtalement, » (*Archives de la Guerre. Administration militaire*, vol. 3.894, p. 291.) Sémichon : *Réformes sous Louis XVI*, 1876.

  13.  

    On ne manqua pas de se moquer après coup des précautions prises par le Maréchal de Biron lorsque tout fut dissipé. Consulter à ce sujet *Relation de l'émeute arrivée à Paris en 1775*, opuscule imprimé à la suite de prétendus *Mémoires de l'abbé Terray* publiés à Londres en 1776. Voir aussi plus loin le passage où nous faisons encore allusion à cet incident.

  14.  

    Trente et un prisonniers furent enfermés à la Bastille : certains furent mis en liberté au bout de quelques jours ; trois y restèrent de 9 à 11 mois. Le plus grand nombre subit une détention de six semaines environ. Parmi les détenus figurent : Saffray de Boslabbé, avocat du Roi à Pontoise ; Dubois, maire de Beaumont ; Langlois, président du Conseil supérieur de Rouen : huit curés ou chapelains, etc... (*Revue de la Révolution*, 1881, I, G. Bord, *Les Prisonniers enfermés à la Bastille sous Louis XVI*.)

  15.  

    *Mémoires secrets*, 15 août 1775,

  16.  

    C'est à partir de 1772, époque à laquelle le duc d'Orléans accepta la grande maîtrise de l'Ordre, que la Franc-Maçonnerie de France, depuis longtemps en proie à d'anarchiques rivalités, se resserra sous une direction centrale. Dès ce moment, la Maçonnerie s'ouvrit jour par jour à la plupart des hommes que nous retrouverons dans la mêlée révolutionnaire. » (L. Blanc : *Histoire de la Révolution*, p. 83 et 84.)

  17.  

    « Soit, écrit-il, pour me transporter dans la province où se brassera mon élection, soit pour égayer mes électeurs, » (Lettre du 16 novembre 1788 de Mirabeau à Lauzun, citée par M. Charles Nauroy dans *Révolutionnaires*, 1891, p. 213.) Dans une autre lettre du même au même, datée du 23 décembre 1788, Mirabeau écrivait : « Ah ! Monsieur le Duc, soyons aux États-Généraux à tout prix, nous les mènerons et nous ferons une grande chose ! » Il ajoutait : « Il faut se coalitionner (sic) ». De fait il était avec Lauzun des 36 qui s'assemblaient chez du Port pour diriger la marche des événements. Voir aussi *Mémoires de Lafayette* et *Correspondance de Mirabeau*.

  18.  

    Voir dans les *Mémoires de Louis Auguste Le Pelletier*, Paris, Hachette, 1896 : *Pièces justificatives*, page 181. L'Assemblée de la Noblesse ayant nommé comme député le chevalier Le Pelletier, le comte Le Caron de Mazencourt supplia que pour la forme et par déférence, on voulût bien acclamer le Prince. « Je suis chargé, déclara-t-il, de la procuration de M. le Duc d'Orléans et de son refus en cas de nomination : ainsi vous pouvez le nommer sans que cela tire à conséquence. » Confiante dans cette parole, l'Assemblée se prêta à cette prétendue manifestation de déférence, mais sans même mentionner le duc d'Orléans dans son procès-verbal, où le nom du Chevalier Le Pelletier fut seul désigné comme député. Néanmoins, le duc d'Orléans déclara se considérer comme nommé réellement. Malgré la protestation de tout l'Ordre de la Noblesse du Valois, l'élection du Prince fut validée. Voir aussi Octave Burnet : *Préparation des États-Généraux*.

  19.  

    Il n'est pas cité dans l'Introduction du *Moniteur* au § 7 (p. 978), intitulé : *Notice de quelques-uns des écrits politiques les plus influents qui ont précédé l'ouverture des États-Généraux*.

  20.  

    In-8° de 233 p., plus 2 p. de tables.

  21.  

    Barbier, *Dictionnaire des Anonymes*. En 1788, Bosquillon, que nous retrouverons plus tard au cours de notre étude, était officier du Grand-Orient, député de la Révérende Loge Sainte-Sophie, formée avec les anciens membres de la Révérende Loge Réunion des Américains. En 1789 et 1790, Bosquillon remplira les mêmes fonctions, et en 1791 et 1792 il sera 2e expert à la Chambre des Grades du Grand-Orient. La Loge Sainte-Sophie avait été constituée par la Grande Loge le 19 novembre 1772 et renouvelée par le Grand-Orient le 21 mars 1775. De 1773 à 1785, son Vénérable fut Gouillard, docteur agrégé de la Faculté des droits et Université de Paris, officier adjoint au Grand-Orient. Son député fut Courteil de Maupas, avocat au Parlement. En 1788 et 1789, le Vénérable fut Vitry le jeune, avocat au Parlement. Parmi ses membres, en 1775, figuraient : Darcet, Brossier, Dupuis, de La Croix.

  22.  

    Les 25, 26 et 27 août 1788, des troubles qui marquèrent le véritable début de la Révolution éclatèrent à Paris. Durant ces trois jours, on compta environ 300 victimes, tant du côté de la troupe que du côté de l'émeute. Ces troubles avaient eu comme début un charivari organisé par la Basoche, sous le prétexte de fêter le renvoi de Brienne, le rappel de Necker et la résistance du Parlement de Paris. Après un premier succès place Dauphine, le 29 août, le Chevalier Dubois, à la tête du Guet, attaqué le lendemain par la foule, se défendit courageusement avec sa petite troupe. Mais il dut se replier après des pertes sérieuses, devant le nombre des assaillants. La victoire serait restée à l'émeute si deux compagnies de Gardes-françaises, à la grande déception des émeutiers qui avaient pourtant salué leur apparition aux cris de « Vive les Gardes-françaises », n'avaient déblayé la place en quelques minutes par une charge vigoureuse. Le 27, comme le dit Bosquillon, des troubles non moins graves étaient en effet réprimés de même façon, place de Grève, rue des Mathurins et rue Meslaye. Le Parlement et le Châtelet, complices, se gardèrent de faire aucune enquête sur ces incidents. On sait que, par la suite, le Guet de Paris et les Gardes-françaises passèrent du côté de l'insurrection.

  23.  

    En 1788, personne n'avait encore parlé du prétendu « complot de la Cour contre la Nation ». On voit que par anticipation Bosquillon le suppose et fournit aux insurgés futurs des arguments et des prétextes qui sont ceux-là même qu'ils emploieront quelques mois plus tard.

  24.  

    Notice sur la vie de Sieyès, juin 1794, p. 18. Cette notice était l'œuvre de Sieyès lui-même, d’après une note de l'éditeur des *Mémoires de Lafayette*, IV, p. 1.

  25.  

    La société de du Port se composait de 36 membres. D'après une lettre de Mirabeau à Biron (Lauzun), la deuxième réunion chez du Port avait eu lieu le 10 novembre 1788. *Mémoires de Mirabeau*, publiés par Lucas de Montigny.

  26.  

    *Mémoires de Brissot*, II, p. 420. Louis Blanc dit que Brissot était de la Loge des Neuf Sœurs ; pourtant celui-ci, dans ses *Mémoires* (I, p. 217), déclare seulement que le comte Schmetteau l'avait fait recevoir d'une loge allemande. Avant d'accepter, il avait demandé à son protecteur si la Franc-Maçonnerie avait entre autres buts celui de délivrer l'humanité des tyrans. La réponse du comte Schmetteau fut que ses serments l’empêchaient de trahir le secret de la Société, mais que Brissot ne serait pas trompé dans l'objet de ses vœux. Brissot prétend avoir été déçu. « Pourtant, ajoute-t-il, mon ami Bonneville et Thomas Payne, qui se piquent de posséder tous les secrets de l'Ordre, m'ont depuis assuré que je l'avais fort mal jugé. » Nous retrouverons Bonneville dans les Électeurs de Paris. On lui attribue la première idée de la Garde nationale. Quant à Brissot, il ne fit pas partie des Neuf Sœurs ; il fut le fondateur, avec Clavière, Bergasse, Saint-John Crèvecoeur, etc., du club Gallo-américain, qui devint le Club des Amis des Noirs et se fondit en 1788-89 avec les Amis Réunis pour former le Club dit de la Propagande.

  27.  

    Epremesnil, membre des Neuf Sœurs, Vénérable de la Loge Saint-Joseph à l'O. de Paris, fut convoqué aux Convents de Paris de 1785 et 1787.

  28.  

    Alexandre Lameth : *Histoire de l'Assemblée constituante*, publiée en 1828, vol. I, p. 35 en note.

  29.  

    Alexandre Lameth : *Histoire de l'Assemblée constituante*, publiée en 1828, vol. I, p. 35 en note.

  30.  

    « On agita, chez Adrien du Port, la question de savoir si les nobles du parti populaire chercheraient de préférence à représenter les Communes. C'était l'avis de Lafayette. Il fut combattu par Mirabeau. Pourtant le premier fut député de la Noblesse et le second adopta la candidature populaire. » (*Mémoires de Lafayette*, II, p. 240.)

  31.  

    *Mémoires de Lafayette*, III, p. 227, et V, p. 98, où il rapporte une conversation qu'il a eue avec le Premier Consul.

  32.  

    *Mémoires de Lafayette*, III, p. 227, et V, p. 98, où il rapporte une conversation qu'il a eue avec le Premier Consul.

  33.  

    *Mémoires de Lafayette*, I, p. 370. Cette appréciation de Lafayette confirme l'opinion de Bertrand de Molleville qui, dans son *Histoire de la Révolution française* (IV, p. 181, Paris, an IX), prête à Duport les propos suivants qui auraient été prononcés à la fin de juin 1789 à la Loge des Amis Réunis : « Ce n'est que par les moyens de terreur qu'on parvient à se mettre à la tête d'une révolution et à la gouverner. Il faut donc, quelque répugnance que nous y avons tous, se résigner au sacrifice de quelques personnes marquantes, etc., etc. » L'alliance de Barnave, du Port et Lameth était désignée par Mirabeau sous le nom de « Triumgueusat ». Les partisans de ces trois personnages définissaient ainsi le rôle de chacun d'eux : « Ce que pense du Port, Barnave le dit et Lameth le fait. » Voir *Étude sur Barnave*, par Albert Loustaunau (discours prononcé à la conférence des avocats, 1876).

  34.  

    *Mémoires de Lafayette*, I, p. 370. Cette appréciation de Lafayette confirme l'opinion de Bertrand de Molleville qui, dans son *Histoire de la Révolution française* (IV, p. 181, Paris, an IX), prête à Duport les propos suivants qui auraient été prononcés à la fin de juin 1789 à la Loge des Amis Réunis : « Ce n'est que par les moyens de terreur qu'on parvient à se mettre à la tête d'une révolution et à la gouverner. Il faut donc, quelque répugnance que nous y avons tous, se résigner au sacrifice de quelques personnes marquantes, etc., etc. » L'alliance de Barnave, du Port et Lameth était désignée par Mirabeau sous le nom de « Triumgueusat ». Les partisans de ces trois personnages définissaient ainsi le rôle de chacun d'eux : « Ce que pense du Port, Barnave le dit et Lameth le fait. » Voir *Étude sur Barnave*, par Albert Loustaunau (discours prononcé à la conférence des avocats, 1876).

  35.  

    Journal de Bailly, I, p. 146. Édition 1804.

  36.  

    *Mémoires de Lafayette*, II, p.371, III, p. 53, IV, p. 173, C'est cette bande qui dévasta l'hôtel de Castries, le 5 novembre 1790, à la suite du duel de MM. Charles de Lameth et de Castries. Le chef de la bande, Gilles, passa plus tard au service de Bertrand de Molleville pour le parti royaliste. D'après Lafayette, dix hommes dévoués aux Lameth venaient prendre chaque jour leurs ordres, que chacun d'eux transmettait ensuite à dix autres. Voir sur Rotondo le chapitre que lui a consacré M. Henri Furgeot dans une intéressante étude parue récemment : *Le Marquis de Saint-Huruge, Généralissime des Sans-Culottes*.

  37.  

    Le Club des Arts. (V. *Journal de Bailly*.) Le Club Social fondé par l'abbé Fauchet et Bonneville, (Voir dans *Le Personnel municipal de Paris pendant la Révolution* par Robiquet, p. 92, la biographie de Bonneville.) Charles Nodier, dans ses *Souvenirs de la Révolution*. parle aussi de Bonneville qu'il avait beaucoup connu et de son ami le Dr Seyffer. En citant ce dernier, Nodier ajoute : « Je lui ai entendu dire qu'il n'était venu en France que pour y conférer à vingt-huit adeptes le 28e grade de l'ancien écossisme d'où il prétendait fièrement qu'avait surgi la Révolution. »

  38.  

    Le 22 juin. *Souvenirs de Mirabeau*, Dumont, p. 100,

  39.  

    Louis-Jacques-Hippolyte Coroller du Moustoir, conseiller et procureur du Roi. Voir les propos tenus par lui le 17 juillet 1789 devant Malouet, Lebrun, Dufraisse Duchey et Tailhardat, dans *l'Enquête sur les journées des 5 et 6 octobre*. Déposition des 120e, 126e et 225e témoins. Jean-Francois-César de Guilhermy, député (149e témoin), dépose que, dès le mois d'août, il avait entendu répéter ces conversations de Coroller par Malouet, Dufraisse et Tailhardat. Coroller ne protesta jamais contre les dires de ses collègues, ni dans la presse ni même à l'instruction. Il ne pouvait ignorer ces dépositions puisqu'il fut le 223e témoin, alors que Dufraisse et Tailhardat étaient les 120e et 126e témoins. Pour toute explication, Chabroud, dans son rapport, prétendit qu'il s'agissait d'une simple plaisanterie de Coroller, une mystification qui n'aurait jamais dû sortir du cercle de l'intimité des convives, Condorcet (*Mémoires*, II, p. 71) aurait dit en parlant du Club Breton : « Dès l'instant que cette institution a été propagée dans le reste du royaume, la Révolution a été faite, parce que tout le royaume a été conquis par elle. »

  40.  

    Né en 1754, mort à Versailles, 28 août 1826.

  41.  

    Aulard : *Le Club des Jacobins*, I, v.

  42.  

    Voir son rôle dans les événements, mis au point par Necker. *Mémoires*, II, 39. Édition 1821.

  43.  

    Parmi ses membres figuraient : Le Goazre de Kervélégan, Vénérable de la Parfaite Union, O. de Quimper, et membre de cinq autres Loges de Bretagne ; Huard, Vén. de la Triple Essence de Saint-Malo ; Lucas de Bourgerel, de la Parfaite Union, O. de Rennes ; Palasne de Champeaux, Vén. de la Vertu Triomphante, O. de Saint-Brieuc. Juault de la Bouverie et Perret de Trégadoret, de la Loge de Ploërmel, etc. Aux députés de Bretagne vinrent bientôt se joindre ceux d'Anjou, du Dauphiné, de la Franche-Comté, puis des députés de toutes les provinces : Le comte de la Galissonnière, ancien Vén. du Contrat Social, et ancien garde des archives du Grand Orient ; La Réveillère Lepeaux, Volney ; Virieu, des loges martinistes de Lyon ; Barnave, Millanois et Turkheim, membres influents de la Stricte Observance ; Barère, de l’Encyclopédique de Toulouse ; Le duc d'Aiguillon, Pétion, Robespierre, Bailly, Grégoire, les frères Lameth, Bouche ; Le marquis de La Coste, des Amis Réunis ; Goupil de Preselne ; Stanislas de Clermont-Tonnerre, des Amis Réunis et député de plusieurs loges de Franche-Comté ; Adrien du Port de la Prélaville ; Martineau, Vén. de l'Aménité, O. de Paris et député de nombreuses loges de Bretagne et du Roussillon ; Demeunier, Cabanis et Condorcet, des Neuf Sœurs ; La Fayette de Saint-Amable, O. de Riom, et de la Candeur, O. de Paris ; Guillotin, ancien Vén. de la Concorde, O. de Paris, membre des Neuf Sœurs, député d'un grand nombre de loges d'Aunis, de Saintonge et d'Angoumois, membre du Grand Orient ; Sémonville et Valence, qu'on retrouvera parmi les membres actifs sous l'Empire ; Vauvilliers, des Cœurs Simples de l'Étoile Polaire, O. de Paris. Baudouin, assidu du Grand Orient et membre du Choix, O. de Paris ; Garran de Coulon, de l'Intimité de Niort ; Tassin, un des membres les plus ardents du Grand Orient et des Amis réunis, représentant de nombreuses loges ; Busche, membre du Grand Orient et député de plusieurs loges d'Auvergne ; Moreau de Saint-Méry, de Saint-Jean de Jérusalem, de Saint-Domingue, etc. (Les personnages cités dans cette énumération étaient tous Francs-Maçons, bien que je n'aie pu trouver à quelles loges appartenaient quelques-uns d'entre eux.)

  44.  

    Rappelons le mot de Rabaut-Saint-Étienne : « Pour rendre le peuple heureux, il faut le renouveler, changer ses idées, changer ses lois, changer ses mœurs, changer les hommes, changer les choses, tout détruire, oui, tout détruire puisque tout est à recréer. » Et cette autre déclaration de Barère qui est bien le programme maçonnique par excellence : « Il faut effacer tous les souvenirs d'histoire, tous les préjugés résultant de la communauté des intérêts et des origines : tout doit être nouveau en France et nous ne voulons dater que d'aujourd'hui. »

  45.  

    Autant vaudrait prendre onze cents notables, observe encore Taine, dans une province de terre ferme pour leur confier la réparation d’une vieille frégate ; ils la démoliront en conscience, et celle qu'ils construiront à sa place sombrera avant de sortir du port. »

  46.  

    Il n'y eut que 11.706 votants. Le district de Saint-Étienne-du-Mont fut celui qui en réunit le plus : 472. Celui de Saint-Victor n'en réunit que 24. (Sigismond Lacroix : *Actes de la Commune*.)

  47.  

    Dans les réunions qui précédèrent la prise de la Bastille, ce chiffre s'éleva à 451 par suite de l'adhésion de 18 Électeurs de la Noblesse et de 26 du Clergé. Rappelons ici que le Tiers-État, qu'on considère trop souvent à tort comme représentant le peuple, n'était qu'un Ordre restreint comme les deux autres, ayant comme eux ses privilèges et dont on ne pouvait faire partie qu'à certaines conditions : il représentait la classe bourgeoise.

  48.  

    Journal de Bailly, I, p. 146. Édition 1804.

  49.  

    Voir plus haut la note le concernant.

  50.  

    Thiroux de Crosne était de la Loge des Amis réunis ; Veytard, de l'Heureuse Réunion, Orient de Lille.

  51.  

    Thiroux de Crosne était de la Loge des Amis réunis ; Veytard, de l'Heureuse Réunion, Orient de Lille.

  52.  

    Le marquis de la Salle, membre des Neuf Sœurs, de la Noble et Parfaite Union, O. de Paris, ancien député du Contrat Social et de la Parfaite Égalité, O. de Paris, membre assidu et influent du Grand Orient ; L'abbé Fauchet, dont il n'y a pas lieu d'indiquer les tendances très connues ; Tassin, dont le rôle maçonnique fut important ; Deleutre, négociant, rue Coq-Héron, ancien Vénérable du Contrat social, un des fondateurs de la mère-loge du rite écossais philosophique, dont il a rempli les fonctions de secrétaire. Poursuivi en 1793, il s'expatriera et ira mourir à Hambourg ; Quatremère, notaire, rue du Bouloi, membre du Choix, O. de Paris, rite d'Hérodom de Kilwinning ; Dumangin, qui jouera un rôle secondaire ; Giroust, notaire, rue de Richelieu, dont je n'ai pu retrouver l'affiliation (en 1811, sa fille fera partie de la loge d'adoption des Dames écossaises du Mont-Thabor, O. de Paris) ; Duclos du Fresnoy, notaire, rue de Richelieu ; Bancal des Issarts, ancien notaire, rue du Four-Saint-Honoré ; Hion, agent des troupes du Roi, 238, rue Saint-Honoré ; Delavigne, avocat au Parlement, député suppléant du Tiers de Paris, rue des Plâtres. Je n'ai pas trouvé les affiliations des deux derniers personnages, ce qui ne prouve pas qu'ils n'aient pas été francs-maçons ; Thuriot de la Rosière, qui eut un rôle important, et qui, s'il n'était pas franc-maçon, ce que j'ignore, était initié au complot ; Jannin, premier commis à la Régie des Économats, rue Montmartre, Vénérable de la Constante Vérité, O. de Paris ; Osselin, membre de Saint-François du Parfait Contentement (de la Grande Loge) ; Garran de Coulon et Moreau de Saint-Méry, dont nous avons déjà indiqué l'affiliation ; Enfin, plus tard, Bailly, l'homme de toutes les faiblesses, qu’on fera marcher au gré des électeurs.

  53.  

    Ferdinand, Duc de Brunswick-Lunebourg (1721-3 juillet 1792) et son neveu Frédéric-Auguste de Brunswick-Wolfenbüttel-Oels (1740-1805). Dans la Stricte Observance, dont il était grand maître général, le premier s'appelait Ferdinandus a Victoria et le second Fredericus a Leone aureo. Contrairement à la légende accréditée, c'est un troisième Brunswick, un frère de Frédéric, qui fut l'auteur du fameux manifeste et de la retraite de Valmy ; il s'appelait Charles-Guillaume-Ferdinand (1735-1806). Ce n'est pas lui qui remplaça son oncle, mais le prince Charles de Hesse-Cassel, né en 1744 (Carolus a Leone resurgente), qu'il ne faut pas confondre avec Charles-Constantin de Hesse-Rheinfels-Rottembourg, général républicain, journaliste et jacobin (1752-1821).

  54.  

    Charles Stanhope, 3e Comte de ce nom, était né à Londres le 3 août 1753. Élevé à Eton, il rejoignit sa famille à Genève, en 1763, où il suivit les cours de G. J. Le Sage, qui développa son goût pour les sciences exactes. Il inventa des instruments de mathématiques. Cavalier consommé, il s’enrôla dans la milice de la république de Genève. À l'âge de 18 ans, il composa en français un travail sur le pendule. Rentré en Angleterre, il s'occupa de politique avec ardeur. Il affectait une simplicité exagérée. Appelé à la Cour en septembre 1774, il se présenta sans poudre avec ses cheveux au naturel. Ardent ami du second William Pitt, il épousa sa sœur le 19 décembre 1774. Pendant les troubles provoqués par le franc-maçon Gordon contre les catholiques, en juin 1780, il harangua le peuple du balcon d'un café. Il entra à la Chambre des Lords le 7 mars 1786. Membre de la « Revolution Society », il s'opposa à la guerre contre la France et proposa, le 4 avril 1794, de reconnaître la République. Il mourut à Chevening le 15 décembre 1816. Charles Stanhope, franc-maçon de marque, était affilié aux Loges anglaises et suisses. Il avait lié partie avec la banque protestante suisse, qui joua un rôle si important dans les premiers événements de la Révolution.

  55.  

    *Moniteur*. Voir à ce sujet ce que dit Burke (*Réflexions sur la Révolution de France et sur les procédés de certaines sociétés à Londres, relatifs à cet événement*. Londres. S. d.). La Société de la Révolution de Londres avait été fondée en mémoire de la Révolution anglaise de 1688.

  56.  

    *Moniteur*. Voir à ce sujet ce que dit Burke (*Réflexions sur la Révolution de France et sur les procédés de certaines sociétés à Londres, relatifs à cet événement*. Londres. S. d.). La Société de la Révolution de Londres avait été fondée en mémoire de la Révolution anglaise de 1688.

  57.  

    Louis Blanc qui, parmi les historiens révolutionnaires, est le seul à avoir deviné ou tout au moins le seul à avoir avoué l'influence maçonnique dans les événements de la Révolution, a dit à propos des princes et des souverains qui y avaient été reçus : « L'existence des hauts grades leur étant soigneusement dérobée, ils savaient seulement de la Franc-Maçonnerie ce qu'on en pouvait montrer sans péril, et ils n'avaient point à s'en inquiéter, retenus qu'ils étaient dans les grades inférieurs, où le fond des doctrines ne perçait que confusément à travers l'allégorie et où beaucoup ne voyaient qu'une occasion de divertissement, que des banquets joyeux, que des principes laissés et repris au seuil des loges, que des formules sans application à la vie ordinaire et, en un mot, une comédie de l'égalité. Mais, en ces matières, la comédie touche au drame ; et il arriva par une juste et remarquable dispensation de la Providence, que les plus orgueilleux contempteurs du peuple furent amenés à couvrir de leur nom, à servir aveuglément de leur influence, les entreprises latentes dirigées contre eux-mêmes. » (L. Blanc : *Histoire de la Révolution française*, II, p. 82 et 83.)

  58.  

    C'est dans cette maison que Réveillon installa plus tard sa fabrique de papiers peints.

  59.  

    C'est dans cette loge qu'après la Terreur la plupart des ateliers reprirent leurs travaux.

  60.  

    Le très intéressant volume publié en 1907 par M. Émile Dard sur Choderlos de Laclos a définitivement précisé le rôle rempli par ce personnage dans les événements de 1789.

  61.  

    La Touche, Sillery et Laclos étaient, d'après Louis Blanc, de la loge la Candeur.

  62.  

    « C'est là que, la nuit du 13 au 14, se firent les jugements de Flesselles et de de Launey, dit Michelet. Les violences partaient du Palais-Royal où dominaient les bourgeois, les avocats, les artisans et les gens de lettres... La responsabilité, même entre ceux-ci, n'était entière à personne. Un Camille Desmoulins levait le lièvre, ouvrait la chasse ; un Danton le poussait à la mort... en paroles, bien entendu. Mais il ne manquait pas de muets pour exécuter, d'hommes pâles et furieux pour porter la chose à la Grève, où elle était poussée par des Dantons inférieurs. »

  63.  

    Bailly, II, p. 25.

  64.  

    Titre d'une gravure satirique de l'époque.

  65.  

    « Pesons-les, ces nobles, mais ne les comptons pas : il ne s'agit que de ceux qui nous ont si bien secondés. Quoique en petit nombre, leur représentation n'en a pas été moins décisive : aussi les regarde-t-on ici comme les principaux régénérateurs de la Nation française. » Dusaulx, *L'Œuvre des Sept Jours*. Édition 1821, p. 198. Alexandre Lameth (*Histoire de la Constituante*, p. 35) déclare que « l'Histoire a consacré une importante leçon. C'est qu'aucune révolution favorable au pays ne peut s'effectuer si de grands corps, ou des hommes d'une grande existence sociale, n'influent d'une manière prépondérante sur les événements. »

  66.  

    Le baron de Staël-Holstein, ambassadeur de Suède en France, avait épousé Mme Necker en 1786. Il travailla activement à la préparation de la Révolution française. C'était l'intermédiaire entre les opposants au pouvoir royal et le premier Ministre. Dans son salon, où se réunissait l'état-major des conspirateurs de 1789, on était mis journellement par lui au courant de ce qui s'était passé au Conseil du Roi, ce qui permettait de discuter et d'arrêter plus utilement la ligne de conduite à tenir, et de donner à Necker le mot d'ordre nécessaire. Ce fut grâce à l'influence de son gendre que le Ministre, pour ménager sa popularité, s’abstint de paraître à la séance royale du 23 juin. Le zèle de l'ambassadeur de Suède pour la cause révolutionnaire ne s'arrêta pas là. Au dire du marquis de Bouillé (*Mémoires*, édition 1822), il se chargea d'éloigner par prudence ce général qui avait un commandement important mais dont les idées n'étaient pas en concordance avec celles des conjurés. Il lui offrit au nom de son souverain un grade dans l’armée suédoise pour la campagne contre les Russes. Bouillé avait accepté, mais son rappel subit à Metz empêcha la réalisation de ce projet.

  67.  

    Louis Necker, qui reçut plus tard le nom de Necker de Germany, du nom d'une petite propriété qu'il possédait aux environs de Genève, naquit dans cette ville en 1730. Mathématicien, élève de d'Alembert, il succéda à son frère dans sa maison de banque, s'établit quelque temps à Marseille et mourut en 1804, Son fils Jacques, né à Genève en 1758, y mourut le 26 octobre 1825 ; botaniste, il épousa une fille du naturaliste Louis-Albert de Saussure. Louis Necker, avant la Révolution, fit partie de la Vraie Concorde à l’Orient de Genève, qui eut pour Vénérables, Pottier (1788) et l'avocat Stolz (1789), et pour député au Grand Orient, l'abbé Saurine. Louis Necker fit partie de la Stricte Observance, ainsi que son neveu le baron de Staël-Holstein. Il y était entré par la Loge de Bâle Liberté qui, à partir de 1765, était la Loge mère de ce régime pour la Suisse allemande. En 1778, le chapitre de cette Loge prit le titre de Directoire helvétique allemand. Lavater en fut le Grand Prieur Président. Louis Necker faisait partie, à Paris, de la Loge des Amis réunis.

  68.  

    « Nous autres qui, malgré son caractère, le croyons passablement charlatan. » (Lettre de Mme Roland à Bosc du 1er octobre 1788.) « L'homme qui a tué Turgot, ourdi pendant vingt ans la trame de ses succès aux dépens de tous les principes et mis le charlatanisme à la place de tous les talents, l'orgueil intolérant et féroce à la place de la dignité, l'hypocrisie insultante à la place de la vertu, n'aura jamais de paix avec moi. » (Lettre de Mirabeau à Biron (duc de Lauzun). Sans date (vers 1788). Nauroy : *Révolutionnaires*, p. 215.)

  69.  

    Barentin, ministre à cette époque, a laissé, dans un mémoire publié en 1844 par Maurice Champion, un exposé intéressant des hésitations du Roi en présence des divisions qui régnaient dans le conseil des Ministres où Necker, MM. de Saint-Priest et de Montmorin se trouvaient toujours en opposition avec leurs collègues. M. de Barentin, dans le même document, a relevé les grossières et volontaires erreurs que Necker n'avait pas craint de publier dans la partie de ses Mémoires concernant cette période.

  70.  

    Ce haut commandement avait été donné à Besenval grâce à l'influence de Marie-Antoinette qui accordait un crédit plus grand qu'il ne convenait à l'énergie et à l'esprit de décision dont il faisait sans cesse parade. Le baron de Besenval, qui était né à Soleure en Suisse en 1722, est issu d'une famille originaire de Savoie. Il avait eu une carrière militaire honorable, mais depuis 1762 il vivait à la Cour où son esprit brillant autant que superficiel, l'élégance de ses manières, son assurance, sa souplesse de caractère, lui avaient conquis une place distinguée parmi les courtisans. Il eut à remplir dans les événements que nous allons retracer un rôle important qui lui valut d'être désigné le premier à la fureur du peuple. Il parvint pourtant, non seulement à lui échapper, mais, ce qu'on s'explique mal, il obtint même de vivre tranquille et sans être inquiété au plus fort de la tourmente révolutionnaire, en plein Paris, où il mourut paisiblement dans son lit le 27 juin 1794. Les Mémoires parus sous son nom en 1805, bien que désavoués par sa famille, paraissent authentiques. On a tout lieu, en effet, de croire en les lisant que le vicomte Alexandre de Ségur, son ami et son héritier, qui les a publiés, ne l'aurait pas fait s'il n’en avait pas reçu du baron de Besenval la mission absolue. À plus forte raison, doit-on penser qu'il n'aurait pas publié des souvenirs apocryphes auxquels la mémoire de son ami n'avait rien à gagner.

  71.  

    Le comte Louis-Auguste d'Affry était né à Versailles, le 25 août 1713. Colonel des Gardes-suisses et administrateur des troupes helvétiques de France, il était membre de la Loge du Contrat social et de la Parfaite Estime ou Société olympique. Notons divers épisodes de son existence révolutionnaire. Il tombe malade en avril 1789 et ne figure pas à la répression des troubles, lors de l'affaire Réveillon. Dès qu'il apprend la fuite de Varennes, il s'empresse de venir à l'Assemblée nationale protester de son dévouement à la Nation. Arrêté après le 10 août, il est mis en liberté provisoire dans la nuit du 2 au 3 septembre et porté en triomphe. Il est acquitté le 18 octobre, par le tribunal du 17 août ; au bas du jugement, figurent les signatures de Lebois, Dobsent et Fouquier-Tinville. Le 14 août, il avait écrit à M. de la Saussaye, commissaire des guerres (*Arch. Nat. C 192*), pour décliner toute responsabilité dans la journée du 10 août et désigner Maillardoz, Bachmann et d'Erlach. D'après le *Moniteur* du 30 août (p. 553), il aurait refusé opiniâtrement à la Reine de donner aux Suisses l'ordre de tirer, sous prétexte que les Capitulations s'opposaient à l'exécution d'un pareil ordre. Maillardoz et son fils furent massacrés à l'Abbaye ; Bachmann, condamné par le tribunal du 17 août, fut exécuté place du Carrousel ; d'Erlach avait été tué le 10 août, D'après la Biographie de Leipzig, Robespierre aurait refusé le témoignage de d'Affry dans le procès de la Reine. Le comte d'Affry mourut en 1795, au château de Saint-Barthélemy, canton de Vaud. Il ne faut pas le confondre avec les autres membres de sa famille, irréprochables en tous points. Le comte d'Affry ne fut assurément pas un traître, mais sa vie peut être donnée comme exemple de la fatalité maçonnique.

  72.  

    Xavier Audouin (*Histoire de l'Administration de la Guerre*), cité par M. Oscar Havard dans l'intéressant article publié dans le *Correspondant* du 25 août 1907, sous le titre : *Mutineries militaires au début de la Révolution*.

  73.  

    Leur alliance avec les opposants du Parlement est confirmée par un passage de l'*Histoire de la Constituante* par Alexandre Lameth (Introduction, p. LXXIV), où l’auteur dit, en parlant de la séance royale de 1788 qui motiva l'exil du duc d'Orléans à Villers-Cotterêts : « Je me trouvais avec un grand nombre de généraux et plus de 80 colonels dans la salle du parquet... Je dois le dire, toutes les personnes de la cour, tous les chefs militaires, engageaient le Parlement à la résistance. »

  74.  

    Les attributions des Intendants comprenaient à la fois l'administration et la juridiction. Ils avaient à s'occuper des impositions de toute nature, des droits de péage, de chancellerie, du contrôle des actes et exploits, des postes, de la police et de la maréchaussée, de la surveillance des fabriques des églises paroissiales, de la régie et de la conservation des biens de mainmorte, de la surveillance des universités, des collèges, des bibliothèques publiques, de l'imprimerie, de la librairie, de l'agriculture, de la chasse, de l’administration des biens communaux et des communautés, de tous les conflits qui pouvaient s'élever entre celles-ci et les seigneurs, des syndics de paroisse, du commerce, des manufactures, des voies publiques, de la navigation, des corporations industrielles, de la mendicité, du vagabondage, des enrôlements, des revues, des vivres, des casernes, des hôpitaux, de la milice bourgeoise, etc., etc., et enfin des subsistances. (Voir *Traité des Offices*, de Guyot, chap. III ; *État de la France*, Piganiol de la Force ; *Administration des Intendants*, Arbois de Jubainville ; *Mémoires des Intendants*, de Boislile ; *Mémoires sur les États provinciaux*, de M. Laferrière ; *Administration de la France*, Dareste de La Chavanne ; *Les Assemblées provinciales sous Louis XVI*, vicomte de Lucay. Voir aussi Chéruel, Tocqueville, Hanotaux, etc. etc.)

  75.  

    Le vicomte de Lucay (*Les Assemblées provinciales sous Louis XVI*) cite cette définition des Intendants par M. d'Aube, dans un mémoire manuscrit écrit en 1738, et reproduit par M. Dareste (*La Justice administrative en France*, chap. V) : « Les Intendants sont les correspondants nécessaires de tous les ministres du Roi, dont chacun est en droit d'exiger d'eux qu'ils soient toujours prêts à répondre promptement et discrètement à toutes les questions qu'il voudra lui faire et qu'ils soient capables d'opérer par eux-mêmes et de procurer tout ce qui peut être important pour le service du Roi et le bien de l'État. »

  76.  

    Les Généralités de Toulouse et de Montpellier étaient confiées au même Intendant. Il n'y avait donc que 32 Intendants. C'est pour cela que presque tous les historiens ne dénombrent que 32 Généralités.

  77.  

    Les 22 élections de la Généralité de Paris étaient : Beauvais, Compiègne, Mantes, Pontoise, Senlis, Dreux, Montfort-l'Amaury, Paris, Meaux, Coulommiers, Rozoy, Étampes, Melun, Provins, Nemours, Montereau, Sens, Nogent, Joigny, Saint-Florentin, Tonnerre et Vézelay. (*Nouvel Atlas de la Généralité de Paris* dressé par Desnos, Paris, 1752.) La superficie de la Généralité de Paris était de 1157 lieues carrées 2/3 (17.603 kilomètres carrés) et sa population était de 1.781.570 h., dont 626.376 pour Paris. (*Arch. Nat. K. 164, No 12*.)

  78.  

    Voir ceux consignés par M. Monin dans son livre, *l'État de Paris en 1789*.

  79.  

    Voir ceux consignés par M. Monin dans son livre, *l'État de Paris en 1789*.

  80.  

    Les Intendants étaient choisis parmi les Maîtres des Requêtes. Les Intendants de la Généralité de Paris furent : Jean Phélippeaux DE PONTCHARTRAIN d'abord de 1690-1701, puis de 1702-1709. Pierre Cordier Le Bret de Flacourt de Selles, 1701-1702. Armand-Rolland BIGNON de Blanzy, 1710-1723. Nicolas-Prosper d'ANGERVILLERS, 1723-1728. Louis-Auguste Achille de Harlay de Cély, 1728-1739. René Hérault, 1739-1740. Marc-Pierre de Voyer de Paulmy d’Argenson, 1740-1742. Paul-Esprit Feydeau de Brou, 1742-1744. Louis-Jean BERTIER de Sauvigny, 1744-1776. Louis-Bénigne-François BERTIER de Sauvigny, 1776-1789.

  81.  

    Lorsque Brienne le convoque le 27 février 1788 à Versailles, nous voyons figurer parmi ses membres, à côté des Bertier père et fils, d'Ormesson, le comte de La Luzerne, le comte de Montmorin, Lambert, de Cotte, de Villedeuil, de Montyon, Boutin, Thiroux de Crosne, de La Porte, Tolozan, Raillard de Grandville et Waldec de Lessart.

  82.  

    De juin 1787 à août 1788, on essaya de supprimer ces fonctions.

  83.  

    De juin 1787 à août 1788, on essaya de supprimer ces fonctions.

  84.  

    Lorsque Brienne le convoque le 27 février 1788 à Versailles, nous voyons figurer parmi ses membres, à côté des Bertier père et fils, d'Ormesson, le comte de La Luzerne, le comte de Montmorin, Lambert, de Cotte, de Villedeuil, de Montyon, Boutin, Thiroux de Crosne, de La Porte, Tolozan, Raillard de Grandville et Waldec de Lessart.

  85.  

    Suspendu le 26 juillet, il reprend le 3 septembre 1789, mais il se réunit de moins en moins, et le 27 février 1791, il siège pour la dernière fois.

  86.  

    Voir le chapitre concernant les Intendants Bertier de Sauvigny.

  87.  

    L. Biollay : *Le Pacte de famine*, 1885. G. Bord, *Le Pacte de famine*. De nombreux écrivains, entre autres Edmond Biré, en rendant compte de mon livre dans le feuilleton de l'*Univers* du 8 mars 1887, ont aussi fait justice des élucubrations de Le Prévôt de Beaumont, dont les prétendues révélations avaient inspiré les feuilles insurrectionnelles de 1789 (V. *Moniteur* du 12 septembre 1789) et en avaient même imposé à des hommes d'opinion modérée tels que Théophile Lavallée (*Histoire des Français*, tome II) et Maxime du Camp (*Revue des Deux Mondes*, 15 mai 1868, et *Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie*, II). M. Chassin, dans son très important et très intéressant ouvrage, *les Élections et les Cahiers de Paris en 1789*, en abordant la question du Pacte de famine a consacré une longue note au livre de M. Biollay et au mien (p. 106 et 107). Après de sommaires analyses, il a trouvé que « la théorie de la parfaite innocence du commerce des grains et farines du Roi n'était pas prouvée », et, tout en admettant les exagérations de certains accusateurs, il a conclu « qu'on n'effacerait pas ce qu'a constaté Bouillé pour 1789 et ce qu'ont affirmé, pour tout le XVIIIe siècle, d’Argenson et Saint-Simon ». Je me bornerai à répondre que les vagues allusions de ces deux derniers auteurs n'ont jamais apporté la preuve qu'il y ait eu des malversations, et que s’il y en a eu — ce qui est possible — on ne saurait sans injustice les imputer à des hommes que leurs seules fonctions exposaient fatalement à la malignité publique sans que la moindre preuve, malgré les recherches faites, ait jamais pu être trouvée contre eux. Quant à la prétendue constatation faite en 1789 par Bouillé dont M. Edme Champion (*L'Esprit de la Révolution Française*, 1887) cité par M. Chassin, a prétendu s'autoriser pour « attribuer la famine aux manœuvres du Gouvernement », il est bon qu'on s'y arrête et nous y reviendrons plus loin.

  88.  

    Jean-Jacques-Maurille Michau de Montaran, chevalier seigneur de l'Isle, maître des requêtes, Intendant du commerce, était fils de Jacques-Marie-Jérôme M. de M., Intendant du Commerce, et de Marie-Marguerite Vireau de Villeflix. Son frère Hippolyte-Marie Michau de Montblin était conseiller au Parlement. Les Michau étaient parents des Guébriant, des Maille, des Mouchy et de l'abbé Lenoir (Pierre-François), doyen de la Grande Chambre, abbé de Saint-Sulpice de Bourges.

  89.  

    Necker dut faire l'aveu ingénu de cette incohérence, dans son *Compte Rendu* de 1781 (p. 98). Après avoir dit qu'il faut autoriser la plus grande liberté à l’intérieur et régler l'exportation à l'extérieur suivant les circonstances, il conclut que « les inquiétudes qui naissent des alarmes d'une province sur sa subsistance sont d'une telle nature, que le Ministre des Finances qui serait le plus déterminé par système à se reposer sur les effets de la liberté, ne tarderait pas à recourir aux prohibitions lorsqu'il aurait à répondre des événements. Et telle est et sera toujours la faiblesse des idées abstraites, dès qu’elles auront à lutter contre la force du moment et l'imminence du danger ».

  90.  

    Malisset est le personnage que Le Prévôt de Beaumont et les révolutionnaires ont accusé d'avoir fait une fortune scandaleuse, en spéculant avec le Roi sur la subsistance du peuple. La vérité est tout autre. Simon-Pierre Malisset naquit à Vitry-sur-Seine en 1722. Boulanger, puis fermier général du duché de Châtillon, grâce à la protection du duc de Luxembourg, il s'y ruina complètement ; à l’époque de la Révolution, il était dans le plus complet dénuement, et le 8 avril 1791, Delessart, dans son rapport à l'Assemblée Nationale, disait : « Il est actuellement dans un état de démence qui ne laisse pas même l'espoir de tirer de lui le moindre renseignement. » Malisset mourut le 9 germinal an III (29 mars 1795) à Sèvres, pensionnaire de la citoyenne Quéque, qui donnait asile aux aliénés (actuellement, 5 avenue de Bellevue). Depuis longtemps, sa femme, Marie-Anne Piochard, était morte de désespoir.

  91.  

    Jean-Louis Sorin de Bonne avait épousé Aglaé-Marguerite Blavet du Marais.

  92.  

    Pierre Rousseau, conseiller du Roi, Receveur général des domaines et bois du comté de Blois, commanditaire de Malisset, puis Trésorier de la Ville de Paris, mourut insolvable en 1785.

  93.  

    Il n'y a pas trente ans, l'approvisionnement de la ville de Pampelune était assuré par une réglementation presque identique à celle de l’ancienne France. Les résultats obtenus étaient parfaits et provoquaient l'admiration de ceux qui en constataient les effets. Cette réglementation disparut avec les fueros de la Navarre.

  94.  

    Alexandre Lameth qui avait quelque expérience de la chose, il n’en est pas de plus puissant que de lui présenter l'image de la famine. À la page suivante, en note, l'auteur explique la facilité avec laquelle peut se provoquer une disette factice, et il conclut : « c'est ainsi qu'avec un emploi de fonds très modique, avec moins de 200.000 francs, on pourrait dans Paris, en faisant des achats extraordinaires, durant trois jours seulement, produire des alarmes dont les conséquences seraient incalculables dans un moment de mécontentement du peuple, »

  95.  

    Taine a intitulé « Anarchie spontanée » le chapitre dans lequel il a énuméré une partie de ces troubles. M. Chassin (op. cit., p. 109) a trouvé le terme impropre. Je suis de son avis, mais non pour les mêmes motifs. Si j'estime qu'on ne peut accorder le caractère de spontanéité à un état d'agitation que les factions opposantes au pouvoir ont avoué elles-mêmes avoir préparé de longue main et qui a abouti à des émeutes entretenues et protégées par elles, M. Chassin ne fait, lui, les mêmes réserves que pour rester fidèle à la légende créée par les révolutionnaires, (p. 102.) Suivant sa doctrine, cette préparation de l'anarchie est le fait de « ceux qui avaient intérêt à empêcher les États généraux », et par là il entend désigner les agents du gouvernement. À ses yeux, ils ont usé de la facilité qu'ils avaient « de transformer, dans certaines parties du pays, la disette en famine, et de susciter de violentes émeutes d'abord avant que le peuple n'ait rédigé ses cahiers, et ensuite pour obtenir par l'anarchie la dissolution de la représentation nationale. » Cette ingénieuse argumentation, qui ne tend à rien moins qu'à assurer que les événements de juillet sont dus à des agents provocateurs du parti de la Cour, peut surprendre quand on la rencontre dans le volume même où sont publiés une partie des documents qui démontrent de façon si indiscutable les efforts que les agents du gouvernement ont déployés à cette époque pour combattre les entraves apportées à la circulation des grains et pour maintenir l'ordre. M. Chassin, en reprenant cette thèse, naturellement chère aux révolutionnaires de 1789, a invoqué de prétendues révélations de Bouillé à ce sujet. Il a extrait des *Mémoires* de ce général un passage que dans l'édition que nous possédons (édition 1822) nous n'avons pas trouvé avec le même texte. Néanmoins, nous nous en rapporterons à celui cité par M. Chassin après M. Edme Champion. En disant que « des moyens artificiels avaient été employés en 1789 pour empêcher les différentes provinces de s'approvisionner de blé et pour protéger le monopole des grains », qui donc Bouillé a-t-il voulu accuser ? On ne peut se méprendre sur ses intentions : il a visé les révolutionnaires. C'est après avoir décrit, en effet, les manœuvres de propagande révolutionnaire tolérées et encouragées par Necker et après avoir conclu : « qu'on rassemble toutes ces circonstances, et le plan arrêté par le conseil même du monarque de détruire la monarchie, n'est pas douteux, » que Bouillé, quelques lignes plus loin (édition 1822) ajoute : « il y eut des manœuvres secrètes pour arrêter la circulation des blés dans les provinces et pour faire des accaparements. Les uns en ont accusé le duc d'Orléans, les autres M. Necker lui-même. » Quant à l'autre passage des *Mémoires* de Bouillé dont MM. Edme Champion et Chassin n'ont donné qu'un résumé, mais auquel ils ont attribué une importance décisive, nous le citerons en entier. « Je dois dire que pressé par le peuple de la province (province de Metz) auquel les subsistances étaient prêtes à manquer, encore plus par les corps administratifs, qui étaient dans l’impossibilité de lui en procurer et ayant à Metz et dans les autres villes de guerre un approvisionnement pour faire subsister pendant dix huit mois 25 à 30.000 hommes de troupes, je proposai au gouvernement d'en distribuer la moitié dans les villes et dans les campagnes, à la condition qu'une pareille quantité serait alors restituée, ce qui était sans inconvénient : ma proposition fut rejetée. Je pris néanmoins le parti, malgré la défense de la Cour, de distribuer des blés, et je fus ensuite approuvé par M. Necker qui s'y était refusé d'abord. » En mettant sous ses yeux, dans son intégralité, ce passage des *Mémoires* du marquis de Bouillé, le lecteur pourra juger si l'on est en droit de prêter à ce général l'aveu que le parti de la Cour avait adopté la tactique criminelle de réduire le peuple à la famine. On ne saurait trouver là, il faut en convenir, autre chose que la satisfaction qu'éprouve à se faire valoir un homme dont on a fini par écouter les avis, après les avoir tout d'abord rejetés. Si tant est d'ailleurs qu'on ait eu tort — ce qui n'est pas prouvé — de ne pas adopter la proposition de Bouillé, la maladresse ne pouvait être imputable qu'au premier Ministre Necker dont l'alliance avec les perturbateurs était, aux yeux de Bouillé, indéniable.

  96.  

    C'est Doumerc, dit Bailly, qui ayant dans son portefeuille et par ses relations la suite et la clé de toutes les opérations, aidera le maire de Paris de ses conseils » jusqu'au jour où, effrayé des menaces dont il est l’objet, il refusera de continuer ce service.

  97.  

    O. 434.

  98.  

    Les frères Eloi-Louis et Dominique-César Leleu avaient été chargés, le 10 octobre 1787, de l'approvisionnement en farines des halles de Paris, Versailles et Saint-Germain-en-Laye. En 1777, sous la raison Leleu et Cie, ils avaient déjà fourni les halles de Paris. Ils moururent ruinés.

  99.  

    Le Contrôleur général avait cru devoir lui faire observer « que le projet d'employer des gens attachés au service des impositions pour faire cesser les excès que commettent les fraudeurs dans les environs de Paris et le besoin qu'auraient les garnisaires d'être munis des ordres du Roi pour emprisonner les coupables, s'il était adopté, lui attribuerait des fonctions qui tiennent à la charge du Lieutenant Général de la Police de la Ville de Paris. »

  100.  

    Plainte du marquis de Fraguier.

  101.  

    J'ignore quelle suite fut donnée à cette affaire qui, peut-être, fut le résultat d’une méprise.

  102.  

    G. Bord : *Pacte de famine*, p. 50.

  103.  

    G. Bord : *Pacte de famine*, p. 35

  104.  

    Id., ibid.

  105.  

    J'ignore quelle suite fut donnée à cette affaire qui, peut-être, fut le résultat d’une méprise.

  106.  

    Pour une étude spéciale sur cette question, on consultera avec fruit les Archives de l'Aisne et celles de l'Oise, de la Côte-d'Or, du Loiret et de la Seine-Inférieure, indépendamment du chapitre de Taine sur le même sujet dans les *Origines de la France contemporaine*, II, et les *Élections et les Cahiers de Paris en 1789*, de Chassin, IV.

  107.  

    Voir rapport de Marchais sur une émeute à Bourg-la-Reine, le 14 avril, et lettre de Sainte-Suzanne du 29 avril, sur une autre à Rambouillet. (*Documents publiés par Chassin, op. cit.*, IV, p. 113 à 119.)

  108.  

    Pour une étude spéciale sur cette question, on consultera avec fruit les Archives de l'Aisne et celles de l'Oise, de la Côte-d'Or, du Loiret et de la Seine-Inférieure, indépendamment du chapitre de Taine sur le même sujet dans les *Origines de la France contemporaine*, II, et les *Élections et les Cahiers de Paris en 1789*, de Chassin, IV.

  109.  

    Voir rapport de Marchais sur une émeute à Bourg-la-Reine, le 14 avril, et lettre de Sainte-Suzanne du 29 avril, sur une autre à Rambouillet. (*Documents publiés par Chassin, op. cit.*, IV, p. 113 à 119.)

  110.  

    La Fayette, en parlant de la disette de 1789, avouera dans ses *Mémoires* : « moitié réelle, moitié factice, elle fut le tourment des magistrats, la principale ressource des intrigants et des ambitieux. »

  111.  

    *Journal de Bailly*, août 1789,

  112.  

    La Fayette, en parlant de la disette de 1789, avouera dans ses *Mémoires* : « moitié réelle, moitié factice, elle fut le tourment des magistrats, la principale ressource des intrigants et des ambitieux. »

  113.  

    Le Ministre de l'Intérieur aux Corps administratifs et, par eux, à tous ses concitoyens. À Paris, le 1er septembre 1792, l'an IV de la Liberté.

  114.  

    Besenval : *Mémoires*, et Chassin, op. cit., II.

  115.  

    « ... et vous ne sauriez croire combien il en a peu coûté au duc d'Orléans pour faire saccager la manufacture de cet honnête Réveillon qui dans ce même peuple faisait subsister 100 familles. Mirabeau soutient plaisamment qu'avec un millier de louis on peut faire une jolie sédition... » (*Mémoires de Marmontel*. Son entretien avec Champfort.)

  116.  

    Lafayette : *Mémoires*.

  117.  

    Émile Dard : *Choderlos de Laclos*. La Loge des Gardes-françaises n’a pas, jusqu'ici, figuré dans les Loges des régiments. On la trouve dans les listes des Loges à l'Orient de Paris sous le titre des Amis de la Gloire. En 1788, son vénérable était le chevalier de Laizer, officier. Son député au Grand Orient était un autre officier, le comte de Maleyssie qui, en 1789, était en même temps Député et Vénérable, pour se conformer à la décision du Grand Orient. Le rôle de M. de Maleyssie est particulièrement intéressant à étudier : on peut le citer comme exemple du F.M. qui sut réagir et accomplir son devoir. (Voyez ses intéressants *Mémoires*.) On ne peut décerner les mêmes éloges à Laizer, qui donna dans le parti de l'émeute. En 1793, cependant, il se fit inscrire sur la liste des otages de Louis XVI. En 1788 et 1789, il y avait également une loge pour les sous-officiers. Son Vénérable député était Beyssac, premier sergent aux Gardes-françaises, compagnie de Boury. Cette loge avait pour titre : Union des Bons Français, à l'O. de Paris. Les efforts faits par les hommes du Palais-Royal, pour détourner ce régiment de son devoir, réussiront à ce point que cinq bataillons sur six passeront à l'insurrection le 13 juillet.

  118.  

    D'après Bailly, la rédaction de l'arrêté était due à Target.

  119.  

    Les Choiseul étaient entrés depuis longtemps dans la maçonnerie militaire avec Beauchaine. En 1762, le Comte de Choiseul était vénérable des Enfants de la Gloire à l'O. de Paris. La F.M. s'était introduite dans Royal-Dragons, en 1788, par l'intermédiaire d'un de ses capitaines, Cartouzière de la Bastide, chevalier de Saint-Louis, député de la Concorde à l'O. de Versailles.

  120.  

    La Franc-Maçonnerie s'était introduite dans Royal-Cravate en même temps que dans Bassigny et le corps de génie, en 1778, par la Loge parlementaire la Sincérité à l'O. de Besançon.

  121.  

    L’article 1er de la Loi Martiale (octobre 1789) disait : « La force militaire doit être déployée pour rétablir l'ordre public. » L'article 3 : « Tout attroupement, avec ou sans armes, deviendra criminel. » L'article 7 : « Après les sommations, la force des armes sera à l'instant déployée contre les séditieux sans que personne soit responsable des événements qui pourront en résulter. » L'article 10 : « Tout chef, officier, soldat, qui exciteront des attroupements, émeutes ou séditions, seront punis de mort, etc., etc. »

  122.  

    Ce fut l'apôtre de la Liberté de la Presse, l'abbé Sieyès lui-même, qui, en janvier 1790, aux applaudissements de l'Assemblée, proposa le projet suivant : « Si un ouvrage excite le peuple à prendre des moyens violents pour obtenir ce qu'il demandera, les personnes responsables de l'ouvrage seront déclarées coupables de sédition et punies comme telles. » (*Moniteur*, 1790, p. 189.)

  123.  

    Le nommé Pierre Curé, ancien matelot, prévenu d'avoir fait des motions incendiaires contre l’Assemblée Nationale, est condamné le 15 mars 1790 au carcan et aux galères à perpétuité. (*Moniteur*.)

  124.  

    Le *Moniteur*, dans son récit des événements, dit que ce furent le comte d'Artois et M. de Breteuil.

  125.  

    *Mémoire de Barentin*, page 265.

  126.  

    Le *Moniteur* dira faussement qu'un Garde-française sans armes fut tué par les troupes, qu'un vieillard de 64 ans nommé Chauvet, maître de pension, fut massacré de la main même de Lambesc, alors qu'il fut prouvé que l'un et l'autre fait étaient controuvés ; le Garde-française avait été tué, d'après Maleyssie, aux Champs-Élysées, dans la journée, d'un coup de pistolet tiré par un bandit sur un cavalier de Royal-Allemand. Quant à l'histoire de l'assassinat de Chauvet, la protestation qu'envoya quelque temps après aux journaux le Prince de Lambesc en a fait justice. Enfin, pour n'omettre aucun détail susceptible d'émouvoir l'opinion publique, le *Moniteur* ajoutera que le buste de Necker fut renversé et brisé par la charge ; or, par la déposition de Curtius, propriétaire du buste, au moment de l'enquête sur les journées des 5 et 6 octobre, on sait que ledit buste lui fut rapporté six jours après. Voici d'autre part dans quels termes le marquis de Gouy d'Arcy, « le zélé franc-maçon », rendait compte, le 13, à l'Assemblée Nationale, des événements du 12 : « Hier, j'ai entendu le canon tonner, j'ai vu le sang couler, les cadavres couvrir les plaines ! J'ai vu nos troupes françaises s'entr'égorger mutuellement, » etc.

  127.  

    *Lettres bougrement patriotiques du Père Duchêne*.

  128.  

    Voici la version détaillée du complot de la cour que par la voix du *Moniteur* (n° 20, 1789) les conspirateurs répandirent dans toute la France : « L'Assemblée nationale devait être dispersée, ses arrêtés déclarés séditieux, ses membres proscrits, le Palais-Royal et les maisons des patriotes livrés au pillage, les Électeurs et les Députés aux bourreaux. Tout était prêt pour consommer ce crime. Des brigands armés de haches, de torches et de poignards attendaient leur proie : la Bastille et les gibets, leurs victimes. « La nuit du 14 au 15 avait été fixée, dit-on, pour l'invasion de Paris. Les Invalides devaient faire résistance et s'opposer à l'enlèvement des armes et du canon, en faisant feu sur le peuple. Au même instant les brigades campées au Champ-de-Mars, composées des régiments de Salis-Samade, Châteauvieux et Diesbach, suisses ; des hussards de Berchiny, Esterhazy et Royal-Dragons, devaient courir au secours des Invalides avec de l'artillerie, tandis qu'un autre corps de troupes légères aurait fondu sur l'Hôtel de Ville et enlevé les magistrats et les échevins. « Au premier coup de canon, le Prince de Lambesc se serait transporté dans la rue Saint-Honoré avec le régiment du Royal-Allemand et les autres régiments de cavalerie, le sabre à la main, avec ordre de charger tout ce qui se présenterait et de s'emparer de la Place de Grève. Ce coup de canon étant le signal pour toutes les troupes qui investissaient Paris, Provence et Vintimille auraient accouru de Neuilly ; Royal-Cravate, Helmstadt* et Royal-Pologne de Sèvres et de Meudon, et auraient été suivis de quatre régiments de chasseurs destinés pour la Porte Saint-Antoine ; trois régiments allemands se seraient rendus à la Porte d'Enfer : six mille brigands auraient parcouru la ville, forçant et bouleversant les maisons des bons citoyens, et le pillage du Palais-Royal aurait été la récompense des hôtes. L’incendie de l'hôtel de Bretonvilliers et de quelques maisons aurait augmenté le désordre. Dans le même temps, les régiments de Besançon et de La Fère auraient foudroyé Paris des hauteurs de Montmartre avec cinquante pièces d'artillerie. « Cette abominable expédition faite, les troupes se seraient retirées à toutes les barrières pour s'en emparer, et des batteries y auraient été dressées pour intercepter toute communication avec les provinces. « Le lendemain matin, le Roi se serait transporté à l'Assemblée Nationale pour la dissoudre, et les satellites de la tyrannie auraient chargé de fers les défenseurs de la liberté. « Tel est l'horrible tissu de forfaits, de brigandages et d’assassinats qu'une troupe de scélérats et de femmes perdues méditait avec une joie barbare dans le tumulte de leurs exécrables orgies pour forcer Paris à capituler avec la tyrannie. « On peut se tromper sur quelques détails de ce projet ; mais toutes les dispositions faites pour en assurer la réussite, le commencement d'exécution qu'il a eu, ne permettent pas de douter de son existence. » *Il n'y avait pas de régiment de ce nom.*

  129.  

    *Le Nouveau Paris*, chapitre Explosion,

  130.  

    *Mémoires de Gouverneur Morris* (II, p. 28).

  131.  

    Bailly, *Journal* : « On m'a assuré que les casernes des Suisses à Paris étaient remplies de munitions : que plusieurs d'eux ont vu un plan pour envelopper et occuper le Palais-Royal. Qu'à Magdebourg, avant de pouvoir avoir des nouvelles des 13 et 14 juillet, les fils d'un officier général français, employé sous M. de Broglie autour de Paris, avaient des nouvelles que Paris devait être investi et qu'on y devait former sept attaques. »

  132.  

    Salmour à Stutterheim, 16 juillet. Cité par M. Flammermont, op. cit.

  133.  

    *Mémoires*, I, 13.

  134.  

    Sans aller jusqu'à admettre « que Mme de Staël, fille de Necker, parcourait les casernes des Gardes-françaises et abreuvait de ses propres mains les soldats d'eau-de-vie, » suivant l'assertion que Lameth prête à Montgaillard en la lui reprochant, on ne peut contester que cette troupe fut de la part des révolutionnaires l'objet des prévenances les plus exceptionnelles. Bailly avoue que le seul district de Saint-Eustache avait, le 14 Juillet, contracté pour les Gardes-françaises une dette de 14 mille livres de vin et de cervelas. Lafayette, après avoir cité Bailly, sans le contredire, ajoute avec une certaine naïveté : « Ces attentions pour eux, des glaces au Palais-Royal, et autres amitiés de ce genre, furent les seuls moyens d'influence employés par les promoteurs du mouvement du 14 Juillet. L'argent n'y fut pour rien. » (*Mémoires de Lafayette*, II, p. 289.)

  135.  

    « Paris nous regarda comme des sauveurs. » *Mémoires de Lafayette*, II. Il avait dit la même chose après qu'il eut dispersé la bande qui avait pillé l'hôtel de Castries. Pour la journée du Champ-de-Mars, on peut voir dans la *Biographie de Bailly* par Arago (1844), que ce dernier accuse le Maire de Paris et Lafayette d'avoir dans cette circonstance agi avec une criminelle légèreté. La foule qui fut fusillée était absolument inoffensive. En se rendant au Champ-de-Mars pour rédiger et signer une pétition, elle usait d'un droit absolu et avec une confiance et une bonne foi d'autant plus grandes que la veille, à une députation des pétitionnaires venant faire la déclaration légale de leur projet, on avait délivré un récép***é en leur disant : « la loi vous couvre de son inviolabilité. »

  136.  

    Le marquis de Cordou, ambassadeur de Sardaigne, écrivait : « S'il est vrai qu'on eût dans les environs de Paris un corps de trente mille hommes de troupes, l'on doit être aussi étonné d'apprendre tout ce qui s'est passé que honteux d'avoir été à leur tête. » *Revue rétrospective*, 2e série, VIII, 7.

  137.  

    C'est ce que confirme un *Mémoire*, écrit en 1818 par le chevalier du Planta. (*Arch. Nat. A. B. XIX, 3*.) Cet ancien capitaine du Royal-Allemand — devenu adjoint à la mairie de Montélimar — a fourni sur les manœuvres de ce régiment, à l'époque des événements de Juillet 1789, et aussi sur le rôle des officiers et le caractère de Louis XVI, des détails d'un vif intérêt, inédits ou peu connus. L'ensemble des mouvements du Royal-Allemand fut à peu de chose près le même que celui des manœuvres exécutées par les autres corps de troupes dans les faubourgs de Paris et les localités environnantes.

  138.  

    Le Maréchal de Broglie mourut à Munster en 1804 ; Barentin, à Paris, le 30 mai 1819 ; d'Autichamp, 1er Maréchal des logis de Broglie, n'était pas mort en 1830 ; Puységur, ancien Ministre de la Guerre, mourut à l'étranger pendant l'émigration.

  139.  

    *Moniteur*, 1790, p. 281, 2e c., et p. 504, 2e c.

  140.  

    *Moniteur*, 1790, p. 281, 2e c., et p. 504, 2e c.

  141.  

    Ce fut sous le coup du malaise que provoqua la fougueuse campagne de Marat contre la nouvelle administration et le tribunal du Châtelet, que l'abbé Sieyès proposa l'article de loi dont nous avons parlé et qui visait les auteurs des ouvrages « excitant le peuple à obtenir par la violence ce qu'il désirait ».

  142.  

    Victor de Broglie, dans une courte lettre insérée au *Moniteur* du 1er avril 1791, maintint son dire et, à la suite de cet incident, quitta le logement qu'il occupait dans l'hôtel de son père.

  143.  

    Ce fut à la séance de la Chambre du 23 janvier 1833 que Lafayette donna cette version du complot de la Cour. On venait de déposer un projet de loi tendant à accorder une pension aux vainqueurs de la Bastille. Le comte Gaétan de La Rochefoucauld, fils du duc de Liancourt, dont le rôle en 1789 n'avait pourtant pas été sans influence sur la marche des événements, avait combattu le projet et venait de dire avec raison : « Ce n'est pas la prise de la Bastille qui a fait la Révolution ! C'est elle, au contraire qui, en la détournant de sa marche naturelle, l'a précipitée dans tous les excès de l'anarchie, c'est elle qui a donné l'exemple des émeutes et des massacres, etc., etc.» Lafayette monta à la tribune et appuya au contraire le projet. Il le fit après s'être étonné de voir émettre l'opinion précédente par le fils de celui qui, le premier, avait annoncé au Roi la prise de la Bastille en lui disant : « Ce n’est pas une émeute, Sire, c'est une grande révolution ! » C'est après ce préambule qu'il parla des projets de la Cour en 1789, dans les termes que nous avons cités. Le 22 avril suivant, quand le projet revenait en question, il ajoutait encore, « qu'en élevant la voix pour proclamer la première Déclaration des Droits », il croyait plutôt faire son testament ; que son intention fut, avant la dissolution de l'Assemblée et le meurtre de quelques-uns de ses membres, de laisser un exemplaire des Droits du genre humain. »

  144.  

    Bailly, I, p. 55.

  145.  

    Victor Fournel (op. cit.) signale que le mot assaut est fréquemment employé pour désigner le siège de la Bastille dans les *Relations du temps*. Bien plus, dans certaines gravures de l’époque, on a figuré une brèche pratiquée par les assaillants... Enfin, une eau-forte, signalée par Victor Fournel, représente le Garde-française Arné escaladant les tours avec une échelle et sabrant la garnison sur le sommet.

  146.  

    Les prisonniers trouvés à la Bastille, le 14 juillet, étaient : Tavernier, entré en 1755 et fou avant son arrivée ; de Solages, marquis de Carmaux, enfermé, en 1765, à la requête de son père, pour « crimes atroces et notoires » ; Whyte de Malleville, à la Bastille depuis 1784 et fou avant son entrée ; Enfin quatre individus : La Corrège, Bechade La Barthe, Pujade et Bernard Laroche, tous enfermés en 1787 pour falsification de lettres de change. Le marquis de Sade, de triste mémoire, avait été, le 4 juillet 1789, transféré de la Bastille à Vincennes, ayant été, vers la fin de juin, surpris haranguant à l'aide d'un porte-voix les passants et excitant le peuple à venir le délivrer et à châtier Launey, ce qui explique, comme l'observe V. Fournel, qu'il était au courant de la fermentation générale. Les apologistes de la prise de la Bastille créèrent de toutes pièces deux autres prisonniers : un « comte de Lorges, détenu à la Bastille depuis 32 ans », et un « M. de Romagne, poëte, enfermé depuis 40 ans » ! On multiplia les portraits de ces prisonniers, notamment celui du poëte représenté couvert de chaînes. Or il a été prouvé que ni l'un ni l'autre n'avaient existé.

  147.  

    La comtesse de Bohm, dans les *Prisons en 1795* (Paris, 1830), raconte qu'elle avait eu, à la prison du Plessis, comme compagnon d'infortune, Gonchon, le fameux orateur du faubourg Saint-Antoine, et qu'elle tenait de lui qu'en 1789 chaque émeute lui était payée 30 ou 40.000 livres, mais que, toutefois, les ouvriers enrôlés ne touchaient que le prix accoutumé de leur journée de travail : ils n'exigeaient rien autre. Antoine Gonchon (et non Clément) était né à Lyon vers 1741. Il habita successivement rue Sainte-Barbe, rue des Orties et rue Taranne. Après avoir été dragon, il fut ouvrier dessinateur en soie. Arrêté le 8 septembre 1793, il fut mis en liberté le 20 thermidor an II. On trouve aux *Arch. Nat.* (W. 1er cart. 81, d. 79) une curieuse lettre le concernant datée du 16 germinal an II : « Mon ami, comme vous faites la chasse aux royalistes et aux conspirateurs, déjà plusieurs ont payé de leur tête le prix de leurs forfaits. Il en est un non moins coupable, qui nous a trompés longtemps : c'est Gonchon. Je ne sais s’il est détenu. Je t'envoie une pièce qui te fera connaître cet homme qui fut, tour à tour, sans-culotte, Rolandin, Brissotin à Paris et ensuite muscadin à Lyon. Tu en feras l'usage convenable... Lafaye aîné. » Sur Gonchon, voir V. Fournel, *le Patriote Palloy*, p. 260.

  148.  

    En 1883, en faisant des fouilles rue de la Roquette, on mit à jour le cercueil de cette personne, qui était morte au mois de mars 1736, au couvent de la Roquette. (Voir le *Figaro* du 29 janvier 1883, p. 3, 3e colonne.)

  149.  

    Les deux autres furent le Chevalier de Launey (Adrien Jean Charles), né en 1748, membre de la Parfaite Estime dite Société Olympique, et Adrien Jourdan, abbé commendataire de Condé, diocèse de Langres.

  150.  

    24 novembre 1764.

  151.  

    Henri-François-Joseph de la Chapelle de Jumilhac, né à Cubjac le 31 août 1754. Son mariage avec Mlle de Launey eut lieu le 6 avril 1777. Il mourut au château de Gugineville le 7 juillet 1820, après avoir été Maréchal de camp et Député. Il avait obtenu, avant 1789, la survivance de son beau-père le marquis de Launey au Gouvernement de la Bastille.

  152.  

    Catherine-Geneviève-Philippine, née le 9 mars 1769, morte le 20 juillet 1802.

  153.  

    Il mourut en 1818. Sa sœur avait épousé le Ministre Laurent de Villedeuil.

  154.  

    La descendance de Launey est représentée actuellement par la famille de Jumilhac et les descendants de la Marquise de Saint-Souplet née d'Agay, entre autres par la famille Topinard de Tillières.

  155.  

    Les *Lettres de provision* de Launey (*Arch. Nat. O. 121*) sont intéressantes à consulter.

  156.  

    Le premier portrait de Launey qui circula, après la prise de la Bastille, avait été gravé, par Chenon père, d’après un dessin de Cagliostro. On conçoit que ce dernier ait pris un soin particulier de donner à la physionomie de son ancien ennemi une expression farouche et un air de cruauté. Ce portrait fut aussi gravé par Bonneville. La gravure qui porte l'indication que le dessin est de Cagliostro, est celle qui est agrémentée d'un médaillon, où figure la tête de Launey au bout d'une pique, et d'une légende ainsi conçue : « Décapité, place de Grève, le 14 juillet 1789, ayant fait tirer sur le peuple, après avoir arboré le drapeau blanc. » La légende est suivie de ce vers de Virgile : *Monstrum, horrendum, informe ingens, cui lumen ademptum.*

  157.  

    « Des considérations d'équité firent rejeter ma proposition, ajoute Besenval, et la Bastille fut prise. » (*Mémoires de Besenval*, III, p. 416.)

  158.  

    Après la mort de son mari, Mme de Launey se réfugia avec sa fille mineure au couvent du Précieux Sang de la rue de Vaugirard, et plus tard chez Mme de Séroncourt. Une lettre d'elle (18 novembre 1789), faisant allusion à la journée du 14, contient les détails suivants : « Le feu a été mis trois fois exprès au logement que nous habitions : tout notre mobilier a été brûlé ou pillé ; c'est une perte, avec l’argent comptant, d'au moins soixante mille livres. On vous dira que j'avais emporté beaucoup de choses, et cela n'est pas vrai. Lorsque je fus obligée de quitter ce triste séjour par l'ordre absolu de celui qui y commandait, j'emportais quelques titres et contrats de famille et la vaisselle de maman, etc., etc. »

  159.  

    Pierre Pajot de Nozeau fut intendant de Limoges, de Montauban et d'Orléans.

  160.  

    Mme de Flesselles mourut à Paris, le 23 brumaire an IV, sans postérité.

  161.  

    Dufort de Cheverny, *Mémoires*.

  162.  

    Il ne faut pas le confondre avec le château du Marais, près Saint-Chéron (Seine-et-Oise). La veuve de Flesselles, en 1790, vendit sa propriété d'Argenteuil à Mirabeau.

  163.  

    Un des ballons que firent partir à Lyon les frères Montgolfier reçut le nom de Flesselles. Il existe une gravure représentant l'enlèvement du *Flesselles*.

  164.  

    La lettre trouvée dans la poche de Flesselles après sa mort, et qui était adressée à Mme Duteil par son mari, secrétaire de l'Intendance, avait été sans nul doute saisie sur un courrier et remise au Prévôt des Marchands avec beaucoup d'autres qu'on lui apporta à l'Hôtel de Ville. Nous dirons ce qu'il faut penser du prétendu billet de Flesselles qu'on aurait trouvé sur le cadavre de Launey.

  165.  

    C'est par une tactique identique que la Commune insurrectionnelle du 10 août siégera à côté de la Commune légale avant de la supprimer.

  166.  

    Rue Neuve-des-Capucines.

  167.  

    Thiroux de Crosne était de la Loge des Amis réunis ; Veytard, de l'Heureuse Réunion, Orient de Lille.

  168.  

    Malgré la condescendance dont il avait fait preuve, Louis Thiroux de Crosne, après les assassinats de Foullon et de Bertier, fut pris de frayeur, et, en dépit des objurgations de Bailly, quitta le Comité des Subsistances, sollicita du Maire une mission et partit pour l'Angleterre. Rentré en 1790, il fut arrêté pendant la Terreur et guillotiné le 9 floréal an II (28 août 1794). Dans le réquisitoire de Fouquier-Tinville, il lui fut reproché « d'avoir fait partie du Complot de la Cour contre le peuple. » Il déclara n'avoir jamais rien connu de ce complot. — Thiroux de Crosne et Thiroux de Gervilliers son frère étaient membres de la Loge des Amis réunis.

  169.  

    Bailly, *Journal*, II, p. 132.

  170.  

    Ibid.

  171.  

    « Heureusement nous n'eûmes pas le temps de réfléchir et d'avoir peur, dit Dusaulx ; si la peur nous eût gagnés, que devenait Paris ? Quelques-uns commençaient à dire dans notre Comité que cette affaire était plus sérieuse qu'on ne l'avait crue d'abord ; mais il n'était plus temps de revenir sur ses pas. »

  172.  

    Jérôme-Louis Trudon, notaire, 60, rue Saint-Antoine, membre de la Loge de Saint-Charles des Amis réunis, O. de Paris.

  173.  

    Dufour, avocat au Parlement, rue des Juifs, faubourg Saint-Antoine, était officier du G. O., député de l'Heureuse Alliance O. d'Uzerches. Anne-Clément-Félix Champion de Villeneuve, avocat au Parlement et aux Conseils, 64, rue Saint-Antoine, était député de la Modération, O. de Paris, dont le Vénérable était Étienne-Louis-Hector Dejoly. A.-C.-F. Champion de Villeneuve, né à Versailles, le 3 novembre 1759, fut Ministre de l'Intérieur le 21 juillet 1792. Il mourut aux Pet***-Boulands le 25 avril 1844. Louis-Hector Dejoly, dont le rôle maçonnique était considérable et qui habitait porte à porte avec Adrien du Port, rue du Grand-Chantier, avait été le défenseur de Cagliostro. Né à Montpellier, le 22 avril 1756, il fut Ministre de la Justice ; il épousa en premières noces Marie-Éléonore Michaud et en secondes noces Marie-Colombe Viet. Il mourut à Paris, rue Saint-Pierre Montmartre, le 3 avril 1837.

  174.  

    Dans son rapport au Comité des Recherches sur la Conspiration de la Cour contre la nation, Garran de Coulon rendit une sorte d'hommage à Sombreuil en comparant sa conduite à celle du Gouverneur de la Bastille : « Le Commandant des Invalides, dit-il, ne balança pas à se prêter aux vœux du peuple... Le Gouverneur de la Bastille seul, etc., etc... »

  175.  

    Dans cette lettre qui dénotait de la part de son auteur une dose de naïveté et de présomption dépassant les limites ordinaires, Ducrest vantait ses propres talents, se déclarait seul capable de régénérer la France et s'engageait, si le Roi le nommait Ministre, à accomplir cette grande œuvre, dans le plus bref délai, sans violence, sans nouveaux impôts et sans convoquer les États-Généraux. La missive fut remise au Roi par le duc d'Orléans ; celui-ci, en sentant le ridicule, avait dit au signataire : « Vous n'avez oublié dans votre éloge que de vous vanter d’être le plus joli homme de France. » Des copies de cette lettre circulèrent dans le monde et attirèrent sur son auteur une foule de sarcasmes. On doit pourtant reconnaître que cette présomptueuse assurance de Ducrest découlait de la parfaite connaissance qu'il avait de tout ce qui se tramait contre la monarchie. « Personne mieux que moi, écrivait-il, le 18 août 1787, ne connaît les suites de la fermentation qui existe dans toutes les têtes. La convocation des États-Généraux sera le tombeau de l'Autorité Royale. » C'est Brissot, un autre commensal du Palais d'Orléans, ce « palais de boue », comme il le désignait, bien qu'il lui dût sa fortune politique, qui a parlé le plus longuement de Ducrest, (*Mémoires*, II ; 455. Voir aussi la *Correspondance de Grimm*.) Le marquis Ducrest était né à Autun en 1747. Il émigra, puis rentra bientôt en France pour engager contre le duc d'Orléans, auquel il réclamait 12.000 livres de pension, un procès qu'il gagna. Il mourut en 1824.

  176.  

    *Journal*, I, p. 56. Bailly était secrétaire de l'Assemblée et Target président.

  177.  

    Funck-Brentano : *Liste des prisonniers enfermés à la Bastille*, et Fernand Bournon : *La Bastille*.

  178.  

    D'après Dusaulx. Rappelons aussi qu'en 1775, lors de l'émeute qui eut lieu à Paris, le bruit circula que les mutins avaient le projet de s'emparer de la Bastille, et que le maréchal de Biron prit en conséquence des dispositions sévères. « On les avait généralement ridiculisées comme fondées sur des craintes d'un événement physiquement impossible. » disait la relation que nous avons déjà citée et qui parut à Londres en 1776.

  179.  

    « Des considérations d'équité firent rejeter ma proposition, ajoute Besenval, et la Bastille fut prise. » (*Mémoires de Besenval*, III, p. 416.)

  180.  

    Les armes et les munitions de la Bastille étaient en grande partie inutilisables. Les quinze canons des tours sur affûts de marine ne pouvaient braquer en bas ; ils étaient d'un déplacement angulaire presque impossible et n'avaient pas de boulets de calibre, n'ayant jamais servi qu'à tirer des salves. Il y avait, en outre, depuis le 15 juin environ, dans la grande cour, en face de la porte d'entrée, trois autres pièces de campagne, de 4 livres de balles, chargées à mitraille ; 12 fusils de remparts, dits « Amusettes du Comte de Saxe », portant chacun 1 livre 1/2 de balles, dont six en état, mais ne pouvant être utilisés, les embrasures étant trop étroites. Il y avait de la poudre en grande quantité, mais on manquait de balles pour les fusils.

  181.  

    Ces canons furent un prétexte heureux pour l'insurrection, comme le signale Bailly en notant au cours de son récit de la journée du 15, quand il arrive avec la députation de l'Assemblée Nationale, « que ces canons de la Bastille avaient été utiles et nécessaires ; s'ils n’y avaient pas été, nous ne serions pas à l'Hôtel de Ville. »

  182.  

    Chaton, membre de l'Union des Bons Français à l'Orient de Paris.

  183.  

    Billeford, de la Loge militaire de Sully à l'O. du Régiment de Toul-Artillerie,

  184.  

    L'abbé Fauchet était de la Loge du Contrat social, comme nous l'avons déjà dit.

  185.  

    Bailly (II, p. 151) a examiné la question de savoir si Launey avait été coupable envers le peuple, et, après une foule d'arguments pour et contre, il n'a pas conclu. « On l'accuse d'une trahison détestable, c'est d'avoir fait entrer un nombre de personnes dans la cour et de les avoir fait fusiller. Il n'y a point de preuves au procès-verbal ; mais le cri public en dépose, et cette prévention vraie ou fausse justifie la fureur du peuple... On ne peut douter qu'il n'eût des ordres de se défendre jusqu'à l'extrémité. Jusqu'à quel point devait-il exécuter ces ordres ? C'est ce qui était très délicat, etc., etc. » Et plus loin : « Il n'a pas eu connaissance des députations qui lui ont été envoyées ; mais il fallait qu'il demandât de lui-même à traiter avec la Ville. »

  186.  

    Milly et Poupart de Beaubourg, des Amis réunis à l'O. de Paris.

  187.  

    Joannin, Vénérable de la Constante Vérité à l'O. de Paris,

  188.  

    Moreton de Chabrillan, membre de la Candeur à l'O. de Paris, et Vénérable de la Parfaite Union à l'O. de Roussillon-Cavalerie.

  189.  

    Élie n'était pas en uniforme au commencement de la journée, mais alla le revêtir pour se joindre aux Gardes-françaises. Jacob-Joseph Élie naquit à Wissembourg le 25 juin 1746. Enrôlé le 2 décembre 1766 et congédié huit ans après, il entra au Régiment de la Reine le 5 juillet 1781 ; il y fut porte-drapeau le 1er août 1788. Général de brigade, le 30 juillet 1793, Divisionnaire le 3 septembre suivant, il fut réformé le 10 mai 1797 et retraité le 21 juin 1811. Il mourut en 1825 à Varennes en Argonne.

  190.  

    *Moniteur* (LV, p. 628). Michelet a dit aussi : « La Bastille ne fut pas prise, il faut le dire, elle se livra. Sa mauvaise conscience la troubla, la rendit folle et lui fit perdre l'esprit. »

  191.  

    Bailly (II, p. 151) a examiné la question de savoir si Launey avait été coupable envers le peuple, et, après une foule d'arguments pour et contre, il n'a pas conclu. « On l'accuse d'une trahison détestable, c'est d'avoir fait entrer un nombre de personnes dans la cour et de les avoir fait fusiller. Il n'y a point de preuves au procès-verbal ; mais le cri public en dépose, et cette prévention vraie ou fausse justifie la fureur du peuple... On ne peut douter qu'il n'eût des ordres de se défendre jusqu'à l'extrémité. Jusqu'à quel point devait-il exécuter ces ordres ? C'est ce qui était très délicat, etc., etc. » Et plus loin : « Il n'a pas eu connaissance des députations qui lui ont été envoyées ; mais il fallait qu'il demandât de lui-même à traiter avec la Ville. »

  192.  

    Jean-Hyacinthe Asselin, fusilier invalide,

  193.  

    Pierre Dumont, fusilier invalide,

  194.  

    Et non pas Fortuné, comme on l'écrit généralement,

  195.  

    Antoine-Jérôme de Losme-Salbray, né à Paris, le 12 novembre 1731, fils de Jérôme, avocat, et de Marie-Anne Salbray ; reçu en 1750 dans les Gardes du corps. En fonction à la Bastille depuis le 5 mai 1782.

  196.  

    Anne-Gédéon Laffitte, marquis de Pelleport, né à Stenay le 11 mai 1754, mort à Paris vers 1810. Il était fils de Gabriel-René et de Marie-Catherine Chabrignac de Condé, Élisabeth Salomé Lienhard, qu'il épousa, se remaria, après divorce, avec Bernardin de Saint-Pierre, en octobre 1800. Ancien officier réformé, Pelleport avait été enfermé à la Bastille, du 11 juillet 1784 au 3 octobre 1788, comme auteur de nombreux pamphlets, en particulier contre la Reine.

  197.  

    Charles-Henry Geoffroy de Jean de Mauville, né à Paris, le 8 novembre 1754, était frère de Mme de Sabran qui plus tard épousa le Chevalier de Boufflers. Il mena une vie aventureuse, au cours de laquelle il avait été enfermé aux îles Sainte-Marguerite et à la Bastille.

  198.  

    Pierre-Joseph de Miray, né à Avignon vers 1741, fils d'un Chevau-léger du Pape. Enrôlé dans les Gardes-françaises le 22 mars 1768 ; après avoir été lieutenant aux Invalides, il entra en fonction à la Bastille en 1787. Il avait épousé, le 26 septembre 1770, Marie-Françoise Mayet.

  199.  

    Nicolas-Joseph Person. C’est dans la poche de cet officier qu'on trouva la croix de Saint-Louis qui fut donnée au Garde-française Dubois et que celui-ci rendit à Lafayette, le 7 septembre 1789. Né vers 1723, fils d'un laboureur de Champagne, il devint lieutenant d'Infanterie et Chevalier de Saint-Louis.

  200.  

    Comme on le voit, on ne s'occupe que de la garnison. M. Bournon (op. cit.) fait justement remarquer que le souci de délivrer les prisonniers enfermés dans les cachots de la Bastille avait été pour si peu de chose dans l'esprit des émeutiers qu'on faillit les oublier.

  201.  

    Pierre-Augustin Hulin naquit à Paris, rue de la Grande-Friperie, le 6 septembre 1758. Il était fils d'Augustin, marchand, et de Anne-Françoise Trognon. En premières noces, il épousa Louise-Victoire Demachy, fille de Pierre-Antoine Demachy, professeur de peinture. Après avoir divorcé, Hulin épousa, le 30 prairial an II, à Meauce, arrondissement de Nevers, Jeanne-Louise Tiersonnier. Il n'eut pas d'enfants et mourut 73, rue du Cherche-Midi, le 9 janvier 1841. Il avait adopté, le 17 juin 1835, son neveu Henri Hulin. Engagé à treize ans au Régiment de Champagne, Hulin passa dans celui de Navarre, et le 15 novembre 1787 prit son congé dans les Gardes-suisses. Il entra alors, en qualité de commis, dans la buanderie de la Briche, près Saint-Denis. Ayant repris du service pendant la Révolution, il devint Général de brigade. On connaît son rôle dans l'exécution de l'infortuné duc d'Enghien.

  202.  

    On peut se faire une idée de la variété des détails contradictoires qui circulaient au sujet de ces événements, par le récit d'un député de la Noblesse de la Sénéchaussée de Marseille (Sinéty) que j'ai publié dans la *Revue de la Révolution*, II, p. 69. « Le grenadier qui entra le premier à la Bastille trouva de Launey caché dans une cheminée. » Une autre version fantaisiste se trouve dans la *Révolution française racontée par un Diplomate étranger*, le bailli de Virieu (publié par le vicomte de Grouchy et Guillois). « De Launey s'était retiré dans un cachot obscur ; on le cherchait vainement partout lorsqu'un Garde-française nommé Petitbeau y entra par hasard ; il tâte, il sent un corps et interroge : Qui êtes-vous ? — Un prisonnier. — Eh bien, malheureux, revois la lumière ! — Il l'emmène, mais un uniforme, une croix de Saint-Louis, font bientôt reconnaître de Launey. On le prend au collet, on le fait prisonnier. Bientôt, on entraîne hors de la forteresse tous ses défenseurs. On place de Launey sur une poutre, on lui soutient la tête et l'on marche en triomphe sur la place de la Grève. Les assaillants de la Bastille arrivèrent bientôt en vainqueurs devant l'Hôtel de Ville, précédés d'une populace énorme qui criait : Victoire ! Vainement de Launey demanda la vie, on lui trancha la tête qu'on plaça sur une fourche et qu'on promena dans Paris, au milieu des acclamations de joie. Ce furent les femmes qui en témoignèrent le plus. Le Garde-française Petitbeau reçut de la main des citoyens la croix de Saint-Louis qu'on avait arrachée à de Launey et, quoique blessé, on le mena en triomphe dans les rues de la capitale ; on le montra au Palais-Royal. » D'autre part, Cholat, que nous retrouverons lors de l'arrestation de Bertier, prétend que c'est lui qui arrêta Launey qu'il connaissait bien. Or, cette prétention semble hasardée, car un peu avant la reddition de la Bastille, Cholat avait arrêté Clouet, régisseur des poudres de l'Arsenal, croyant s'emparer de Launey. Enfin, Bailly dit bien que ce fut un Garde-française nommé Arné qui arrêta Launey, mais ne parle pas de Maillard.

  203.  

    Michelet, dans un passage que nous aurons l’occasion de citer, a nié cet incident, raconté par Hulin, sans apporter d'autre raison pour le contester que les « précédents » de Launey.

  204.  

    D'après le *Moniteur*, ces paroles auraient été adressées à Élie.

  205.  

    Hulin reprit ses sens dans un café voisin de la potence, près du Coin-du-Roi. Dans son rapport sur les journées des 13 au 18 juillet 1789, l'abbé Lefebvre raconte : « Sur les 6 heures, un peuple immense, armé de toutes pièces, venant de la Bastille, arrive sur la place de Grève ; au milieu d'eux était M. de Launey, le Gouverneur. Là, après avoir été massacré à coups de fusils, baïonnettes, etc., par le peuple, on lui coupa la tête devant la porte de la Ville, sous les fenêtres de mon magasin. » *Arch. Nat. C. 134*. D'autre part, Dusaulx (p. 301) dit que l'abbé Lefebvre fut témoin involontaire de ses derniers moments et lui avait dit : « Je l'ai vu tomber, sans pouvoir le secourir ; il se défendit comme un lion ; et si dix hommes seulement s'étaient conduits de même à la Bastille, elle n'aurait pas été prise. » L'abbé Guillaume-Louis Lefebvre appartenait à la famille d'Ormesson. Chapelain de Sainte-Marie-l'Égyptienne, Électeur du Clergé, il fut chargé du magasin militaire de l'Hôtel de Ville en 1789, et c'est en cette qualité qu'il distribuait de la poudre aux émeutiers. Il prêta le serment à la Constitution civile du Clergé et mourut à Paris, aux Incurables, le 6 avril 1821. Devant le Châtelet, Joseph-Antoine Manini (44 ans), né à Milan, déclara : « Le 14 juillet 1789, à la prise de la Bastille, je suis venu derrière Launey à la maison commune : je l'ai vu assommer avant d'entrer et traîner par les pieds pour lui couper la tête avec un sabre tenu par deux personnes. »

  206.  

    Tous les récits ne sont pas d'accord sur le nombre des invalides ; les uns disent 18, les autres 22 et même 30. Tous sont d'accord sur le nombre des Suisses.

  207.  

    D'après Pitra, les Suisses à genoux imploraient la pitié et les invalides embrassaient les pieds d'Élie.

  208.  

    Pendant qu'on formulait contre lui cette accusation, Flesselles mangeait une croûte de pain « pour se donner une sorte de contenance, dit Pitra, et pour qu'on ne pût voir l'altération de son visage ; il avait peine à l’avaler ».

  209.  

    Carré était un des trois Commissaires du quartier du Palais-Royal. Il habitait rue Saint-Honoré près les Jacobins. Les deux autres étaient Sirebeau et Prestat.

  210.  

    D'après le *Moniteur*, il aurait dit : « Je vois bien que je ne vous plais pas et je me retire. »

  211.  

    Pitra ajoute formellement : « Plusieurs personnes ont dit avoir lu la lettre dont elles apportaient des versions presque toutes différentes, mais jamais on ne l'a représentée : je suis fondé à croire que cette preuve de la trahison du Prévôt des Marchands n'a jamais existé et qu'on lui a imputé ce délit pour justifier le crime de sa mort » (p. 29). La version qu’on mit après coup en circulation fut qu'on avait trouvé sur Launey un billet de Flesselles ainsi conçu : « J'amuse les Parisiens avec des cocardes et des promesses : tenez bon jusqu'à ce soir ; vous aurez du renfort. » Cette histoire, fabriquée de toutes pièces, a été adoptée par certains écrivains qui y ont ajouté maints détails erronés.

  212.  

    La plupart des gravures du temps représentant le meurtre de Flesselles placent la scène sur les marches de l'Hôtel de Ville, ce qui est en contradiction avec tous les récits des contemporains.

  213.  

    Un des frères Morin, de Charleville, petit marchand de bijoux, rue du Cloître-Saint-Germain-l'Auxerrois, d'après une note de Naigeon. (*Mém. Bailly*, I. Edit. Berville et Barrière, 1822.) À titre de renseignement, relevons le signalement du meurtrier de Flesselles donné par Nougaret : « J’atteste, dit-il, ... que c'était un jeune homme roux, » Le récit fantaisiste de la mort du Prévôt des Marchands que l'on trouve encore dans le livre du bailli de Virieu mérite d'être cité : « Flesselles, dit ce diplomate (op. cit., p. 118), sentant sa mort prochaine, chercha à s'enfuir : tout déguisement fut inutile, on l'atteignit, on le mena au milieu de la place. Là, il s’agenouilla, il supplia pour obtenir la vie. Le peuple fut inexorable, l'arrêt était prononcé ; on lui brûla la cervelle, etc., etc. »

  214.  

    Les chiffres sont identiques pour le *Moniteur* et Dusaulx : tués : 83 ; blessés : 75. Total : 158, et non 171. Le nombre de veuves est de 19.

  215.  

    Dans un volume publié en 1890 et intitulé *Les Hommes du 14 Juillet, Gardes-françaises et Vainqueurs de la Bastille*, Victor Fournel a recueilli une foule de renseignements intéressants sur cette Journée.

  216.  

    La répartition des domiciles des vainqueurs de la Bastille s’établit ainsi : 421, dans le faubourg Saint-Antoine : 12, rue de Bercy ; 36, rue de Charonne ; 44, rue de Charenton ; 53, rue de Lappe ; 7, rue de Montreuil ; 24, rue de la Roquette, et 215, rue du Faubourg-Saint-Antoine et rues adjacentes. La plus grande partie des autres étaient du Marais. Je suis parvenu à déterminer la profession, — du moins celle qu'ils ont déclarée, — et l'adresse de 664 d’entre eux. La profession qui en a fourni le plus est celle des menuisiers (91) ; viennent ensuite : 45 ébénistes, 28 cordonniers, 28 gagne-deniers, 27 sculpteurs, 23 ouvriers en gaze, 14 marchands de vin, 11 ciseleurs, 9 bijoutiers, 9 chapeliers, 9 cloutiers, 9 marbriers, 9 tablettiers, 9 tailleurs, 7 teinturiers et des quantités moindres des autres corps d'état. Les marchands de vins figurent aussi au nombre des assiégeants : Bertaut, à l'Hôtel de la Force ; Brière, 125, faubourg Saint-Antoine ; Caquet, Au Cheval Blanc, place de la Bastille ; Lacroix, 42, rue de Lappe ; Prévost, 74, rue de la Roquette. Lalande, marchand de bois, au coin de la rue de la Roquette, près de l'Hôtel de l'Arquebuse, et Thirion, 6, rue Saint-Nicolas Saint-Antoine, avec quatre ou cinq garçons de chantier, paraissent avoir été les sergents et les caporaux du contingent du quartier Saint-Antoine. En dehors des ouvriers et de leurs contremaîtres, on trouve 5 ou 6 employés du Mont-de-Piété ou de la Loterie, 1 architecte, 2 ingénieurs, 2 étudiants en droit, 1 musicien et 1 maître de danse ; 1 marchand de cannes, 1 bouquiniste et 1 marchand de baromètres ; une douzaine de bourgeois et à peu près autant de pet*** commerçants ; Curtius, le propriétaire du musée de cire ; et même un franc-maçon, le sieur de Sainte-Agathe, employé à l'Arsenal, chez le duc de Luxembourg, membre de la Loge Henri IV, O. de Paris, et député de la Parfaite Égalité, O. de Liège, et de la Triple Unité, O. d'Alby.

  217.  

    26 du 3e bataillon fusiliers Lubersac n° 6 et 39 du 3e bataillon grenadiers Reffuveille n° 11. Leurs noms furent donnés dans les relations du temps.

  218.  

    Palloy était membre de la Loge Saint-François du Parfait Contentement, souverain prince Rose-Croix de la Société des Amis de la Jeunesse et de l'Humanité.

  219.  

    C'est lui qui, en qualité de Colonel-général des Gardes du Roi, écrivit le 14 juillet, à Legrand de Saint-René, membre du Comité insurrectionnel, qu'il avait donné des ordres pour faire relever le détachement de ses soldats qui se trouvait à l'Hôtel de Ville. Le duc du Châtelet donnera sa démission le 16 juillet suivant.

  220.  

    Pendant les journées de juillet, il était assisté du franc-maçon Poupart de Beaubourg et de Jacques-Philippe Pelletier de l'Épine, Maître des Requêtes du duc d'Orléans, dont j'ai été à même de constater la présence à la tenue du G. O. du 24 juin 1786, en qualité de visiteur. Fournier avait aussi des accointances avec Latouche, qu'il rencontrait chez la marquise de S.-G.

  221.  

    Bien que je n'aie pas trouvé à quelle Loge appartenait Maillard, je ne doute pas qu'il ait été franc-maçon, car il existe au moins deux signatures de lui agrémentées des trois points symboliques : une du 9 juillet 1790 et une autre du 2e jour du 2e mois de l'an II.

  222.  

    Il était présidé par le duc de Luxembourg, Grand Administrateur du Grand Orient, admirateur de Cagliostro, des Martinistes de Lyon et de la Stricte Observance, Vénérable des Loges militaires du Régiment de Hainaut, etc... Le capitaine commandant de l'Arc était le franc-maçon Coconnier, ancien vénérable et député de Saint-Julien de la Tranquillité (Orient de Paris) et le roi et capitaine commandant de l'Arquebuse était le franc-maçon Marie, de la Loge Henri IV à l'Orient de Paris. Parmi les simples membres de la corporation figurent le franc-maçon Oudaille, ancien vénérable de Saint-Charles et Saint-Spire des frères de l'Union à l'Orient de Paris. En 1789, sans compter les grands officiers, la Compagnie de l'Arc, rue Saint-Maur, comprenait 34 membres, et celle de l'Arquebuse, rue de la Roquette, 25 membres, y compris l’aumônier, le chef de musique et le concierge. L'Ordonnance de 1786 de la Compagnie de l'Arc de la Ville de Paris semble avoir servi de modèle, pour certains articles, à l'organisation de la Milice.

  223.  

    Ces qualificatifs figurèrent dans presque tous les comptes rendus de cette journée. Voir : Bailly, Dusaulx, le Moniteur, etc.

  224.  

    On peut facilement se convaincre que quelques individus qui n'étaient même pas à Paris à ce moment-là se vantèrent d'y avoir joué des rôles brillants. Tel fut Marat qui, suivant Brissot (*Mémoires*, I, p. 362), vint, trois mois après l'événement, lui demander d'insérer dans le *Patriote français* le récit pompeux d'un fait qui se serait passé sur le Pont-Neuf dans la journée du 14 et dont Marat se prétendait le héros, « parce que, dit Brissot, personne n'en ayant été témoin, il pensait que personne ne pouvait le contredire. » Il s'agissait d'une troupe de hussards et de dragons que Marat, par une simple harangue, aurait subjuguée et menée à l'Hôtel de Ville. Ce fait que Brissot tenait pour controuvé et qu'il n'inséra que par complaisance (en supprimant toutefois le nom de Marat pour rester dans les limites de la vraisemblance) figure au *Moniteur* dans le *Récit des événements qui ont suivi la prise de la Bastille* et, comme beaucoup d'autres aussi peu vrais, a été recueilli là par une foule d’historiens de toutes nationalités, comme un des incidents les plus glorieusement caractéristiques de cette journée.

  225.  

    Le coin de la rue Saint-Denis le plus près de la Seine (n° 121 actuel) ; l'autre coin faisant alors partie du Cloître Sainte-Opportune. Sauf quelques arrangements dans l'escalier, la maison n'a subi aucune modification.

  226.  

    Déposition de Guillaume Curtius (95e témoin, affaire des 5-6 octobre). « Déclare que le 12 juillet à 4 heures du soir une foule énorme s'est présentée chez lui au boulevard pour avoir les bustes d'Orléans et de Necker. « Demande fut faite par des personnes fort bien mises, à côté desquelles était un Savoyard ayant un bonnet noir sur la tête qui s'est chargé du buste de M. d'Orléans, et un jeune homme assez bien mis qui s'est chargé de celui de M. Necker. « On lui rendit le buste d'Orléans le lendemain et celui de Necker six jours après. « À entendu dire que le Savoyard avait reçu un coup de baïonnette dans le creux de l'estomac et avait été six semaines à l'Hôtel-Dieu. « Et que le jeune homme avait été tué place Vendôme par un coup d'arme à feu. »

  227.  

    Le cortège parti de chez Curtius, boulevard du Temple, suivit les rues Saint-Martin, Grenétat, Saint-Denis, de la Ferronnerie, Saint-Honoré.

  228.  

    Pont de la Concorde.

  229.  

    Les têtes de Miray et de Person furent aussi promenées par la ville, mais l'on ignore ce qu'elles devinrent. Celles de Flesselles et de Launey arrivèrent au Châtelet vers 11 heures du soir. On les accrocha à deux crocs fixés dans le mur. Les cadavres des 7 victimes (Losme, Asselin et Becquart n'avaient pas été décapités) furent traînés par les rues jusqu'à minuit, heure à laquelle les vainqueurs, fatigués, les abandonnèrent place de Grève. Pierre-Nicolas Houdan, bourgeois et secrétaire de la Compagnie d'Arc de Paris, demeurant rue du Mouton, en conduisant la patrouille bourgeoise du District Saint-Jean-de-Grève, les trouva et les fit porter au Châtelet. (*Arch. Nat. C. 134, pièce 16*.) Le premier cadavre sans tête était vêtu d'un habit veste, culotte et bas de soie noire, d'une chemise fine ; il n'avait pas de souliers. (Flesselles.) Le deuxième sans tête était vêtu d'une veste de drap rouge, d'une culotte de nankin à boutons d'uniforme et de bas de soie fond bleu mouchetés de noir. (Launey auquel on avait enlevé son frac gris blanc.) Il fut inhumé le 17 à l'hôpital Sainte-Catherine. Le troisième sans tête n’avait que sa chemise, une culotte et des bas de fil blanc. (Person.) Le quatrième sans tête avait pour tout vêtement une chemise ensanglantée, une culotte et des bas noirs. (Miray.) Le cinquième, vêtu d'une chemise, culotte bleue avec des guêtres blanches, avait des cheveux bruns et paraissait âgé de 40 ans. Il avait de fortes contusions à la gorge, et un poignet en partie coupé. (Becquart.) Le sixième, vêtu d'une chemise avec une culotte et des guêtres blanches, avait de fortes contusions à la gorge. (Asselin.) Le septième, vêtu d'une chemise avec une culotte et des bas de soie noire, « était entièrement défiguré, fracturé et le corps couvert de coups de baïonnette. » C'était celui de Losme qui fut reconnu le lendemain par son domestique Louis Périn. (*Procès-verbal du commissaire Lucotte. Arch. Nat. V. 14.604*.) On vint rechercher le 15 au matin les têtes de Flesselles et de Launey. Elles furent rapportées le 15 au soir. Ceux qui les rapportèrent exigèrent encore un reçu, et un d'eux déclara que si on les lui refusait le lendemain, il prendrait celle du gardien à la place. Il revint les prendre, le 16, à 10 heures. Pendant 3 jours on promena dans Paris ces hideux trophées. Enfin, le 16, vers 7 heures du soir, des individus se présentèrent chez Jacques-Joseph Delsart, fossoyeur de Saint-Roch. Ils étaient porteurs d'un torchon enfilé dans un bâton. C'était les deux têtes qu'on rapportait ainsi ; les misérables les déposèrent à terre, dénouèrent le torchon, les prirent par les cheveux et les montrèrent au public terrifié. Le fossoyeur les mit dans une petite serre sous la tour du clocher de l'église Saint-Roch, où Salin, chirurgien du Châtelet, vint les visiter ; elles furent enfin portées dans le caveau, sur la demande des habitants assemblés dans l'église. Le commissaire Carré se les fit présenter. (*Arch. Nat. V. 11, 285 et 11.286*.) Les actes de décès de Launey et de Flesselles figuraient dans le *Registre des actes mortuaires de l'hôpital Sainte-Catherine* retrouvé aux Archives de la Seine avant l'incendie de 1871. Grâce à une copie qu'en avait gardée un collectionneur, l'*Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux* put en publier la teneur in extenso en 1875 (*I. des C. et C.*, t. VII, 679.) Ces actes avaient été signés par le greffier de la chambre criminelle du Châtelet le F. Thory, qui habitait cloître Saint-Merri à la Maison-Neuve.

  230.  

    Au Châtelet, il remet la tête contre reçu à un huissier de robe courte, en lui recommandant de ne pas la rendre à d’autres qu'à lui.

  231.  

    J'ai emprunté cette biographie du parfait émeutier à sa propre déposition devant les commissaires Dupuis et Grandin. (*Arch. Nat. Y. 12.823*.) Dénot suivait évidemment les émeutes. Aux 5 et 6 octobre, il était à Versailles. Il prétend n'y avoir tué personne et avoir « seulement pris le soulier de l'un des Gardes du corps pour lui servir de monument des actions de ces deux journées », (*Moniteur*.)

  232.  

    Voir Bailly et journaux.

  233.  

    Le 18 juillet, Bessin, procureur au Châtelet, se présenta à l'Assemblée Nationale, et, s'adressant aux Députés, s'écria : « Messieurs, vous êtes les sauveurs de la Patrie, mais, vous-mêmes, vous avez des sauveurs !... Ce sont les hommes intrépides qui viennent de prendre la Bastille. » Il sollicita ensuite des secours pour ces héros ; une souscription volontaire fut ouverte le même jour. Les Députés de Paris versèrent 45.000 livres, dont 20.000 avaient été remis par l'Archevêque de Paris, Mgr de Juigné ! (*Moniteur*.)

  234.  

    Cette lettre est du 2 septembre 1789.

  235.  

    Nous avons vu plus haut qu'en 1775 le même procédé avait été employé. Il l'a été encore souvent de nos jours en Russie où, au nom du Tsar, on est parvenu à soulever les paysans contre les seigneurs.

  236.  

    Nous devons excepter de ceux-là, outre la plupart des historiens monarchistes de la Restauration, M. F. Bournon en ce qui concerne Bertier. Lafayette, dans ses *Mémoires*, a parlé aussi de la prétendue fuite de Bertier, et dans les termes suivants : « L'Intendant de Paris, dévoué à la Cour, que la conscience de ses dangers bien plus que de ses torts avait déterminé à s'évader... » Quelle confiance peut-on accorder à cette assertion émise par Lafayette dans le même article où, confondant la mort de Flesselles avec celle de l'Intendant, il raconte, avec une inconcevable légèreté, que Bertier fut tué d'un coup de pistolet tiré de la foule ?

  237.  

    Et non Melun, comme on l'a souvent écrit.

  238.  

    *Moniteur*, I, p. 613, et *Journal de Bailly*.

  239.  

    Bailly, *Journal*. Cette déclaration, relatée par Bailly, est confirmée textuellement par les *Mémoires de Lafayette* (II, p. 271). Le Général, à la page suivante, estime à 6.000 le nombre de soldats ayant quitté les drapeaux de l'Armée royale, sans compter 4 à 500 Gardes-suisses et 6 bataillons de Gardes-françaises.

  240.  

    Sur la demande de Lafayette, on les incorpore quelques jours plus tard dans la Garde Nationale avec leur uniforme ; 40 devaient être donnés comme Gardes d'honneur au Commandant général et 400 au corps municipal, avec une solde de 25 sols par jour. Au mois d'août, une motion fut faite au Palais-Royal pour leur assurer une rente viagère de 150 livres, réversible sur leurs veuves.

  241.  

    Il y avait 22 régiments en déplacements, sans parler de 206 hussards de Berchiny qui étaient à Versailles et à Rambouillet, de même nombre de hussards d'Estherazy à Rambouillet et à Compiègne, d'un bataillon du train d'artillerie et de deux bataillons d'ouvriers de Besançon, et de 200 chasseurs de Normandie à Saint-Denis. Dix régiments : Courtin, Castella, Bourbonnais, Provence, Vintimille, Saintonge, Dauphin-Dragon, Mestre-de-camp-Général-Cavalerie, Dauphin-Infanterie, Hainaut, devaient partir le 17. Casernés à Saint-Denis, Meaux et La Ferté-sous-Jouarre, ils avaient à regagner leurs garnisons du Nord et de l'Est (Douai, Saint-Omer, Condé, Aire, Givet, Charleville, Montmédy, Sarrelouis, Philippeville, Metz et Nancy) pour arriver à destination entre le 24 juillet et le 7 août. Le 18 juillet, dix autres régiments, presque tous étrangers, devaient quitter à leur tour, l'un Brie-Comte-Robert, les autres Saint-Denis (Vigier, Châteauvieux, Salis-Samade, Diesbach, Reinach, Nassau, Bouillon, Royal-Allemand, Royal-Dragon et Lauzun), et rejoindre entre le 29 juillet et le 31 août leurs garnisons : Arras, Maubeuge, Douai, Verdun, Commercy, Metz, Toul et Nancy. Le 19, les Chasseurs de Flandre devaient partir de La Ferté-Champenoise pour arriver le 31 à Sarreguemines ; Berchiny devait se rendre à Charleville et Estherazy à Rocroi. (*Archives de la Guerre*.)

  242.  

    Bonneville, dont nous avons déjà signalé le rôle dans l'organisation de l'insurrection, se portera, dès le 16, avec les pouvoirs du Bureau des Subsistances, sur Vernon, Mantes et Meulan. Il sera revenu le 20 et repartira pour Rouen ; il dut suivre de très près l’Intendant à Mantes et à Meulan, tandis que Deleutre, qui s'était donné la même mission dans la région de Senlis, l'y précédera. Le rôle rempli par ces deux francs-maçons dans les événements du 14, permet de penser que leur mission ne fut pas seulement destinée à assurer les approvisionnements, mais qu'ils furent de ces nombreux émissaires dont parle Lally-Tollendal, qui étaient envoyés partout pour semer l'agitation et donner au peuple le mot d'ordre révolutionnaire. Ce fut un rôle analogue qui fut confié, quelques jours plus tard, à l'acteur Bordier, qui essaya à Rouen de pousser la populace à massacrer l'Intendant Maussion. Mais celui-ci eut la possibilité de se défendre et de faire pendre Bordier, (Voir G. Bord, *La Prise de la Bastille*, p. 170.)

  243.  

    Indépendamment du hasard qui le rendit témoin des morts de Foullon et de Bertier, le célèbre auteur du *Paysan Perverti*, Restif de la Bretonne, semble avoir eu des renseignements particuliers sur les circonstances qui ont entouré l'arrestation et les meurtres de ces deux personnages et il fournit à ce sujet des détails peu connus, qu'on trouve consignés dans la *VIe Nuit de Paris* ou III, CLXXXV 22me addition. (*B.N. Réserve, Y2 229, la Semaine nocturne*, Paris, Guillot.) — Il explique ainsi le voyage de Bertier, et sa version n'est pas en contradiction avec celle donnée par l'Intendant. « Je vais parler d'après un témoin sûr, écrit-il. L'Intendant de Paris avait pris des blés au compte du gouvernement et les avait distribués dans les Provinces sur les bons des Subdélégués et des autres sous-administrateurs. Pressé de rendre ses comptes, il ramassa tous ces différents bons. Il se souvint à Soissons, où il était chez sa fille, Mme de Blossac, qu'il avait un bon de 45.000 fr. à prendre à Compiègne... »

  244.  

    Les historiens locaux de Compiègne ont consigné un différend qui s'éleva, en 1773, entre le Conseil de la Ville et l'Intendant Bertier de Sauvigny père (le fils n'était alors qu'adjoint) au sujet de réverbères exigés pour l'éclairage de la ville en raison des fréquents séjours du Roi. Il serait puéril de prétendre que cet incident, vieux de 16 ans, dans lequel l’Intendant n'était pas sorti des limites de ses attributions et n'avait rempli d'ailleurs que le rôle d'intermédiaire, ait eu une influence quelconque sur les sentiments des habitants de Compiègne à son égard au moment dont nous parlons.

  245.  

    Voir Ire Partie, chap. iv.

  246.  

    Antoine de Pronnay, né en 1737, fils de Gilles-Antoine-François de Sales de Pronnay, seigneur de Desmarets et Thourotte en partie, et de Marie-Jeanne Constant. Président du Tribunal de Compiègne, il fut, en 1791, nommé juge au Tribunal de Cassation et mourut le 17 août 1794. Son frère, religieux de l'Ordre de Cluny avant 1789, se fait remarquer souvent à la Société des Amis de la Constitution de Compiègne.

  247.  

    Archives de la Ville de Compiègne.

  248.  

    Il s'agissait d'une note écrite par Joly pour informer la municipalité que Bertier était entré dans la maison de Pronnay. Cette note ne se trouve pas dans les Archives, ni le nom de Joly. Il est cependant certain que ce dernier a bien existé et qu'il a eu des démêlés avec les fils de Bertier, qui ont obtenu sa cond***ation devant les tribunaux.

  249.  

    Les autorités de Compiègne, en 1789, étaient ainsi constituées : de Lancry père, Lieutenant pour le Roi au Gouvernement de Compiègne ; Poulthier, Président de l'Élection ; Perron, notaire, Procureur du Roi ; De Crouy, Receveur particulier des Finances ; De Pronnay, Lieutenant général du Bailliage, subdélégué de l'Intendant, et Constant, greffier du subdélégué. (Les audiences avaient lieu à la Subdélégation tous les lundis à 10 heures du matin.) Le Bureau de la Ville était composé de : Le Caron de Mazencourt, Lieutenant de Maire (de Crouy, maire, était mort dans les premiers mois de 1789, et l'intérim était fait par Le Caron). Carbon, premier Échevin ; Motet, deuxième Échevin ; Godart-Desmarest, premier assesseur ; Herbet, deuxième assesseur ; De La Vallée de Calfeux, Procureur du Roi ; Penon, Secrétaire greffier ; Poulain de La Fontaine fils, adjoint ; Delaplace, Receveur de la Ville et premier huissier ; et Dupré, huissier, La Police de la Ville était faite par Prévôt, Commissaire, assisté de quatre sergents de ville.

  250.  

    Louis-Joseph Stanislas Le Féron, né le 15 août 1757 à Compiègne. Cornette au régiment d'Auvergne. Il prit part au siège de Gibraltar en qualité de Garde d'Artois. Il mourut à Paris le 2 août 1791 ; des services solennels furent célébrés en son honneur dans toutes les églises de Compiègne. On peut lire dans le registre des délibérations des Amis de la Constitution de cette ville (manuscrit appartenant au comte Albert de Bertier) les trois projets d'épitaphes qu'on proposa de mettre sur sa tombe. L'un d'eux était celui-ci : « Vrai défenseur de la Constitution, il fit taire l'Aristocrate et enchaîna le Fanatique. » Dans la Séance du 18 octobre, on apprit que la Municipalité s'en était tenue à cette phrase : « Sa mort fut une calamité publique. » On donna à une rue de Compiègne, nommée rue d'Enfer, le nom de rue Le Féron.

  251.  

    Fragments du Journal de Boitel de Dienval, publiés par M. Margry dans le *Courrier de l'Oise*, Septembre 1905.

  252.  

    Cette Loge, inscrite sous le titre distinctif de Saint-Germain, avait été installée par la Grande Loge de France le 4 février 1767. Ses pouvoirs furent renouvelés par le Grand Orient le 27 septembre 1774 ; à cette dernière date, elle ne comptait pas moins de 54 membres. L'en-tête de son tableau, pour 1779, portait comme devise : *Virtute. Meruere. Lumen*. Son premier Vénérable fut Garanger, négociant, ancien Échevin, auquel succédèrent Doisnel, grand vicaire (1774) ; Garanger (1776) ; Bourgeois, curé de Condé-sur-Noireau (Basse-Normandie) (1777) ; Massié de Bourbé (1777) ; Alexandre-Pierre-Gabriel Scellier fils (1779) ; Barbe, procureur au Bailliage (1785-1788) ; Mosnier, maître ès arts de Pension (1789). Sous l'Empire nous trouvons comme Vénérables : Scellier, juge au Tribunal (1808) et Marcilly, Inspecteur général de la Navigation (1813-1814). Le tableau de 1779 comprenait 51 membres se décomposant de la façon suivante : 17 ecclésiastiques (3 curés, 5 bénédictins, 5 dominicains, 3 capucins, 1 cordelier et le Supérieur de la Charité de Senlis) et 34 civils, parmi lesquels figuraient 2 présidents de grenier à sel ; le Procureur au Bailliage ; Le Blanc, maire et subdélégué de Senlis, qui sera Député aux États Généraux ; 2 ingénieurs des Ponts et Chaussées ; 2 notaires ; le lieutenant des maréchaussées, 15 négociants, etc... (Voir G. Bord : *Histoire de la Franc-Maçonnerie en France*... I, p. 422.) En 1789, le personnel, moins nombreux, comprend à peu près les mêmes noms auxquels viennent s'ajouter : Alix, Sommeyvert, Leroux, Poulain de La Fontaine, Poultier, Mathieu, et quatre Scellier dont l'un, digne collègue du sinistre Fouquier-Tinville au Tribunal révolutionnaire, devait périr avec lui. Le Vénérable Jean-Claude Mosnier, d’abord Secrétaire des Amis de la Constitution de Compiègne (19 mai 1791), présida bientôt cette Société (du 25 décembre 1792 au 25 mars 1795). Il était en fonction pendant le procès de Louis XVI. La Société se réunissait chez lui dans la salle d'école. C'est là que, le 20 janvier 1793, Mosnier lut un ouvrage qu'il avait fait sur les crimes des Rois de France depuis la troisième race jusqu'à Henri IV. Ce discours enthousiasma un des membres de la Société, qui lui répondit en le couvrant d’éloges et en déclarant que la « calomnie pouvait bien en effet être comparée à la vipère qui extrait du poison du suc des fleurs dont les abeilles composent le miel ». Mosnier fit un nouveau discours le 24 janvier devant le cénotaphe de Le Peletier de Saint-Fargeau.

  253.  

    Pierre Soudin, bijoutier, rue des Cinq-Diamants, chez Grosjean, marchand de vins. Soudin fut, par la suite, grenadier de la Garde Nationale du bataillon du District Saint Nicolas. Il fut inscrit le sixième sur la liste des vainqueurs de la Bastille. Soudin se trouva au 20 juin parmi ceux qui envahirent les Tuileries. Il se tint constamment dans la pièce où était Louis XVI. (*Affaire du 20 juin, déposition Guibout et Lecrosnier. Revue rétrospective, I, 211, 2e série, et Mortimer-Ternaux, Histoire de la Terreur, Revue historique, 1re année, 1876, p. 497.*) Au sujet de la macabre procession du 22 juillet, voir le 21e tableau de la Révolution française, texte de l'abbé Fauchet. Un homme apporta au Châtelet, à 11 heures du soir, dans une serviette, la tête de Foullon, qui fut mise à côté du corps ramené deux heures auparavant.

  254.  

    Louis Le Dé, garçon cordonnier demeurant rue Saint-Jacques-de-la-Boucherie, chez la Dlle Perrin, aubergiste, et Jérôme Péraudon, garçon perruquier, demeurant chez le sieur Godet, logeur, rue des Rosiers, accusent leurs camarades Louis Payot, compagnon de Rivière (inscrit comme vainqueur de la Bastille sous le n° 327), demeurant rue de la Mortellerie, chez le sieur Barthelemi, traiteur, et Pierre-Thomas Rava, porte-sac à la halle, demeurant rue de Cléry, maison du sieur Avisse, menuisier, d'être les complices de celui qui s'est sauvé avec le produit de la quête. Après discussion, l'affaire s'arrange, sous l'œil paternel de la Police : Payot ayant consenti à donner trois livres à chacun des deux plaignants, le Guet met en liberté les deux bandits. Pendant ce temps, leurs trois complices promenaient toujours le corps de Foullon ; vers neuf heures ils le transportent au Châtelet et le remettent aux guichetiers de service, les sieurs Michel-Louis Nicard, Jean-Baptiste Plé et Claude-Joseph Vieille. Pendant que les misérables s'en vont, les guichetiers portent le corps dans une serre, au rez-de-chaussée, près du poste de garde. (*Arch. Nat. V 13, 172*.)

  255.  

    *Arch. Nat. V II, 967*. Dans le volume publié sous le nom de *Mémoires de Mme Elliot*, il est dit (p. 28) que les traîneurs de cadavres portèrent la tête de l'Intendant chez son beau-père, « où la pauvre Mme Bertier sa femme était en couches. Ils mirent la tête de son mari dans sa chambre, et la malheureuse expira le soir même de frayeur, » Cette macabre anecdote est entièrement controuvée ; la femme de l'Intendant, comme nous l'avons dit, était morte trois ans auparavant, en 1786. — D'après un récit de Mgr de la Myre, évêque du Mans (Claude-Madeleine, né à Paris le 17 août 1755, sacré le 19 mars 1820, mort en septembre 1829), ses sœurs Pauline et Émilie de la Myre, dans la soirée du 22 juillet, revenant en voiture de chez leur grand-mère qui habitait le Marais, firent la rencontre des porteurs de trophées. Ceux-ci trouvèrent plaisant de jeter les deux têtes sanglantes sur les genoux des jeunes filles, frappées d'épouvante. La première devint folle et ne recouvra jamais la raison ; la seconde se fit Carmélite et mourut à Chambéry au début de la Restauration.

  256.  

    Les corps furent remis par la suite à la famille, sans que j'aie pu trouver trace de cette remise dans les documents administratifs conservés dans nos dépôts publics. À l'extrait mortuaire qu'on possède est jointe une note où il est dit « que les corps de MM. Foullon et Bertier sont inhumés au cimetière Sainte-Catherine, faubourg Saint-Marcel, à l'entrée, dans la même fosse, à main droite en entrant, entre l’escalier et la chapelle ».

  257.  

    Elle sera nommée le lendemain matin à 9 heures dans le procès-verbal que dressera Odent en venant mettre les scellés à l'hôtel de la rue de Vendôme, « pour la conservation des droits de tous les intéressés à ladite succession. » Cette créancière est « Marie-Éléonore Martinet, veuve de Charles-Arnoult Wolters, bourgeois de Paris, demeurant rue des Chargeurs, paroisse Saint-Germain-l'Auxerrois, comme gardienne bourgeoise de Charles-Jean Wolters son fils et de Agathe Wolters sa fille, créancière de l'Intendant de Paris, suivant le cautionnement donné par lui pour 6.809 livres dans une obligation de Louis-César, comte de Rochechouart, et de son épouse, passée devant Paulmier, notaire, le 21 décembre 1786, »

  258.  

    *Arch. Nat. V 11, 285*.

  259.  

    L'Intendant qui, depuis la mort de son père, s’intitulait à son tour Bertier de Sauvigny, marquis de Bertier, laissait huit enfants qui sont ainsi désignés dans les pouvoirs remis à leur représentant à la succession : 1° Antoine-Joseph-Louis de Bertier de Sauvigny ; 2° la comtesse de La Bourdonnaye-Blossac ; 3° la vicomtesse de La Myre-Mory ; 4° la vicomtesse de Pardieu ; 5° Pierre de Bertier de Séquigny ; 6° Bénigne-Louis de Bertier ; 7° Anne-Ferdinand-Louis de Bertier ; 8° Blanche de Bertier, qui épousa plus tard M. de Solages.

  260.  

    Elles seront nommées le lendemain matin à 9 heures dans le procès-verbal que dressera Odent en venant mettre les scellés à l'hôtel de la rue de Vendôme, « pour la conservation des droits de tous les intéressés à ladite succession. » Ces gardiennes sont : Catherine-Thérèse Lebrun, veuve de Louis-Michel Dechaux, concierge, et Marie-Anne-Thérèse Robert, femme de Jean-Baptiste Delahaye, serrurier.

  261.  

    La loge l'Intimité de Niort fut constituée par le Grand Orient le 28 juin 1774, pour prendre rang du 6 février. Cette loge avait eu successivement pour Vénérables : Dabut, officier d'infanterie ; Berton, prêtre ; Rouget, Conseiller du Roi, Rapporteur au point d'honneur, et Piet-Berton, Maître particulier de la Maîtrise des eaux et forêts. Son Député à Paris fut Savalète de Lange, de 1776 à 1787. En 1788 et 1789, Savalète avait été remplacé par le comte de Liniers, Mestre de camp d'infanterie.

  262.  

    Garran de Coulon fut Député à la Législative et à la Convention. Jusqu'à la fin de 1792 il prendra part à toutes les mesures révolutionnaires ; mais, après avoir siégé à côté de Robespierre et de Collot d'Herbois, il les abandonnera au moment du procès de Louis XVI et se contentera de voter la réclusion du Roi. Il se fera oublier pendant la Terreur et nous le retrouverons Sénateur et comte de l'Empire. Il mourra le 19 décembre 1816, 28 rue Cassette, à la tête d'une fortune qu'on disait considérable. Veuf de Jeanne-Anne Barrengue, il avait perdu son fils pendant les guerres de l'Empire et eut pour héritière sa fille Félicité-Françoise, épouse de Pierre-Jean Maleszewski.

  263.  

    Il l'énonce d'ailleurs en propres termes au cours de son rapport. « Si les ministres ne sont pas coupables, écrit-il, nous le sommes donc nous-mêmes... l'Assemblée nationale l'est également... l'Administration actuelle de l'Hôtel de Ville l'est aussi... toutes les villes de France qui ont adhéré... le sont encore ? »

  264.  

    Remarquons, pour mémoire, que Foullon, ni Launey, ni Flesselles ne font pas partie des accusés.

  265.  

    Le chevalier de Pange (*Réflexions sur la délation et le Comité des Recherches*, 1790) fait observer qu'on ne peut pas admettre que des soldats qu'on fait venir pour rétablir l'ordre n'aient pas de cartouches, et qu'au compte de Garran, chaque soldat n'aurait eu que 7 cartouches, ce qui était peu, puisque les gibernes pouvaient en contenir 30. Nous avons vu, d’ailleurs, qu'il n'en fut fait aucun usage.

  266.  

    Garran donnera comme argument l'opinion de Paris, de Versailles, de la France, de l'Europe, du Monde... et comme preuve de l'enthousiasme de l'Angleterre, il cite l'Université de Cambridge « qui a donné à ses élèves, pour sujet de l'un de ses prix de latin : *Bastilla expugnata* »,

  267.  

    « *Proximum sacrilegio crimen est quod Majestatis dicitur, Majestatis autem crimen est quod adversus populum romanum, vel adversus securitatem ejus committitur, etc., etc.* »

  268.  

    « Ordonnons, est-il dit dans ce document, article 1er, que ceux qui auront conspiré, machiné ou entrepris contre notre personne, nos enfants et postérité ou la République de notre royaume, soient étroitement et rigoureusement punis, tant en leur personne qu'en leurs biens, tellement que ce soit chose exemplaire à toujours. »

  269.  

    Michelet la qualifiera de « diabolique ».

  270.  

    *Moniteur* des 10 et 11 décembre 1789, p. 348.

  271.  

    Lally-Tollendal, op. cit.

  272.  

    Lally-Tollendal, op. cit. « Le projet de Lally eût été voté, dit aussi Louis Blanc (II, 433), si les membres du Club Breton, si Glezen, Buzot, Robespierre surtout, n'eussent éclaté, »

  273.  

    Déclaration citée Lally-Tollendal, op. cit.

  274.  

    Il est intéressant de constater que la Société d'Agriculture dont l'Intendant était, comme nous l'avons vu, un des principaux protecteurs, préconisait dans certains cas l'emploi comme fourrage des récoltes en vert. Voir à ce sujet au mot verd, *Dictionnaire d'Agriculture*, X, année 1800, l'article de Rougier de la Bergerie qui était, justement en 1789, un membre de la Municipalité.

  275.  

    On se rappelle que le 20 juillet, aussitôt l'annonce de l'arrestation de Bertier à Compiègne, l'Assemblée des Électeurs avait ordonné de mettre les scellés à l'Intendance et que le Commissaire Carré, au milieu de la nuit, avait procédé à cette opération. Mais le lendemain matin de la mort, c'est-à-dire le 23, le Commissaire Odent, qui, comme nous l'avons vu, avait eu le talent une heure après l'assassinat de se faire requérir pour dresser procès-verbal du décès, arrivait, au nom de la créancière qu'il représentait, mettre à son tour les scellés. D'autre part, sur réquisition de la famille, Carré venait faire la même opération et contre-scellait les scellés d'Odent les 28 juillet et 4 août, Carré contre-scella de même les scellés du Commissaire Dassonvillers chez Foullon, Ces conflits amenèrent des plaintes et des procès entre les Commissaires qui voulaient conserver l'affaire. Les *Archives Nationales Y 11.285* contiennent à ce sujet une intéressante procédure, mais dont on ne découvre pas les conclusions. On peut y voir, en tous cas, que Carré, poussé dans ses derniers retranchements, proposa à Dassonvillers de partager les émoluments ; mais celui-ci refusa et porta plainte en accusant son confrère Carré de différents méfaits, entre autres d'avoir antidaté ses opérations. Le dossier contient : 1° Dénonciation de Dassonvillers à M. le Prévôt de Paris, ou à M. le Lieutenant-criminel au Châtelet : 2e Mémoire à la Compagnie des Commissaires au Châtelet : 3e Extrait des opposants aux scellés apposés par le Commissaire Carré.

  276.  

    Toutes les phrases mises ici entre parenthèses ont été rayées dans le procès-verbal.

  277.  

    Archives nationales Y 11,285. — Les scellés chez Foullon avaient été levés le 17 septembre. On déclara qu'au cours de la perquisition « ne s'étaient trouvés aucuns papiers contraires aux intérêts de la Nation ni de la Commune », et on en dressa procès-verbal.

  278.  

    Camille Desmoulins montre au peuple comme un appât : « Quarante mille palais, hôtels, châteaux ! Jamais plus riche proie n'aura été offerte aux vainqueurs ! Les deux cinquièmes des biens de la France à distribuer seront le prix de la valeur ! »

  279.  

    Chez Chamerot, 1847.

  280.  

    Les Cours de Victor Duruy qui ont malheureusement servi à faire l'éducation de plusieurs générations ont également contribué à la diffusion de l'histoire apologétique de la Révolution. Depuis trente ans on a vu pire !

  281.  

    Préface de 1869 à son *Histoire de France*, page X.

  282.  

    Alfred Nettement : *Conspiration historique*.

  283.  

    La légende se faufile facilement dans l'histoire par le moyen de certains dictionnaires dont les tendances ne sont pas douteuses et auxquels pourtant les écrivains les mieux intentionnés se contentent parfois de recourir lorsqu'ils ont à établir la biographie de tel ou tel personnage. C'est ainsi qu'on a pu rencontrer, avec quelque étonnement, sous la plume de Mme la Comtesse de Reinach-Foussemagne, dans un volume où elle avait bien voulu me citer à plusieurs reprises, une note succincte sur Foullon et Bertier où les renseignements sommaires qu'elle fournissait sur l'un et sur l'autre étaient exclusivement empruntés à la tradition révolutionnaire. Ai-je besoin d'ajouter que Mme la Comtesse de Reinach a reconnu sa méprise aussitôt qu'elle lui a été signalée et qu'elle a rectifié sa note dans la seconde édition qui a suivi de près la première ?

  284.  

    Dans le second volume, dans le chapitre intitulé *De la méthode et de l'esprit de ce livre*, Michelet a écrit, page 942, en note : « Nous n'avons, en cette histoire, nul intérêt que la vérité. Nous ne suivons à l'aveugle nulle passion de parti. La seule réclamation grave sous ce rapport qui nous soit parvenue, est celle des familles Foullon et Bertier. Une attaque violente et personnelle d'un membre de la famille Bertier n'a nullement ébranlé notre ferme résolution d'être juste pour tous, amis et ennemis. Le fils et le petit-fils des deux victimes, vieillards aujourd'hui fort âgés, nous ont transmis des mémoires très étendus, etc... »

  285.  

    Sa protestation avait paru dans la *Réforme* du 5 mars 1847.

  286.  

    À cet endroit, dans les éditions de 1869 et suivantes, Michelet met en note : « La famille a vivement réclamé. Un examen sérieux nous prouve que les écrivains royalistes (Beaulieu, Montjoie) sont aussi sévères sur Foullon et Bertier. C’est ce qu’a trouvé aussi M. Louis Blanc en faisant le même examen. Si la famille a découvert aux Archives ou ailleurs des pièces contraires à l'opinion générale des contemporains, elle devrait les publier, » (I, 220.) Notons qu'en 1869, lorsque cette nouvelle édition paraissait, le Général vicomte de Bertier et le vicomte Foullon de Doué étaient morts. Nous pensons cependant qu'il est utile de signaler encore des pièces d'une tout autre nature qui, rencontrées isolément, pourraient surprendre la bonne foi d'un chercheur non averti et l'amener à en tirer des déductions erronées. À cet endroit, dans les éditions de 1869 et suivantes, Michelet met en note : « La famille a vivement réclamé. Un examen sérieux nous prouve que les écrivains royalistes (Beaulieu, Montjoie) sont aussi sévères sur Foullon et Bertier. C’est ce qu’a trouvé aussi M. Louis Blanc en faisant le même examen. Si la famille a découvert aux Archives ou ailleurs des pièces contraires à l'opinion générale des contemporains, elle devrait les publier, » (I, 220.) Notons qu'en 1869, lorsque cette nouvelle édition paraissait, le Général vicomte de Bertier et le vicomte Foullon de Doué étaient morts.

  287.  

    À cet endroit, dans les éditions de 1869 et suivantes, Michelet met en note : « La famille a vivement réclamé. Un examen sérieux nous prouve que les écrivains royalistes (Beaulieu, Montjoie) sont aussi sévères sur Foullon et Bertier. C’est ce qu’a trouvé aussi M. Louis Blanc en faisant le même examen. Si la famille a découvert aux Archives ou ailleurs des pièces contraires à l'opinion générale des contemporains, elle devrait les publier, » (I, 220.) Notons qu'en 1869, lorsque cette nouvelle édition paraissait, le Général vicomte de Bertier et le vicomte Foullon de Doué étaient morts.

  288.  

    D'après la biographie de Poultier, dans *la Bastille dévoilée*.

  289.  

    Il était né à Montreuil-sur-Mer, le 31 décembre 1763.

  290.  

    Il avait fait usage du contreseing de l'Intendant pour faire circuler des *Nouvelles à la main*.

  291.  

    Le département du Nord en fit un Conventionnel. Il votera la mort du Roi, figurera aux Anciens et aux Cinq Cents. Théophilanthrope, chef de brigade de gendarmerie dans les départements du Rhin, Député au Corps Législatif, Colonel Commandant de place à Montreuil, membre de la Légion d'honneur, Député de Montreuil pendant les Cent Jours, exilé l'année suivante, il ira mourir à Tournai le 18 février 1826. Il ne faut pas le confondre avec son parent, Poultier, député de Montreuil aux États-Généraux.

  292.  

    5e livraison, p. 68 et suiv.

  293.  

    Cet article explique sans le contredire tout ce que nous avons dit de ce prisonnier dans la précédente livraison (5e, p. 68).

  294.  

    Sans qu'on puisse le prouver de façon absolue, il est à présumer que Poultier d'Elmotte, fabricant habituel — de son propre aveu — de pamphlets anonymes, ne fut pas étranger à la confection de beaucoup de ceux qui circulèrent après le meurtre de l'Intendant de Paris.

  295.  

    Prudhomme, dans *Les Révolutions de Paris* (n°s 29, 30 et 31), a publié sous la signature de Poultier d'Elmotte une relation analogue datée du 20 janvier 1790. Soit que le signataire les ait retranchées, soit que l'éditeur les ait fait supprimer, deux ou trois vilenies que renfermait la première n'y figurent pas ; par contre, les calomnies sont plus copieuses et il s'en ajoute d'autres aux précédentes.

  296.  

    Voir dans le chapitre concernant les victimes ce que nous avons déjà dit à ce sujet.

  297.  

    Voir *Catalogue de l'Histoire de France*, II, du n° 2030 à 2049 (*B. N. Lb 39*), et Maurice Tourneux, *Bibliographie de l'Histoire de Paris pendant la Révolution française*.

  298.  

    Du 25 août 1897. Ce document avait été emprunté aux archives de Seine-et-Oise (*Série L1* m).

  299.  

    L'une lui avait été communiquée et il avait découvert l'autre aux *Arch. Nat.* (p. XXIX bis, 32, n° 336).

  300.  

    Voir G. Bord, *Histoire de la Franc-Maçonnerie*... (I, préface, et II, à paraître).